Nouveau toujours nouveau
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Le 22 Oct 2011
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
Article fraîchement numérisée
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La nou­veauté n’est pas une valeur dans la cul­ture où ne compte que la durée. Mais pour l’art, c’est autre chose. Sans nou­velles recherch­es formelles, sans mod­i­fi­ca­tions révo­lu­tion­naires ou évo­lu­tives de la langue, l’art perd le con­tact avec l’époque dans laque­lle il naît, avec le pub­lic avec lequel il doit dia­loguer ; l’art n’a plus alors de sens car il perd les raisons de son exis­tence. Le Teatr Nowy, qui souligne dans son appel­la­tion de façon quelque peu osten­ta­toire et provo­cante la nou­veauté, est avant tout un lieu de recherch­es créa­tri­ces con­duites avec la foi dans la vivac­ité et dans la fraîcheur des résul­tats, basées sur le principe d’une lib­erté totale, ce qui sig­ni­fie égale­ment la lib­erté de ne pas obéir à quelque man­i­feste que ce soit imposé d’en haut. Nous n’écrivons pas de man­i­feste, nous conser­vons unique­ment la foi dans quelques principes de base (Eliz­a­beth Costel­lo : « J’ai des con­vic­tions, mais je n’y adhère pas »). L’un des plus impor­tants est la néces­sité de se libér­er en per­ma­nence de toutes ces con­ven­tions qui se dévelop­pent sans cesse, comme ces couch­es froides à la sur­face de la lave. Il faut sans cesse les repouss­er pour décou­vrir ce qui est bouil­lon­nant, indéfi­ni, exigeant l’ob­ser­va­tion. Car cela n’a pas de sens d’en­tre­pren­dre quelque chose dont le résul­tat est prévis­i­ble et con­nu. Or, c’est ain­si qu’agis­sent les con­ven­tions qui sta­bilisent dan­gereuse­ment les recherch­es. Seules les expédi­tions risquées dans l’in­con­nu ont un sens.

Depuis le début de notre exis­tence, nous par­lons de la créa­tion d’un nou­veau cen­tre de cul­ture. Nous expéri­men­tons ses futures pos­si­bil­ités qui appa­raîtront lors de la créa­tion d’une rési­dence, en menant des obser­va­tions sur le ter­rain du croise­ment des divers domaines de l’art. Nous testons divers­es pos­si­bil­ités en véri­fi­ant leur poten­tiel artis­tique et intel­lectuel. Nous trans­for­mons la con­trainte du vagabondage en luxe qui nous per­met de jouir du droit à l’es­sai et à l’er­reur. Pour espace, nous util­isons toute la ville de Varso­vie. Nous mon­trons nos spec­ta­cles à tra­vers le monde et nous y décou­vrons de nou­velles poten­tial­ités. Nous habituons nos spec­ta­teurs à notre exis­tence dans l’inex­is­tence, notre chant de sirène séduit jusqu’aux faubourgs loin­tains de Varso­vie. Par­fois nous par­lons à la suite de Krzysztof War­likows­ki de « fan­taisie irre­spon­s­able » et par­fois nous par­tons du principe que cela vaut la peine « d’aimer et de bla­guer ». Indépen­dam­ment de notre fonc­tion au théâtre, nous avons tous le sen­ti­ment d’avoir une mis­sion à accom­plir, nous nous sen­tons respon­s­ables de nos spec­ta­teurs, de ceux qui nous choi­sis­sent et qui déci­dent de notre aven­ture com­mune. Peu importe que ce soit des aven­tures théâ­trales, des exposés ou, par­fois, des inter­ven­tions d’une journée. Peut-être de l’art dans un espace pub­lic ou un espace privé ren­du pub­lic par l’art ? Les pos­si­bil­ités sont nom­breuses. Nous ren­con­trons des spec­ta­teurs d’âges divers. Nous voulons ren­con­tr­er des gens de plus en plus jeunes et de plus en plus âgés et aus­si ceux qui n’ont pas l’habi­tude de venir au théâtre. C’est pourquoi on peut par­ticiper gra­tu­ite­ment à beau­coup de nos actions, surtout éduca­tives. Nous croyons que chaque homme est créa­teur. Il ne doit pas être oblig­a­toire­ment un artiste, mais il peut vivre de manière créa­tive et cela sig­ni­fie une vie meilleure. Notre but est-il une vie meilleure ? Oui, nous ne promet­tons pas pour­tant un bon­heur facile, mais des chem­ine­ments dan­gereux dans la sphère de la pen­sée, car nous y avons un accès direct.

Le Teatr Nowy est une nou­velle ten­ta­tive de lier l’idée d’un théâtre de troupe — la créa­tion d’un lab­o­ra­toire de tra­vail pour Krzysztof War­likows­ki et les artistes qu’il a choi­sis comme col­lab­o­ra­teurs — avec un cen­tre d’échange de réflex­ions et d’idées, pas seule­ment artis­tiques. Nous sommes intéressés par l’ob­ser­va­tion appro­fondie et com­men­tée de la réal­ité par les textes et les sit­u­a­tions qui per­me­t­tent de pénétr­er dans les espaces cachés, situés dans les sphères de l’ex­is­tence soumis­es aux tabous ou mal vues dans les bavardages quo­ti­di­ens. Des thèmes qui devraient être sys­té­ma­tique­ment dis­cutés, lors des change­ments de sys­tèmes et de généra­tions, jusqu’au moment où ils appar­tien­dront au dis­cours nor­mal et cesseront d’éveiller des démons. Le Teatr Nowy accède à la poli­tique et au débat pub­lic par les débats éthiques et le tra­vail esthé­tique. Peut-être est-ce notre signe de recon­nais­sance ? Nous inter­venons dans le champ de la crise, là où l’on parvient à la rup­ture où se cachent des cat­a­stro­phes. Seul le pas­sage par la crise peut con­duire à un échange ouvert de réflex­ions, au résul­tat dans lequel la crise se puri­fie, se cristallise, devient une forme et peut être vain­cue. Nous essayons de provo­quer un état de crise chez nos spec­ta­teurs, de transpercer les mem­branes qui sécurisent les thèmes incon­fort­a­bles, de con­duire à des états de fièvre, de boule­verse­ments des sys­tèmes de pen­sées pour aboutir à la purifi­ca­tion et l’in­té­gra­tion.

Le théâtre qui fuit devant la théâ­tral­ité doit servir d’in­stru­ment d’ob­ser­va­tion du monde, oblig­eant l’art en général à agir de même. Il n’est pas inno­cent, il n’est pas sécurisant. Ilat­tire par un piège sub­tile­ment conçu dans les gouf­fres de la sen­si­bil­ité et de l’é­mo­tion. Peut-être pas de manière aus­si dra­ma­tique. Mais là où il n‘y a ni issue, ni solu­tion, ni réponse, ilfaut pass­er par le théâtre.

Tra­duc­tion Marie-Thérèse Vido-Rzewus­ka.

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Écrit par Piotr Gruszczynski
Piotr Gruszczyn­s­ki est cri­tique théâ­tral en Pologne. Il col­la­bore au fes­ti­val Dia­log à Wro­claw. En 2003, il a...Plus d'info
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