Un désordre constructif

Entretien
Théâtre

Un désordre constructif

Entretien avec Stuart B. Seide

Le 22 Jan 2012
Stuart B. Seide et les élèves de la deuxième promotion de l’EPSAD, octobre 2008. Photo Pidz.
Stuart B. Seide et les élèves de la deuxième promotion de l’EPSAD, octobre 2008. Photo Pidz.

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Stuart B. Seide et les élèves de la deuxième promotion de l’EPSAD, octobre 2008. Photo Pidz.
Stuart B. Seide et les élèves de la deuxième promotion de l’EPSAD, octobre 2008. Photo Pidz.

YANNIC MANCEL : Je me sou­viens avoir lu dans la presse, au moment de votre nom­i­na­tion à la tête de ce Cen­tre Dra­ma­tique aujourd’hui rebap­tisé Théâtre du Nord, que l’État vous avait choisi pour vous y inve­stir d’une mis­sion de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle en art dra­ma­tique qui, à l’époque, fai­sait cru­elle­ment défaut au nord d’une ligne Rennes-Paris-Stras­bourg.

Stu­art B. Sei­de : Plus exacte­ment, accom­pa­g­nant ma nom­i­na­tion à la tête du Cen­tre Dra­ma­tique, il était stip­ulé que j’étais chargé de réfléchir sur l’état de la péd­a­gogie dans la région, ce qui m’a un peu sur­pris parce qu’il n’en avait jamais été ques­tion dans les entre­tiens préal­ables, même si je sen­tais bien que mes dix années d’expérience d’enseignement au Con­ser­va­toire Nation­al, précédées de qua­tre années à l’ENSATT, ex-École de la Rue Blanche, et de quelques stages dirigés à l’École de la Comédie de Saint-Éti­enne ou à celle du TNS, intéres­saient mes inter­locu­teurs. Dans un pre­mier temps j’ai donc observé, ren­con­tré des gens et dressé un état des lieux, comme pour un audit. J’ai pu alors con­stater que la classe pro­fes­sion­nelle du Con­ser­va­toire de Lille était fer­mée depuis une dizaine d’années, et que la Comédie de Béthune avait un vague pro­jet, encore très impré­cis, dans lequel j’aurais peut-être pu, à titre per­son­nel, trou­ver ma place. Mais ce n’est qu’au bout d’un an ou un an et demi d’exploration, de con­sul­ta­tion et de réflex­ion, qu’il m’est apparu évi­dent que la solu­tion aux besoins exprimés par les autorités poli­tiques comme par les forces vives de l’activité théâ­trale dans cette région Nord Pas-de-Calais, était la créa­tion d’une école ®attachée au Cen­tre Dra­ma­tique. Au print­emps 1999, j’ai donc remis aux parte­naires poli­tiques et financiers un pré-pro­jet qui était déjà la pre­mière esquisse de ce que deviendrait dans la réal­ité l’EPSAD, notre École Pro­fes­sion­nelle Supérieure d’Art Dra­ma­tique. Et pour­tant l’École n’ouvrirait ses portes à une pre­mière pro­mo­tion qu’en sep­tem­bre 2003 : il aura donc fal­lu cinq ans de mat­u­ra­tion et de con­struc­tion pour que les dif­férents parte­naires poli­tiques (État, Région et Ville de Lille) s’accordent sur la déf­i­ni­tion admin­is­tra­tive, juridique et finan­cière de cette nou­velle insti­tu­tion.

Y. M.: Qu’a donc représen­té pour vous le fait de fonder une nou­velle école, par oppo­si­tion à l’héritage d’une école déjà exis­tante ? 

S. B. S. : Je ne sais pas si j’aurais accep­té la direc­tion d’une école déjà exis­tante. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la péd­a­gogie, c’est le rap­port direct avec des jeunes gens, ce dia­logue qui a pour objec­tif la con­struc­tion de leur être théâ­tral.

Y. M.: Le mod­èle con­tenu dans votre pré-pro­jet était un mod­èle que vous avait inspiré votre pra­tique dans d’autres écoles – je pense notam­ment à Stras­bourg et à Saint-Éti­enne?…

S. B. S. : En effet, bien que ma pra­tique la plus ancrée dans l’expérience et la durée fût celle du Con­ser­va­toire, le mod­èle que nous avions en tête était bien celui de Stras­bourg, avec des cours dits « tech­niques » et récur­rents le matin, et des ate­liers l’après-midi, d’une durée de qua­tre à six semaines, encadrés par des acteurs ou des met­teurs en scène autour d’un auteur, d’une œuvre ou d’un thème, plutôt que trois ou qua­tre pro­fesseurs per­ma­nents qui, sur le mod­èle des con­ser­va­toires, dans une classe, font tra­vailler des scènes. Mais ce que j’apprécie par-dessus tout, dans notre fonc­tion­nement, c’est que nous ne recru­tons que quinze élèves-acteurs pour une durée de trois ans, un petit groupe homogène que nous pou­vons accom­pa­g­n­er indi­vidu­elle­ment dans la durée, sans avoir à partager notre atten­tion entre plusieurs pro­mo­tions ou avec d’autres sec­tions péd­a­gogiques comme c’est le cas dans de plus gross­es insti­tu­tions péd­a­gogiques. Cette dimen­sion famil­iale, très humaine, me réjouit car elle ren­force les liens que je peux entretenir avec cha­cun, et que cha­cun peut entretenir avec les enseignants, les artistes-inter­venants et le per­son­nel artis­tique, admin­is­tratif ou tech­nique du théâtre, toutes caté­gories con­fon­dues.

Y. M.: Quels sont pré­cisé­ment et con­crète­ment le avan­tages offerts par une école asso­ciée à un théâtre ? 

S. B. S. : Lorsqu’il y a une quar­an­taine d’années, je me suis for­mé au théâtre dans les uni­ver­sités améri­caines, en l’occurrence, à côté des cours d’art dra­ma­tique et d’interprétation, il nous fal­lait nous ini­ti­er à tous les postes de la créa­tion et de l’artisanat théâ­tral. Nous dis­po­sions dans nos locaux de trois salles de spec­ta­cle et de répéti­tion, et nous devions pro­duire des présen­ta­tions de spec­ta­cles dans leur entièreté, à rythmes réguliers, ce qui à cette époque de ma vie me parais­sait une évi­dence. Lorsque je suis arrivé en France, je me suis évidem­ment intéressé à la for­ma­tion, et donc au Con­ser­va­toire Nation­al et aux con­ser­va­toires de province, et j’ai été très éton­né que, pour y entr­er, on présen­tait des scènes, que pen­dant les trois années, on y tra­vail­lait des scènes, et que, pour en sor­tir, on présen­tait encore des scènes. On était donc éval­ué sur huit ou dix min­utes. Mais pour ce qui con­cerne la con­struc­tion d’un per­son­nage pen­dant deux mois sur une durée de qua­tre ou cinq actes, le place­ment du corps et du vis­age dans un éclairage tou­jours changeant, le port et l’acceptation d’un cos­tume, etc., apparem­ment rien n’était prévu. Sur ce point, je me sens très proche d’Antoine Vitez : certes, l’école de théâtre doit être un lab­o­ra­toire pro­tégé, dont l’ébullition fonc­tionne en vase clos, sans aucun objec­tif de rentabil­ité ni d’efficacité, un espace de recherche libre et impro­duc­tif…, mais elle doit aus­si, à inter­valles réguliers, se con­fron­ter à des ren­dez-vous avec les con­traintes et les réal­ités arti­sanales du « méti­er » et se col­leter notam­ment avec l’intégralité d’une œuvre et sa présen­ta­tion au pub­lic. Et puis une école de théâtre, en plus de sa grille péd­a­gogique et de son plan­ning de cours, se doit, me sem­ble-t-il, de favoris­er les ren­con­tres for­tu­ites, spon­tanées, informelles avec les acteurs et les actri­ces des spec­ta­cles pro­gram­més. Tout jeune élève-acteur qui le souhaite peut être engagé pri­or­i­taire­ment comme ouvreur au Théâtre du Nord : il pour­ra ain­si assis­ter en salle cinq fois, dix fois à la représen­ta­tion de la même pièce et ren­con­tr­er plusieurs fois les acteurs ou le met­teur en scène dans les espaces publics du théâtre, à quoi s’ajoutera pour lui la très grande richesse de pro­gram­ma­tion de la métro­pole lil­loise. Autre point de cohérence entre le théâtre et son école : la plu­part de nos inter­venants sont des artistes en activ­ité dont les spec­ta­cles, ceux dans lesquels ils jouent ou qu’ils met­tent en scène, sont à un moment ou à un autre, et sou­vent de façon récur­rente, pro­gram­més dans les saisons du Théâtre du Nord.

Les élèves de la première promotion de l’EPSAD (École professionnelle supérieure d’Art dramatique de Lille) dans HAMLET(S) de William Shakespeare, mise en scène Stuart B. Seide, juin 2006. Photo Pidz.
Les élèves de la pre­mière pro­mo­tion de l’EPSAD (École pro­fes­sion­nelle supérieure d’Art dra­ma­tique de Lille) dans HAMLET(S) de William Shake­speare, mise en scène Stu­art B. Sei­de, juin 2006.
Pho­to Pidz.

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Stuart B. Seide
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Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre National de Strasbourg puis au Théâtre National de Belgique, Yannic...Plus d'info
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