Des clés pour comprendre le monde

Entretien
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Des clés pour comprendre le monde

Entretien avec Peter de Caluwe

Le 12 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

LEYLI DARYOUSH : Vous êtes directeur général de l’Opéra la Mon­naie depuis 2007. La Mon­naie est aujourd’hui con­sid­érée comme une des maisons d’opéras les plus avant-gardistes d’Europe. Elle vient d’être élue « Opéra de l’année » par la revue Opern­welt. Est-ce que cette recon­nais­sance va de pair avec un raje­u­nisse­ment et une évo­lu­tion du pub­lic ?

Peter de Caluwe : Oui, je con­state une évo­lu­tion et un cer­tain raje­u­nisse­ment du pub­lic depuis mon arrivée. Quand je suis arrivé à Brux­elles, et j’avais fait le même con­stat à l’Opéra d’Amsterdam, il y avait un pub­lic dif­férent pour le théâtre français, le théâtre néer­lan­do­phone, la musique baroque, la danse, le ciné­ma, l’art con­tem­po­rain, et même un pub­lic dis­tinct selon les for­ma­tions d’ensemble ou les grands orchestres sym­phoniques.
Com­parée à Paris ou Lon­dres, Brux­elles n’est pas une grande ville et il me faut rassem­bler tous ces publics pour leur offrir une pro­gram­ma­tion dans laque­lle ils dis­posent d’une clé d’entrée pour accéder à divers types de spec­ta­cle – un opéra baroque, une mise en scène réal­isée par un met­teur en scène con­ceptuel, une lec­ture nou­velle par un grand artiste venant des arts plas­tiques.
On par­le sou­vent de renou­velle­ment du pub­lic. Mais encore faudrait-il garder le pub­lic dont on dis­pose et lui offrir des argu­ments con­va­in­cants pour qu’il con­tin­ue de venir. Je ne plaide pas pour un pub­lic tra­di­tion­nel ou jeune mais pour un pub­lic ouvert et curieux. Je suis un ama­teur dans le vrai sens du mot : j’adore l’opéra, la scène, la musique. J’aime aller voir un spec­ta­cle dans un esprit de décou­verte. C’est ain­si que je conçois ma mis­sion de créa­tion d’un nou­veau pub­lic. La Mon­naie ren­con­tre un grand nom­bre de jeunes de dif­férents âges, du pri­maire à l’université. L’année dernière, entre quar­ante-cinq et quar­ante-sept jeunes ont été asso­ciés à des spec­ta­cles, à des pro­jets sco­laires, à des work­shops. Nous accom­pa­gnons ces jeunes mais nous les per­dons lorsqu’ils ont entre trente et quar­ante-cinq ans. Au moment où ils s’installent et com­men­cent leurs vies famil­iale et pro­fes­sion­nelle, ils dis­parais­sent. Ceux qui ont été vrai­ment touchés par notre démarche revi­en­nent plus tard. Que le pub­lic ait soix­ante ou soix­ante-quinze ans importe peu pourvu qu’il soit curieux.
Ce qui m’importe, c’est d’influencer la men­tal­ité du pub­lic. Dans PARSIFAL, les fig­u­rants qui for­maient la mini-com­mu­nauté sur la scène étaient très liés entre eux, le pub­lic l’a ressen­ti. PARSIFAL n’était plus un spec­ta­cle loin­tain conçu pour Bayreuth, il n’était plus un mythe figé dans un monde intem­porel ; l’humanité présente sur le plateau inter­pelait, engageait la com­mu­nauté qu’était le pub­lic.

L. D. : La Mon­naie étant un opéra sub­ven­tion­né, vous main­tenez l’idée que cette mai­son d’opéra a un rôle à jouer dans la société. Quelle impor­tance accordez-vous à la dimen­sion poli­tique des œuvres ? Com­ment l’abordez-vous ?

P. d. C. : Je crois que toute représen­ta­tion artis­tique est un geste fort avec une volon­té human­iste, poli­tique et sociale. Bien que je sois fasciné par l’art pour l’art, je pense qu’il n’exprime rien aujourd’hui. C’est une notion qui ne me motive plus du tout. En décem­bre dernier, nous avons présen­té une mag­nifique pro­duc­tion de CENDRILLON de Massenet. C’est impor­tant à l’intérieur d’une pro­gram­ma­tion de pro­pos­er un spec­ta­cle plus facile­ment acces­si­ble. Mais cela ne me fait pas avancer. Un théâtre sub­ven­tion­né a une dimen­sion sociale. On a le devoir de faire partager l’humanisme, les valeurs uni­verselles, comme la tolérance et le respect de l’autre. Le pub­lic doit se ren­dre compte qu’on ne pro­gramme pas dans le vide, qu’on n’utilise pas son argent de con­tribuable seule­ment pour le diver­tir.

L. D. : Vous les guidez en quelque sorte ?

P. d. C. : Je n’aime pas le mot guider. Je ne pense pas que l’art doive impos­er quelque chose. Notre récente pro­duc­tion de SALOMÉ mise en scène par Guy Joost­en est aboutie parce qu’elle est liée à l’histoire de cette famille et au texte. Mais le pub­lic s’est mon­tré réti­cent parce qu’il n’y avait pas – or c’était sans doute là, sa grande attente – la danse de Salomé. Peut-être les spec­ta­teurs n’ont-ils pas été atten­tifs au film pro­jeté qui mon­trait l’abus de cette fille par son père adop­tif, ou ne voulaient pas le voir ou même l’imaginer.
Comme human­iste, j’ai trop de respect pour le point de vue de l’autre pour lui impos­er une opin­ion. Je crois que c’est l’artiste qui a toute la lib­erté. Quand je choi­sis un artiste pour une pro­duc­tion, c’est un choix que je fais, et c’est déjà un choix poli­tique, tout comme le choix d’une pro­gram­ma­tion et d’une thé­ma­tique. Mais je ne veux pas entr­er en rela­tion directe avec l’œuvre, je me lim­ite au rôle d’imprésario, pas de dra­maturge.

L. D. : La Mon­naie présente des spec­ta­cles d’opéra et de danse, des réc­i­tals et des con­certs. Com­ment trans­met­tre ces formes si dif­férentes à un jeune pub­lic ? Con­sid­érez-vous que vous ayez une mis­sion péd­a­gogique ?

P. d. C. : L’éducation est une chose très impor­tante, mais elle ne doit pas devenir une oblig­a­tion pour les insti­tu­tions cul­turelles. La Mon­naie peut jouer un rôle de catal­y­seur mais elle ne peut pas pren­dre cette édu­ca­tion en charge. Notre méti­er, c’est de créer et partager ce qu’on fait. Et les jeunes qui vien­nent ici s’éprennent de ce qu’ils voient. En 2010, nous avons réal­isé BRUSSELS REQUIEM, un pro­jet imag­iné depuis longtemps, et qui impli­quait toutes les reli­gions et cul­tures de Brux­elles. Le com­pos­i­teur, le met­teur en scène et la choré­graphe ont mené un tra­vail autour des REQUIEM de Fau­ré et de Ver­di avec des class­es pri­maires de dif­férentes écoles.
Des musul­mans, des juifs, des chré­tiens, des laïcs ont chan­té en chœur le Dies iræ. On a ensuite exé­cuté un requiem qui reste l’un des moments théâ­traux les plus forts que j’ai jamais vécus. La réac­tion des par­ents fut pos­i­tive, ils se sont par­lés, les enseignants nous ont appris que ce pro­jet artis­tique avait eu un effet béné­fique sur la con­cen­tra­tion des élèves dans les class­es. Une forte émo­tion se dégageait du spec­ta­cle. Il ne fut représen­té que qua­tre fois, ce qui est trop peu, et on ne pour­ra pas le repren­dre. Mais un nou­veau pro­jet com­mu­ni­ty est prévu en 2014.

L. D. : Brux­elles est la cap­i­tale de l’Europe et la Mon­naie sem­ble pro­longer une cer­taine idée européenne. Les dif­fi­cultés poli­tiques entre la Flan­dre et la Wal­lonie illus­trent les prob­lèmes de l’Europe à plus petite échelle. Quelles répons­es la Mon­naie peut-elle don­ner à une Bel­gique et une Europe divisées et en quête d’elles-mêmes ?

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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
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