L’écran innatendu

Théâtre
Critique

L’écran innatendu

Le 27 Avr 2009
Joanne Woodward et Karen Allen dans LA MÉNAGERIE DE VERRE de Paul Newman, 1987. Photo D. R.
Joanne Woodward et Karen Allen dans LA MÉNAGERIE DE VERRE de Paul Newman, 1987. Photo D. R.

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Joanne Woodward et Karen Allen dans LA MÉNAGERIE DE VERRE de Paul Newman, 1987. Photo D. R.
Joanne Woodward et Karen Allen dans LA MÉNAGERIE DE VERRE de Paul Newman, 1987. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

AU DÉBUT des années quar­ante, Ten­nessee Williams a la ver­tig­ineuse impres­sion de vivre la vie de « cinq ou dix per­son­nes » : lifti­er dans un hôtel, télé­typ­iste, garçon de café, caissier de restau­rant, ouvreur, au demeu­rant écrivain à ses heures per­dues.

Un mali­cieux hasard lui per­met d’obtenir en 1943 un con­trat pour six mois à la Metro Gold­wyn May­er. Nom­mé « rewriter », il est chargé d’examiner des scé­nar­ios en souf­france, de les remon­ter et de les reta­per pour leur don­ner une sec­onde vie.

Bon gré, mal gré, le jeune auteur joue le jeu, mais il ne veut pas se con­tenter de réécrire les scripts des con­cur­rents. Puisqu’il se trou­ve à Hol­ly­wood, il refuse de laiss­er pass­er sa chance : il se dépêche d’adapter pour le ciné­ma une de ses nou­velles, écrite dans l’année, PORTRAIT D’UNE JEUNE FILLE EN VERRE. Sous un nou­veau titre, LE GALANT, il pro­pose son scé­nario à ces messieurs de la M.G.M.

Devant leur refus sans appel, il reprend son indépen­dance. Riche des pre­mières économies de son exis­tence (« De dix-sept dol­lars par semaine comme ouvreur de ciné­ma, je pas­sai soudain à deux cent cinquante dol­lars en tra­vail­lant à Hol­ly­wood »), il s’offre le luxe d’adapter au théâtre… son adap­ta­tion ciné­matographique !

À Chica­go, puis à New York en mars 1945, LA MÉNAGERIE DE VERRE tri­om­phe et la pièce ne cessera jamais plus d’être représen­tée. Avec du recul, Ten­nessee Williams attribue ce suc­cès à ce croise­ment étrange et heureux entre deux écri­t­ures, ciné­matographique et théâ­trale.

La M.G.M. réus­sit, à prix d’or, à rafler les droits d’adaptation de LA MÉNAGERIE DE VERRE. Ses « rewrit­ers » se char­gent de révis­er l’œuvre selon les règles en vigueur à Hol­ly­wood. Un tra­di­tion­nel « hap­py end » finit d’achever le film d’Irving Rap­per (1951) : presque tout a été réécrit sauf le titre !

Je n’ai pas pu pren­dre con­nais­sance du scé­nario de Ten­nessee Williams : est-il archivé dans un fonds de bib­lio­thèque ? A‑t-il dis­paru ? Entre LE PORTRAIT D’UNE JEUNE FILLE EN VERRE et LA MÉNAGERIE DE VERRE, un chaînon manque. Para­doxale­ment, ce « manque de ciné­ma » s’affirme forte­ment dans la ver­sion théâ­trale. En revanche, la nou­velle n’y fait aucune allu­sion, le mot n’apparaît même pas.

Dans la pièce, Tom « en manque » se pré­cip­ite chaque soir dans les salles obscures. Aman­da, sa mère, ne sup­porte plus cette perte d’argent, de temps, de forces vives ! Elle reproche amère­ment à son fils ses diver­tisse­ments vul­gaires et dou­teux.

Cinéphage, Tom se drogue. Chaque film, n’importe lequel, lui offre un anti­dote à l’ennui stérile, répété jour après jour, au gâchis de sa vie piégée dans une « boîte » con­tre un salaire dérisoire. Cette lanterne mag­ique lui per­met d’échapper à l’étouffement quo­ti­di­en, de respir­er l’air du large, de rejoin­dre à tra­vers les mers les pirates rebelles et libres, embar­qués dans des aven­tures extra­or­di­naires, sous les rafales de l’épopée ! Tom enfin vit un rêve éveil­lé : la pro­fu­sion des images lui per­met d’enjamber la mesquiner­ie du réel, et de sauter mag­ique­ment au-dessus de tous les obsta­cles !

Quand Tom le nar­ra­teur entre en scène pour sa pre­mière adresse au pub­lic, il rejette d’entrée de jeu l’art du ciné­ma. On pour­rait même croire qu’au-delà de la salle, il apos­tro­phe les illu­sion­nistes d’Hollywood qui ont refusé son scé­nario. Il brûle publique­ment ce qu’il a adoré :

« Oui, je vais vous sur­pren­dre. J’ai plus d’un tour dans mon sac. Mais je suis l’inverse d’un pres­tidig­i­ta­teur de music-hall. Lui nous présente une illu­sion qui a l’apparence de la vérité, moi je vous présente la vérité sous le masque de l’illusion. »

Ten­nessee Williams, pour tourn­er une page, l’arrache ! Le ciné­ma, d’origine foraine, garde le goût des trucages, à la manière d’un Méliès : il aime tromper son pub­lic. Mais son meilleur truc con­siste à don­ner l’apparence du réel à un trompe‑l’œil. Le spec­ta­teur tombe sous le charme d’une illu­sion, fasciné, il prend des vessies pour des lanternes.

Dès les pre­miers mots du texte, Tom le nar­ra­teur, Tom l’auteur (Ten­nessee n’est qu’un pseu­do­nyme, il se prénom­mait Thomas, Tom pour sa famille ), affirme sa foi en un art qui refuse l’illusionnisme. Après avoir pris pour cible le ciné­ma d’Hollywood, il pour­suit sur son élan ; il refuse sur scène le nat­u­ral­isme qui se tar­gue de repro­duire la réal­ité sur un plateau mesurable en mètres car­rés.

Il appelle de ses vœux un théâtre poé­tique. LA MÉNAGERIE DE VERRE se présente dans ses pre­mières lignes comme un man­i­feste en ce sens :

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