Pour une école qui met en danger et réinvente le théâtre

Entretien
Théâtre

Pour une école qui met en danger et réinvente le théâtre

Entretien avec Stanislas Nordey

Le 24 Jan 2012
Stanislas Nordey avec les étudiants de l’école du Théâtre National de Bretagne, 2011. Photo Caroline Ablain.
Stanislas Nordey avec les étudiants de l’école du Théâtre National de Bretagne, 2011. Photo Caroline Ablain.

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Stanislas Nordey avec les étudiants de l’école du Théâtre National de Bretagne, 2011. Photo Caroline Ablain.
Stanislas Nordey avec les étudiants de l’école du Théâtre National de Bretagne, 2011. Photo Caroline Ablain.

KEVIN JACQUET : Dans quel con­texte avez-vous hérité de l’école du Théâtre Nation­al de Bre­tagne dont vous êtes le directeur ? 

Stanis­las Nordey : L’école du Théâtre Nation­al de Bre­tagne (TNB) est une école jeune, un peu par­ti­c­ulière, fondée à l’intérieur d’un théâtre, par un directeur et un artiste ani­més par le désir d’une école « pas comme les autres ». Chris­t­ian Col­in l’a fondée avec Emmanuel de Véri­court, à l’époque directeur du TNB. J’en suis le qua­trième directeur après Chris­t­ian Col­in, Dominique Pitoiset et Jean-Paul Wen­zel. La notion d’héritage est assez juste dans mon cas car je n’aurais pas pris la direc­tion d’une autre école. Celle-ci me sem­blait dis­pos­er de tous les atouts pour con­stru­ire un réel pro­jet péd­a­gogique, d’abord parce qu’elle a été créée par un artiste au cœur d’un théâtre, mais aus­si parce qu’elle n’a qu’une seule pro­mo­tion tous les trois ans, luxe incroy­able, qui per­met de bien accom­pa­g­n­er un groupe tout en recréant l’école tous les trois ans. Cette notion de renou­velle­ment est impor­tante. Il n’y a que deux pro­fesseurs per­ma­nents dans la struc­ture : le directeur et le respon­s­able péd­a­gogique. Cette sit­u­a­tion per­met de suiv­re chaque pro­mo­tion à son aune. C’est évidem­ment très pré­cieux et l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de rejoin­dre cette école. Il y avait aus­si à Rennes une tra­di­tion d’une école que l’on pour­rait qual­i­fi­er d’alternative, liée à la pro­gram­ma­tion qu’il y avait dans le théâtre. « Alter­na­tive » est peut-être un grand mot mais c’est une école qui a directe­ment fait appel, dès sa créa­tion, à Claude Régy, à François Tan­guy, per­son­nal­ités hors des sen­tiers habituels. Ceci me cor­re­spondait bien, au vu de mon par­cours. J’ai à la fois pro­longé quelque chose qui s’était inven­té, tout en accen­tu­ant cer­taines choses comme on le ferait, effec­tive­ment, d’un héritage. Je suis actuelle­ment en train de quit­ter l’école – je la dirige depuis douze ans – et j’essaie à présent de trans­met­tre à Éric Lacas­cade, comme j’en ai hérité, quelque chose de la tra­di­tion et de la par­tic­u­lar­ité de cette école.

K. J. : Vous dites que le TNB est une école « pas comme les autres », « alter­na­tive ». Quels seraient selon vous les tra­vers des écoles plus tra­di­tion­nelles ? 

S. N.: Je suis passé par ces écoles-là en tant qu’acteur ; j’ai étudié au con­ser­va­toire de Paris. J’en étais sor­ti depuis à peine dix ans lorsque j’ai pris la direc­tion de l’école du TNB. Sans doute était-ce très pré­cieux qu’un homme encore jeune dirige une école parce que j’avais un sou­venir assez vif des défauts et qual­ités de l’ensei- gne­ment reçu, sou­venir qui m’a servi pour rêver cette école. J’avais dévelop­pé avec Didi­er-Georges Gabi­ly cette idée de créer une struc­ture péd­a­gogique qu’on aurait appelée « L’Innovatoire », par réac­tion immé­di­ate et un peu bête au Con­ser­va­toire, parce que je pense qu’une école de théâtre doit aujourd’hui ouvrir plutôt que fer­mer, déplac­er plutôt qu’enfermer. Le principe d’une école se fonde sou­vent sur la volon­té de trans­met­tre quelque chose qui serait de l’ordre de la tra­di­tion, de per­pétuer. À Rennes à l’inverse, l’idée est plutôt de don­ner des fon­da­men­taux – c’est l’une des écoles de France où les élèves sont les meilleurs tech­ni­ciens, et je suis très attaché, comme artiste, à la ques­tion de la tech­nique et à la maîtrise de l’outil – et, en même temps, d’offrir un regard sur les dif­férents types de théâtre. Au Con­ser­va­toire, nous étions dressé à devenir de bons pro­duits de l’institution théâ­trale sus­cep­ti­bles d’intégrer de grandes pro­duc­tions ; le rêve étant de jouer Ham­letau Théâtre de l’Odéon ou quelque chose du genre. Je trou­vais que c’était une vision très réduc­trice du théâtre car il n’y a pas qu’un seul théâtre ! Il y a le théâtre dans les grandes insti­tu­tions, le théâtre itinérant, le théâtre pour les enfants, le théâtre croisé avec la danse ou le cirque, etc. Il y a énor­mé­ment d’expériences, énor­mé­ment de chemins. L’idée de cette école, et ce sys­tème de pro­mo­tion tri­en­nale le per­met, est d’éveiller les jeunes acteurs à un désir de théâtre pré­cis, celui qui leur con­vient. Quand les étu­di­ants arrivent à l’école, je les con­fronte en pre­mier à des textes de Roland Barthes ou de Michel Fou­cault, afin de les déplac­er immé­di­ate­ment, afin de les extraire d’où ils vien­nent. Dès le début, on les déplace de sorte qu’ils ressen­tent que l’art de l’acteur est avant tout un art de la curiosité qui intè­gre un large spec­tre de pos­si­bil­ités. On organ­ise des ren­con­tres avec des prati­ciens qui les emmè­nent dans des ter­ri­toires dif­férents et, en même temps, on les éveille dès l’entrée à l’école à ce qui se passera à la sor­tie de celle-ci, ce qui manque dans bien des for­ma­tions. À leur entrée, je leur dis sou­vent que ce que je cherche est qu’ils puis­sent sor­tir d’ici comme des acteurs « heureux et intel­li­gents ». Par intel­li­gence, j’entends, en référence au terme intel­li­go, la com­pré- hen­sion par l’acteur de ce qu’il est et de l’environnement où il évoluera ; en d’autres ter­mes, choisir un chemin qui lui con­vient. L’acteur heureux est celui qui sait dès le début que le méti­er qu’il pra­tique est inter­mit­tent. Même un acteur qui tra­vaille beau­coup ne tra­vaillera que six à huit mois par ans, et non douze. On dit sou­vent à ces jeunes gens qu’il est impor­tant pour eux d’être « acteur et…»: acteur et écrivain, acteur et péd­a­gogue, acteur et met­teur en scène, acteur et ingénieur du son, etc. L’autre sin­gu­lar­ité de l’école du TNB réside dans son cur­sus. Il n’y a pas de cours tech­niques réguliers à l’école, nous fonc­tion­nons par mas­ter class. On a fait le choix de l’immersion, qu’il s’agisse de choré­gra­phie, de danse ou d’autres dis­ci­plines, notam­ment en réac­tion à ce que j’ai per­son­nelle­ment vécu dans les écoles à l’intérieur desquelles les dis­ci­plines tech­niques étaient picorées.

Stanislas Nordey avec les étudiants de l’école du Théâtre National de Bretagne, 2011. Photo Caroline Ablain.
Stanis­las Nordey avec les étu­di­ants de l’école du Théâtre Nation­al de Bre­tagne, 2011.
Pho­to Car­o­line Ablain.

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Stanislas Nordey
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Kevin Jacquet
Diplômé du Master en Arts du Spectacle de l’Université de Liège, Kevin Jacquet prépare actuellement...Plus d'info
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