“Moi j’ai pas envie de faire une italienne, je suis belge”

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“Moi j’ai pas envie de faire une italienne, je suis belge”

Le 15 Jan 2016
Francis Soetens et Olivier Zanotti alias Benoît et Gabriel. Photo © Clémence de Limburg
Francis Soetens et Olivier Zanotti alias Benoît et Gabriel. Photo © Clémence de Limburg
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« Com­ment faire en sorte que des per­son­nes qui ne sont jamais mon­tées sur un plateau ne se fassent pas écras­er par l’idée qu’ils se font du théâtre ? Je n’ai pas de méth­ode, mais je crois que c’est avant tout un tra­vail de générosité et de réelle écoute des deux côtés, de ma part et de la leur. J’essaye d’être exigeant et de tra­vailler avec eux comme je tra­vaillerais avec n’importe quel acteur. Ça serait ter­ri­ble de tra­vailler dif­férem­ment ou de les met­tre à part. »¹

Sur les six inter­prètes du pro­jet, qua­tre ne sont pas acteurs de for­ma­tion. Claude les a ren­con­trés par hasard dans des cafés et leur a pro­posé de par­ticiper à ses pro­jets. Patchouli, Clé­ment Los­son et Olivi­er Zan­ot­ti ont déjà fait plusieurs spec­ta­cles avec lui. Fran­cis Soetens qui joue le rôle de Benoît monte sur un plateau de théâtre pour la pre­mière fois. Tout au long des répéti­tions, la ques­tion restera volon­taire­ment en sus­pens : les acteurs sont-ils choi­sis pour les per­son­nages ou inverse­ment, les per­son­nages sont-ils inven­tés à par­tir d’eux ? De fait, la « con­struc­tion des per­son­nages » se fait avec les acteurs. Claude cherche avec cha­cun com­ment s’organiserait de manière réal­iste la vie en colo­ca­tion de Dar­ius, Stan et Gabriel. Que font-ils dans la vie ? Quels rap­ports de hiérar­chie y a‑t-il entre eux ? Mais aus­si plus con­crète­ment : que sont-ils en train de faire au moment où la pièce com­mence ? Quelles activ­ités font-ils quand ils ren­trent chez eux ? C’est autour de ces ques­tions que les pre­miers jalons de la pièce se met­tent en place.

Je crois que c’est un choix de se diriger vers des inter­prètes qui n’ont pas a pri­ori un jeu « tech­nique » et maîtrisé. C’est une manière de laiss­er place aux failles et au vivant. Durant les pre­mières répéti­tions, Claude par­le de créer « un effet de réel ». En d’autres ter­mes, il souhaite inven­ter un micro­cosme réal­iste qui a son organic­ité pro­pre. Aucun dia­logue n’est écrit à l’avance, à des­sein, mais il com­pose un squelette nar­ratif au sein duquel les acteurs amè­nent la vie, la chair. Il sait dès le début des répéti­tions quelles scènes com­poseront le spec­ta­cle ain­si que les événe­ments qui les struc­turent. À par­tir de là, il pro­pose aux acteurs des sit­u­a­tions d’improvisation.

Dessin d'Adèle Grégoire
Dessin d’Adèle Gré­goire

Les retours de Claude con­cer­nent surtout le type de jeu. Il demande aux acteurs d’être au plus près de la sit­u­a­tion et de coller au réel des per­son­nages. On pour­rait par­ler d’une recherche d’hyperréalisme. Par exem­ple, Clé­ment choisit de jouer un per­son­nage qui est livreur à vélo, job qu’il a déjà fait, ce qui lui per­met de trou­ver des micros détails con­crets. De plus, tous les objets qu’il apporte pour son per­son­nage lui appar­ti­en­nent. Les objets de la fable sont tous des objets du réel, recy­clés sur le plateau. Claude va s’emparer de sit­u­a­tions que les comé­di­ens ont vécues ou qu’ils con­nais­sent bien pour nour­rir l’improvisation. Tout ce tra­vail se fait par couch­es : un acteur pro­pose, Claude rebon­dit et petit à petit tout prend forme. « Quand je leur demande d’être réal­iste, je veux dire “ne trichez pas, ne fab­riquez pas”, mais, en fin de compte, ils fab­riquent quand même. Je leur demande d’être au plus proche d’eux, mais ça veut tout et rien dire parce qu’on est quand même là pour créer une forme. » En effet, les acteurs ont con­science d’être en représen­ta­tion, ils ne sont pas « eux-mêmes » sur le plateau, mais la fron­tière avec le réel est assez fine. Il y a tou­jours un flou entre le fait de fab­ri­quer et d’être soi-même. Chez Fran­cis notam­ment, qui com­mence tout juste à faire du théâtre, l’absence de con­nais­sance des codes de la représen­ta­tion amène des propo­si­tions cocass­es. Il invente par exem­ple une nou­velle tech­nique de jeu qui s’apparente sans le savoir à la méth­ode de l’Actors stu­dio dans ses dérives :

Fran­cis : CE QUE JE PEUX FAIRE À LA LIMITE
C’EST RESTER DEUX TROIS JOURS SANS BOUFFER
COMME ÇA JE SUIS SÛR DE COMPRENDRE CE QU’A VÉCU BENOÎT.
JE VAIS FAIRE ÇA AVANT LA PREMIÈRE
COMME ÇA JE SERAI DANS LE BON ÉTAT POUR JOUER.

Fran­cis est com­plète­ment dans la logique de son per­son­nage et de la sit­u­a­tion qu’il doit jouer. Je me sou­viens qu’à cer­tains moments il nous expli­quait que c’était impos­si­ble pour lui de faire une action parce que « Benoît » n’aurait pas agi comme ça. Ou inverse­ment, il nous démon­trait pourquoi c’était évi­dent qu’il fasse telle ou telle action.

Claude : TU L’UTILISES LA TABLE LÀ ?
Fran­cis : OUI
Claude : POURQUOI ? ÇA T’AIDE VRAIMENT POUR CONSTRUIRE TA CABANE ?
Fran­cis : BAH OUI COMME ÇA LE MATIN QUAND JE ME LÈVE JE PEUX POSER MA TASSE DE CAFÉ DESSUS

Dessin d'Adèle Grégoire
Dessin d’Adèle Gré­goire

C’est finale­ment cette absence de con­ven­tions qui per­met la spon­tanéité et la grâce de Fran­cis et donc l’expression de sa réal­ité, de sa matière vivante.

Claude ne tra­vaille pas avec des « ama­teurs », mais avec des per­son­nal­ités qu’il veut retrou­ver sur scène ; s’il les choisit c’est qu’une par­tie du per­son­nage est déjà en eux. « La langue qu’utilisent les acteurs n’est pas lisse, mais brute. Elle est pleine des aléas du lan­gage de cha­cun et c’est ce qui en fait la richesse. » S’ils sont capa­bles de repro­duire ce qui a été défi­ni en répéti­tion, il y a tou­jours une énergie du présent, de l’ici et main­tenant qui débor­de. Claude la définit comme un « excès de vivant qu’(il) essaie de canalis­er ». Dans sa recherche d’hyperréalisme, ce qui l’intéresse est de voir sur­gir cette matière vivante. « Ne trichez pas » ça revient à dire « ne tuez pas le vivant ».

1. Toutes les citations dans le texte sont de Claude Schmitz.
Le titre de cet épisode 2 est une citation de Francis Soetens, avant la deuxième représentation.
Retrouvez le premier épisode du journal de création de "Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant" de Claude Schmitz par Judith de Laubier ("Who's Afraid of the Big Bad Wolf ?").
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant

Avec : Marc Barbé, Lucie Debay, Clément Losson, Patchouli, Olivier Zanotti, Francis Soetens. 

Mise en scène : Claude Schmitz | Dramaturge : Judith Ribardière | Assistante lumière et stagiaire à la mise en scène : Judith de Laubier | Stagiaire à la scénographie : Jade Hidden | Stagiaire aux accessoires : Camille Chateauminois | Scénographie : Boris Dambly | Maquette : Nora Kaza Vubu | Création Sonore et Musique Originale : Thomas Turine | Lumières : Octavie Piéron | Image : Florian Berutti | Direction technique : Fred Op de Beek | Construction du décor : Fred Op de Beeck, Yoris Van de Houte, Alocha Van de Houte, Olivier Zanotti et Jade Hidden | Sculpteur - Peintre : Laurent Liber, Boris Dambly et Guillaume Molle.


Avec la participation amicale de Drissa Kanambaye et Djeumo Sylvain Val.

Production déléguée : Halles de Schaerbeek.

Coproduction : Comédie de Caen, Compagnies Paradies Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, service Théâtre. Et le soutien du théâtre Océan-Nord. Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, Service Théâtre.
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Judith de Laubier
Née en 1990, Judith vit et travaille entre Bruxelles et Paris. En 2011, elle entre...Plus d'info
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