La nouveauté n’est pas une valeur dans la culture où ne compte que la durée. Mais pour l’art, c’est autre chose. Sans nouvelles recherches formelles, sans modifications révolutionnaires ou évolutives de la langue, l’art perd le contact avec l’époque dans laquelle il naît, avec le public avec lequel il doit dialoguer ; l’art n’a plus alors de sens car il perd les raisons de son existence. Le Teatr Nowy, qui souligne dans son appellation de façon quelque peu ostentatoire et provocante la nouveauté, est avant tout un lieu de recherches créatrices conduites avec la foi dans la vivacité et dans la fraîcheur des résultats, basées sur le principe d’une liberté totale, ce qui signifie également la liberté de ne pas obéir à quelque manifeste que ce soit imposé d’en haut. Nous n’écrivons pas de manifeste, nous conservons uniquement la foi dans quelques principes de base (Elizabeth Costello : « J’ai des convictions, mais je n’y adhère pas »). L’un des plus importants est la nécessité de se libérer en permanence de toutes ces conventions qui se développent sans cesse, comme ces couches froides à la surface de la lave. Il faut sans cesse les repousser pour découvrir ce qui est bouillonnant, indéfini, exigeant l’observation. Car cela n’a pas de sens d’entreprendre quelque chose dont le résultat est prévisible et connu. Or, c’est ainsi qu’agissent les conventions qui stabilisent dangereusement les recherches. Seules les expéditions risquées dans l’inconnu ont un sens.
Depuis le début de notre existence, nous parlons de la création d’un nouveau centre de culture. Nous expérimentons ses futures possibilités qui apparaîtront lors de la création d’une résidence, en menant des observations sur le terrain du croisement des divers domaines de l’art. Nous testons diverses possibilités en vérifiant leur potentiel artistique et intellectuel. Nous transformons la contrainte du vagabondage en luxe qui nous permet de jouir du droit à l’essai et à l’erreur. Pour espace, nous utilisons toute la ville de Varsovie. Nous montrons nos spectacles à travers le monde et nous y découvrons de nouvelles potentialités. Nous habituons nos spectateurs à notre existence dans l’inexistence, notre chant de sirène séduit jusqu’aux faubourgs lointains de Varsovie. Parfois nous parlons à la suite de Krzysztof Warlikowski de « fantaisie irresponsable » et parfois nous partons du principe que cela vaut la peine « d’aimer et de blaguer ». Indépendamment de notre fonction au théâtre, nous avons tous le sentiment d’avoir une mission à accomplir, nous nous sentons responsables de nos spectateurs, de ceux qui nous choisissent et qui décident de notre aventure commune. Peu importe que ce soit des aventures théâtrales, des exposés ou, parfois, des interventions d’une journée. Peut-être de l’art dans un espace public ou un espace privé rendu public par l’art ? Les possibilités sont nombreuses. Nous rencontrons des spectateurs d’âges divers. Nous voulons rencontrer des gens de plus en plus jeunes et de plus en plus âgés et aussi ceux qui n’ont pas l’habitude de venir au théâtre. C’est pourquoi on peut participer gratuitement à beaucoup de nos actions, surtout éducatives. Nous croyons que chaque homme est créateur. Il ne doit pas être obligatoirement un artiste, mais il peut vivre de manière créative et cela signifie une vie meilleure. Notre but est-il une vie meilleure ? Oui, nous ne promettons pas pourtant un bonheur facile, mais des cheminements dangereux dans la sphère de la pensée, car nous y avons un accès direct.
Le Teatr Nowy est une nouvelle tentative de lier l’idée d’un théâtre de troupe — la création d’un laboratoire de travail pour Krzysztof Warlikowski et les artistes qu’il a choisis comme collaborateurs — avec un centre d’échange de réflexions et d’idées, pas seulement artistiques. Nous sommes intéressés par l’observation approfondie et commentée de la réalité par les textes et les situations qui permettent de pénétrer dans les espaces cachés, situés dans les sphères de l’existence soumises aux tabous ou mal vues dans les bavardages quotidiens. Des thèmes qui devraient être systématiquement discutés, lors des changements de systèmes et de générations, jusqu’au moment où ils appartiendront au discours normal et cesseront d’éveiller des démons. Le Teatr Nowy accède à la politique et au débat public par les débats éthiques et le travail esthétique. Peut-être est-ce notre signe de reconnaissance ? Nous intervenons dans le champ de la crise, là où l’on parvient à la rupture où se cachent des catastrophes. Seul le passage par la crise peut conduire à un échange ouvert de réflexions, au résultat dans lequel la crise se purifie, se cristallise, devient une forme et peut être vaincue. Nous essayons de provoquer un état de crise chez nos spectateurs, de transpercer les membranes qui sécurisent les thèmes inconfortables, de conduire à des états de fièvre, de bouleversements des systèmes de pensées pour aboutir à la purification et l’intégration.
Le théâtre qui fuit devant la théâtralité doit servir d’instrument d’observation du monde, obligeant l’art en général à agir de même. Il n’est pas innocent, il n’est pas sécurisant. Ilattire par un piège subtilement conçu dans les gouffres de la sensibilité et de l’émotion. Peut-être pas de manière aussi dramatique. Mais là où il n‘y a ni issue, ni solution, ni réponse, ilfaut passer par le théâtre.
Traduction Marie-Thérèse Vido-Rzewuska.