Macadam Circus  dans le jardin du musée Angladon d’Avignon

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Macadam Circus  dans le jardin du musée Angladon d’Avignon

Le 25 Juil 2022
1.Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme
Axel Cornil dans Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme
1.Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme
Axel Cornil dans Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme

Ce qui nous accroche, nous émeut dans un roman, un film, un spec­ta­cle c’est  le plus sou­vent lorsqu’il y a ren­con­tre entre l’Histoire, la vie en société et les his­toires des indi­vidus, leur vie intérieure.

Et que soit pro­posée une forme, inven­tée une expres­sion qui relie ces deux mon­des. Cette démarche, cet enjeu est au coeur du spec­ta­cle écrit par Thomas Depryck, mis en scène par Antoine Laubin et inter­prété par Axel Cornil. 

J’y ai retrou­vé un ton, une ambiance qui était présente dans « les langues pater­nelles » créé par la com­pag­nie De fac­to il y a plus de 10 ans.  Ce mélange d’humour et de ten­dresse, d’engagement et d’ironie,  de con­science et de dis­tance.

Au cen­tre du jeu, un acteur seul, un homme, écrit une let­tre à son fils. Peut-être que ce fut le point de départ de l’écriture de ce texte où pointe la  volon­té farouche de la trans­mis­sion — cette ques­tion est au cen­tre des préoc­cu­pa­tions de la com­pag­nie.

Quelle société, quelle vie, quelle nature, quelles valeurs trans­met­tre à ceux qui vien­dront après nous…?

2.Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme
1.Macadam Circus_Crédit pho­to Alice Piemme

L’invention et l’imagination de dif­férents niveaux  d’écriture — et surtout l’énergie débor­dante, con­va­in­cante et irré­sistible d’Axel Cornil — nous font gliss­er d’un univers à un autre : la descrip­tion sor­dide de la vie absurde et dés­espérante d’un monde sans âme où le maître mot est con­som­ma­tion, et son corol­laire la monot­o­nie des jours, pousse le nar­ra­teur à se défouler en frap­pant sur un sac de boxe.

(Est-ce parce que les aspi­ra­tions aux change­ments sont pour l’instant sans issue ?)

Sans que cela nous sem­ble saugrenu, le nar­ra­teur, au cours de ses péré­gri­na­tions en ville (et oui, si tout sem­ble nous acca­bler

et nous frein­er, on peut tou­jours bouger, met­tre un pied devant l’autre) fait la ren­con­tre… d’un bébé éléphant.

Adop­té par le nar­ra­teur qui s’en sent respon­s­able et le ramène chez lui, pour le grand plaisir de son fils qui se prend d’amitié pour lui et au dés­espoir de sa femme qui estime que l’appartement n’a pas les dimen­sions qui con­vi­en­nent pour pou­voir l’héberger. Curieuse­ment, cette entrée dans un monde métaphorique et fan­tas­tique,

se fait tout naturelle­ment. Elle intro­duit une dimen­sion d’humour et de plaisir portée par l’immense tal­ent d’acteur d’Axel Cornil.

3.Macadam Circus_Crédit photo Alice Piemme
Axeé Cornil dans Macadam Circus_Crédit pho­to Alice Piemme

Dès les pre­miers instants, il prend le pub­lic à par­tie ; la petite jauge et la judi­cieuse dis­po­si­tion des chais­es qui entourent l’espace de jeu lui per­met à inter­valle réguliers de regarder les uns après les autres les spec­ta­teurs dans les yeux, de les inter­roger, les apos­tro­pher, de leur faire partager, au plus près, ses inter­ro­ga­tions et ses indig­na­tions.

C’est quand un acteur habite le texte avec tout son corps que le théâtre rap­pelle qu’il est irrem­plaçable : Axel Cornil a la force, l’agilité et l’aisance d’un boxeur dont il a étudié

avec pré­ci­sion la gestuelle, le jeu de jambes et l’esquive de la tête, l’allongement des bras et la frappe.

Ces mou­ve­ments ne sont pas gra­tu­its mais s’inscrivent en réso­nance avec le texte et… la musique !

Celle-ci est un parte­naire à part entière du spec­ta­cle. Pour mar­quer son impor­tance, un lecteur de dis­ques vinyles, sur­plombe un côté de l’espace de jeu et la cou­ver­ture de l’album Ghos­teen de Nick Cave and the Bad Seeds est posé bien en place à la vue des spec­ta­teurs. Plusieurs chan­sons de l’opus (3) sont ain­si dif­fusées, dont les paroles sont repris­es, répétées ou mur­murées par le nar­ra­teur comme le très poignant« wait­ing for you ». Cette ten­sion  qui fait altern­er la vir­u­lence des pro­pos ravageurs sur l’état du monde et la douceur apaisée de la poésie et de la musique fait la réus­site du spec­ta­cle et emporte l’adhésion des spec­ta­teurs. (D’autant que dans un clin d’oeil sym­pa­thique, la représen­ta­tion est inter­rompue un bref moment pour per­me­t­tre à l’acteur (et… au pub­lic ! ) de se désaltér­er d’une bière bien­v­enue dans la chaleur avi­gnon­naise).

Dans ce monde si empreint « de bruit et de fureur », l’art, la créa­tion, la poésie la musique en por­tent témoignage mais peu­vent en même temps nous emmen­er à en partager la beauté.

A la fin du spec­ta­cle Antoine Laubin (qui assure aus­si la régie du spec­ta­cle), vient au cen­tre de la scène remet­tre au nar­ra­teur le cof­fret  « his­torique » des sonates pour vio­lon­celle de Bach inter­prétées par Pablo Casals. Le cof­fret vient rem­plac­er celui de Ghos­teen à la vue du pub­lic et une fois le disque placé sur l’électrophone, les notes du prélude de la pre­mière suite en sol majeur envahissent l’espace. L’acteur, le pub­lic achèvent de partager une expéri­ence sin­gulière et boulever­sante qui se repro­duit au fil des représen­ta­tions, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Elle fut récon­for­t­ante.

Représentations à la Manufacture, dans le Off d'Avignon, du 7 au 26 juillet à 18h dans la cour ombragée du Musée Angladon.

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Thomas Depryck
Antoine Laubin
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
1 commentaire
  • Superbe syn­thèse ! Mer­ci pour ces mots qui racon­tent de manière si con­crète ce que j’ai vu, enten­du, ressen­ti et qui sur le coup m’a lais­sé sans mot telle­ment le comé­di­en avait mobil­isé mon atten­tion, des émotions…dans un envi­ron­nement pas tou­jours favor­able (chaleur, bruit extérieur…) .Mer­ci.

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