Helmut Stürmer : « La démocratie n’a rien à faire au théâtre »

Entretien
Théâtre

Helmut Stürmer : « La démocratie n’a rien à faire au théâtre »

Entretien réalisé par Alina Mazilu

Le 24 Nov 2010

A

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 106-107 - La scène roumaine. Les défis de la liberté
106 – 107

ALINA MAZILU : Pourquoi as-tu émi­gré en Alle­magne en 1977 ?

Hel­mut Stürmer : C’était une déci­sion poli­tique : j’étais sur le point d’être arrêté par la Secu­ri­tate et j’ai fui pour ne pas tomber dans les griffes de cette organ­i­sa­tion. Mais il y avait aus­si une autre rai­son ; en Roumanie, j’étais déjà sur un piédestal, j’avais reçu des prix nationaux, et je voulais davan­tage : je voulais de la con­cur­rence. Je voulais me mesur­er à ceux que je révérais alors. C’était l’époque de la grande révo­lu­tion esthé­tique du théâtre alle­mand. Le groupe qui grav­i­tait autour du théâtre de Brême, de Zadek, toute une pléi­ade de jeunes artistes, m’a jadis énor­mé­ment influ­encé.

A. M.: Et tu es par­ti de zéro en Alle­magne ?

H. S.: De presque zéro. J’avais certes déjà tra­vail­lé aux Kam­mer­spie­len de Munich et au Théâtre de Cologne avant d’émigrer, mais mes amis d’autrefois, qui sor­taient des cer­cles de gauche, m’ont reçu, moi l’émigrant d’un pays du social­isme réel, comme un traître à leurs idéaux, et m’ont lais­sé tomber. J’ai com­mencé dans de tout petits théâtres, avec pra­tique­ment zéro bud­get… C’est certes une belle provo­ca­tion de com­mencer à zéro, mais je ne le souhaite à per­son­ne. Aujourd’hui encore, je suis assis entre deux chais­es : lorsque je suis en Alle­magne, je me sens roumain, et lorsque je suis en Roumanie, je me sens alle­mand. C’est l’éternel dilemme de tous les émi­grants ou des gens des fron­tières. Je suis aus­si à la fron­tière entre la scéno­gra­phie et les arts du spec­ta­cle. J’essaie en per­ma­nence de vain­cre cette fron­tière.

A. M.: Ain­si que celle entre le théâtre, l’opéra et le ciné­ma…

H. S.: Oui, mais la dif­férence con­cer­nant le tra­vail de scéno­gra­phie n’est pas aus­si immense ici que l’on peut l’imaginer. J’ai repris à l’opéra une par­tie de mes expéri­ences du théâtre, comme la rela­tion libre à l’espace.

A. M.: Y a‑t-il aus­si des choses que tu as ramenées de l’opéra au théâtre ?

H. S.: Absol­u­ment ! Par exem­ple les pos­si­bil­ités tech­niques ou le goût des grands tableaux, que l’on peut expéri­menter à l’opéra et que l’on peut par­faite­ment ren­dre au théâtre. Il faut alors vrai­ment bien peser le pour et le con­tre, car par­fois le min­i­mal­isme spa­tial est beau­coup plus utile au théâtre. Mais cela n’exclut pas les grands tableaux. Par tableau, je ne veux pas dire illus­tra­tion. Je ne sup­porte pas l’illustration (le dou­blage d’un texte par des images)! Il faut tou­jours trou­ver un pro­gramme de con­trastes. Il faut trou­ver pour un texte ou pour une musique un espace dans lequel ces deux élé­ments con­cor­dent de façon pos­i­tive.

A. M.: Donc provo­quer sci­em­ment des con­trastes…

H. S.: Tout à fait ! Chercher l’inattendu. Un texte de théâtre, aus­si bien qu’une musique lyrique, résonne très dif­férem­ment en fonc­tion de la scéno­gra­phie.

A. M.: Con­stru­ire une unité com­posée de con­trastes…

H. S.: De con­tra­dic­tions. C’est le point de fric­tion entre ce que l’on attend et ce que l’on reçoit. On attend tou­jours la vari­ante facile, l’illustration d’un texte ou d’une musique. Il faut créer pré­cisé­ment le con­traire, ce qui ne veut pas dire qu’il faut ignor­er la musique ou le texte. Il faut par­faite­ment savoir ce que l’on pour­suit ain­si, et aus­si très bien con­naître et aimer les acteurs, la musique, le texte… Le texte, pas tou­jours, par­fois c’est mer­veilleux quand on ne sup­porte par une pièce…

A. M.: Tu es un homme très tal­entueux – com­ment réagis-tu à l’échec ?

H. S.: Dieu mer­ci, je n’ai pas con­nu de four com­plet, mais sur la cen­taine de décors que j’ai élaborés, j’en ai raté cinq ou six. Le matin, dans ma baig­noire, je ne me rap­pelle pas des suc­cès, mais des insuc­cès, ils me pour­suiv­ent. Il y en a eu peu, mais ils sont cuisants. Mais il est vital d’échouer pour un artiste. La peur et la dépres­sion font par­tie de son tra­vail. Sans ces choses qui remet­tent tout en ques­tion, on ne va pas très loin, je crois.

A. M.: Quel est le décor le plus déjan­té que tu aies jamais réal­isé ?

H. S.: Je n’ai jamais fait de décors déjan­tés ! Mais le décor de FAUST me tient beau­coup à cœur, bien enten­du. Nous avons longtemps étudié le prob­lème, et je suis par­venu à préserv­er dans le décor une instal­la­tion artis­tique évo­quant une galerie d’art. C’est un pro­jet que je cau­tionne aujourd’hui encore à cent pour cent. Ma rela­tion avec Pur­crete fonc­tionne ain­si : je fais énor­mé­ment de propo­si­tions, et il s’enthousiasme pour un détail ou pour une par­tie d’une propo­si­tion, qui donne ensuite lieu au bon décor.

Pour cer­tains décors, je ne sais plus qui a pris la déci­sion d’aller juste­ment dans ce sens là. Dans ces cas-là, on assiste tou­jours à une excel­lente col­lab­o­ra­tion, quand tout se fond l’un dans l’autre, quand l’idée est une idée com­mune.

A. M.: Com­ment décrirais-tu en une phrase la rela­tion idéale entre le scéno­graphe et le met­teur en scène ?

H. S.: Ils sont comme un cou­ple qui se dis­pute mais ne parvient pas à se sépar­er.

A. M.: L’idée t’a‑t-elle déjà effleuré de faire tes pro­pres mis­es en scène ?

H. S.: Non, même si, effec­tive­ment, le scéno­graphe fait secrète­ment de la mise en scène. Cela ne veut pas dire qu’il dicte sa loi au met­teur en scène, mais il est en mesure de guider des con­cepts. Quant à la capac­ité d’adopter ces con­cepts dans le tra­vail quo­ti­di­en avec les acteurs ou les chanteurs… Il faut être né pour ça. C’est pour ça que les met­teurs en scène sont des met­teurs en scène, parce qu’ils ont ce pou­voir. Un met­teur en scène est tou­jours un dic­ta­teur, peu importe son atti­tude, sym­pa­thique ou mon­strueuse, envers les acteurs. La démoc­ra­tie n’a rien à faire au théâtre ou à l’opéra, il doit y avoir un respon­s­able.

En out­re, je con­nais telle­ment de scéno­graphes qui font des mis­es en scène pass­ables, je n’en ai encore jamais vu qui me con­va­inque à cent pour cent.

A. M.: Que souhaites-tu pour l’avenir ?

H. S.: J’espère ne pas per­dre le con­tact avec la jeune généra­tion. Il n’y a rien de pire qu’un artiste vieil­lis­sant qui se mon­tre arro­gant envers les jeunes.

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Helmut Stürmer
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Alina Mazilu
Critique de théâtre, Alina Mazilu a travaillé comme dramaturge du théâtre allemand de Timisoara et...Plus d'info
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