SYLVIE MARTIN-LAHMANI : Dans ce spectacle, BECO- MING A MAN, apparaissent au moins trois formes de désir. Le désir de changer de sexe, le désir de changer de vie et le désir de faire du théâtre avec sa vie…
Scott Turner Schofield : J’ai toujours désiré changer de sexe et j’ai toujours désiré faire du théâtre. Mon identité était que j’étais une femme « masculine » et lorsque j’étais à l’université, j’avais de très bonnes notes, on me considérait comme doué mais je n’étais jamais engagé au théâtre, il n’y avait pas de rôles pour moi. On me disait, tu es une femme super masculine, il n’y a pas de rôles pour toi, c’est la vie… Mais un metteur en scène m’a dit, on te soutiendra si tu imagines un rôle pour toi-même, si tu écris tes propres pièces.
S. M.-L.: Tu étais dans quelle université ?
S. T. S. : Emory University (Atlanta). J’ai donc écrit mon propre spectacle (UNDERGROUND TRANSIT) qui a rencontré un grand succès avant même que je termine mon cursus universitaire.
C’était en décembre 2001 et je l’ai beaucoup tourné. C’était un spectacle basé sur ma volonté de changer de sexe. C’était ma première rencontre avec le mot, avec l’idée de « transgenre », j’avais dix-neuf ans. C’était la trajectoire sur la compréhension de chaque étape qu’il fallait franchir pour changer de sexe. La différence qu’il y a entre genre et sexe, l’idée qu’on peut être une femme et vouloir devenir un homme, et que c’est possible de le faire. J’étais influencé par les performers américains – Holy Hughes, Tim Miller, Karen Finley, John Fleck – qui avaient réalisé des performances provocantes et à connotation sexuelle. Il y avait un conflit avec le Nationalendowmentfortheartsqui ne voulait pas les subventionner et a révoqué les bourses qu’il avait données dans un premier temps à ces artistes.
Bernard Debroux : Quelles étaient les raisons de ce changement de cap ?
S. T. S. : Il y a eu des plaintes d’un sénateur conservateur, Jesse Helmes, qui estimait que ces performances faisaient l’apologie de la nudité, de l’homosexualité, quelles étaient immorales, insultantes, obscènes.
Il y a une longue tradition aux États-Unis de pièces à caractère autobiographique, dont le sujet est aussi le désir, le corps. Cette tradition m’a beaucoup influencé.
B. D.: Comment BECOMING A MAN a‑t-il été conçu ? Quel en a été le processus de réalisation ?
S. T. S. : J’ai reçu une commande de la commision National performance network aux États-Unis, et une bourse pour l’écrire en un an. Le contenu était lié à mon identité de « genre ». Je disposais d’un très grand nombre de petites histoires, d’anecdotes, mais rien d’assez général… C’était difficile au départ de les rassembler. Je me rendais compte que ces histoires étaient trop individuelles, trop liées à moi et qu’il était difficile d’en faire une histoire qui pouvait intéresser un public plus large. Je me disais que le « genre » était une histoire avec laquelle il faut participer. C’est ma vie, c’est ma voie. Et je me suis dit qu’il serait intéressant de faire participer le public aux différentes étapes qui ont conduit à être ce que je suis. Et cela en posant des questions comme « qu’est-ce qu’un homme ? », « qu’est-ce que le corps ? » etc. J’ai besoin de créer mon « genre » avec les spectateurs, j’ai besoin d’eux.
Il y a en ce moment un mouvement d’artistes « queer », qui regroupe des homosexuels, des lesbiennes, un monde « underground ». J’avais vu aussi parmi eux des performances acrobatiques, ça m’avait touché et j’avais envie d’essayer…