Faire de la dialectique une jouissance : Le TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE de Jean-François Peyret

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Faire de la dialectique une jouissance : Le TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE de Jean-François Peyret

Le 29 Déc 2009
LEBEN DES GALILEI, Berliner Ensemble, Paris, Théâtre des Nations, 1955, mise en scène de Erich Engel, scénographie de Caspar Neher. Collections BNF, Arts du Spectacle. Photo Roger Pic.
LEBEN DES GALILEI, Berliner Ensemble, Paris, Théâtre des Nations, 1955, mise en scène de Erich Engel, scénographie de Caspar Neher. Collections BNF, Arts du Spectacle. Photo Roger Pic.

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LEBEN DES GALILEI, Berliner Ensemble, Paris, Théâtre des Nations, 1955, mise en scène de Erich Engel, scénographie de Caspar Neher. Collections BNF, Arts du Spectacle. Photo Roger Pic.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103

LES PIÈCES de Jean-François Peyret des quinze dernières années (FAUST / UNE HISTOIRE NATURELLE, TURINGMACHINE, DES CHIMÈRES EN AUTOMNE, LA GÉNISSE ET LE PYTHAGORICIEN, LES VARIATIONS DARWIN,LE CAS DE SOPHIE K., TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE) relèvent-elles vrai­ment du théâtre de sci­ences, comme l’affirme une par­tie de la cri­tique ? A‑t-on rai­son de les éval­uer en les con­frontant à ce que serait une représen­ta­tion réal­iste de l’activité sci­en­tifique, infor­mée par les sci­en­tifiques eux-mêmes, mais aus­si par la philoso­phie, l’histoire et la soci­olo­gie des sci­ences ? Est-il seule­ment dans les inten­tions de Peyret de pénétr­er la « boîte noire » de l’expérimentation savante ? Rien n’est moins sûr. L’objet du théâtre de Peyret n’est pas le théâtre de la preuve, l’activité sci­en­tifique représen­tée d’un point de vue inter­nal­iste, avec ses prob­lèmes, ses pra­tiques, ses con­tro­ver­s­es, mais plutôt ce qui la précède et ce qui lui suc­cède : ses moteurs et ses effets.

Dans la plu­part de ses textes récents 1 , Peyret adosse sa démarche d’ensemble à la quête brechti­enne, for­mulée dès la deux­ième moitié des années 1920, d’un « théâtre de l’ère sci­en­tifique » ou « pour un pub­lic de l’âge sci­en­tifique » 2. Dans son PETIT ORGANON POUR LE THÉÂTRE, tout entier dédié à la descrip­tion d’un tel théâtre, Brecht en jus­ti­fi­ait ain­si la néces­sité his­torique : « Notre vie en com­mun d’hommes – et cela veut dire : notre vie – est déter­minée dans une mesure toute nou­velle par les sci­ences. » 3 Peyret con­state soix­ante ans après que l’appel brechtien n’a pas été enten­du sans que son con­stat soit pour autant caduc : « Le théâtre européen a comme évité, ignoré la sci­ence (et ses con­séquences, la techno­science) à laque­lle n’échappent ni nos vies privées, ni notre vie publique » 4. Plus que par le con­tenu dra­ma­tique et con­tro­ver­sé de leurs jeux de vérité, les sci­ences four­nissent un matéri­au théâ­tral intéres­sant à cause des dilemmes aux­quels elles soumet­tent la vie des hommes. Ceux-ci se situent en amont et en aval plutôt qu’au cœur de l’activité sci­en­tifique. Dilemmes de chercheurs pour qui la pro­duc­tion des con­nais­sances passe par une mise à l’épreuve. Dilemmes des pop­u­la­tions pour qui l’usage des sci­ences et des tech­niques peut être source de bon­heur comme de mal­heur. Envis­agées aux prismes de leur genèse indi­vidu­elle et de leur des­ti­na­tion col­lec­tive, les sci­ences représen­tent des motifs de tragédie clas­sique tout aus­si légitimes que la fil­i­a­tion, l’amour, la poli­tique ou la guerre.

Le théâtre de Peyret n’entre donc que sec­ondaire­ment dans les couliss­es du lab­o­ra­toire. Il ne vise pas non plus à vul­garis­er ou à restituer au pub­lic des procédés ou des résul­tats d’une sci­ence dev­enue de plus en plus spé­cial­isée et opaque 5. Son théâtre représente la dialec­tique du savoir et de la vie plutôt que le dia­logue des sci­en­tifiques ou de leurs visions du monde. Peyret situe son pro­jet artis­tique récent là où, selon lui, la sci­ence et la vie se co-déter­mi­nent : dans la per­son­ne du savant ou dans le corps social. Lieux de con­tra­dic­tions du mode de pro­duc­tion des con­nais­sances, pour par­ler la langue marx­i­enne trans­mise par Brecht.

L’œuvre de Brecht exerce en effet sur Peyret une attrac­tion anci­enne. Brecht a conçu son théâtre comme un instru­ment de prise de con­science pro­duisant chez les spec­ta­teurs des con­nais­sances nou­velles et des pos­si­bil­ités d’action. Il a fait de la méth­ode dialec­tique un des fonde­ments théoriques de sa dra­maturgie. Avec des moyens diver­si­fiés, le théâtre de Brecht vise en effet à représen­ter des vues opposées autour d’un même prob­lème, à mon­tr­er l’identité des posi­tions con­traires et surtout, dans l’esprit ratio­nal­iste de la sci­ence sociale marx­iste et du matéri­al­isme his­torique, à expos­er les con­tra­dic­tions sociales et le car­ac­tère trans­formable des sit­u­a­tions présen­tées. Il s’agit, en con­stru­isant le même recul que celui de la sci­ence vis-à-vis des sen­sa­tions immé­di­ates, de livr­er une leçon d’analyse his­torique trans­pos­able à d’autres sit­u­a­tions et d’inciter à l’action col­lec­tive. En prenant la sci­ence pour motif récur­rent de ses dernières pièces, c’est aus­si cette poli­tique visant à faire du théâtre un ana­logue de la sci­ence et à faire de la dra­maturgie une péd­a­gogie, que Peyret met en ques­tion.

Il faut alors déter­min­er la forme qu’exige un tel retour cri­tique sur l’héritage brechtien. Faut-il s’adresser à Brecht avec la méth­ode de Brecht lui-même ? Faut-il chercher à provo­quer chez les spec­ta­teurs un sur­croît de con­nais­sance sur les lim­ites du pro­grès issu de la sci­ence et de la con­science et, à tra­vers elle, sur celles du théâtre didac­tique ou épique ? Ou bien, con­vient-il de sus­citer par la sit­u­a­tion dra­ma­tique un autre ressort que la rai­son ou l’appétit de con­nais­sance pour penser les effets, et leurs lim­ites, de la rai­son et de la con­nais­sance ? Plus que les autres pièces de Peyret ayant trait aux sci­ences, TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, à cause de sa référence explicite à l’une des œuvres car­di­nales de Brecht, explore cette con­stel­la­tion prob­lé­ma­tique.

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Laurent Jeanpierre
Laurent Jeanpierre est professeur de science politique à l’Université Paris 8. Une partie de ses...Plus d'info
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