Ivo van Hove : le théâtre aux deux bouts de l’opéra
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Ivo van Hove : le théâtre aux deux bouts de l’opéra

Le 24 Juil 2012
Constance Hauman et Christopher Lincoln dans LULU d’Alban Berg, direction musicale Bernhard Kontarsky, mise en scène Ivo van Hove, janvier 1999, Vlaamse Opera (Anvers).
Photo Annemie Augustijns / Vlaamse Opera.
Constance Hauman et Christopher Lincoln dans LULU d’Alban Berg, direction musicale Bernhard Kontarsky, mise en scène Ivo van Hove, janvier 1999, Vlaamse Opera (Anvers).
Photo Annemie Augustiins / Vlaamse Opera.

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Constance Hauman et Christopher Lincoln dans LULU d’Alban Berg, direction musicale Bernhard Kontarsky, mise en scène Ivo van Hove, janvier 1999, Vlaamse Opera (Anvers).
Photo Annemie Augustijns / Vlaamse Opera.
Constance Hauman et Christopher Lincoln dans LULU d’Alban Berg, direction musicale Bernhard Kontarsky, mise en scène Ivo van Hove, janvier 1999, Vlaamse Opera (Anvers).
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Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

LA MUSIQUE, toutes les musiques inner­vent en pro­fondeur l’univers scénique d’Ivo van Hove : depuis le début, c’est « un élé­ment con­sti­tu­tif » de son théâtre, « un acteur à part entière »1. Sa pre­mière pièce, GERUCHTEN (Rumeurs, 1981), swinguait entre le tan­go et le dis­co, et sa deux­ième, ZIEKTEKIEMEN (Ger­mes­pathogènes, 1982), acco­lait un morceau de Queen, « Oh ! Dar­ling » des Bea­t­les, un air chan­té par Yves Mon­tand dans LE MILLIARDAIRE, des extraits des ban­des-son de James­Bondet de Cit­i­zenKane. Plus récem­ment, David Bowie voilait le ciel d’ANGELS IN AMERICA de Tony Kush­n­er (2008), Neil Young alan­guis­sait OPENING NIGHT et Bruce Spring­steen débridait HUSBANDS d’après Cas­savetes (2006 et 2012). L’insertion des chan­sons obéit elle-même à une modal­ité d’ordre musi­cal : écho du con­texte d’écriture, inter­lude ou osti­na­to, accom­pa­g­ne­ment ou point d’orgue émo­tion­nel, caisse de réso­nance du sous- texte ou vari­a­tion sur un thème par­fois tein­tée de par­o­die (« Hon­esty is such a lone­ly word » de Bil­ly Joel dans LE MISANTHROPE). Mais il n’est pas rare que la musique soit aus­si jouée en direct, com­posée par Har­ry de Wit pour UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR (1995), par le groupe Bl!ndman pour les TRAGÉDIES ROMAINES (2007) et THÉORÈME d’après Pasoli­ni (2009) – des morceaux orig­in­aux d’Éric Sle­ichim encad­rant l’interprétation de quatuors de Beethoven et de Webern –, ou encore par Eef van Breen pour LE PROJET ANTONIONI, où reten­tis­sait aus­si la Marche funèbre de SIEGFRIED (2009)… Du dis­co à la musique sym­phonique, en pas­sant par le rock, la pop, le jazz et l’électroacoustique, les choix sont indé­nia- ble­ment éclec­tiques, aux­quels il con­viendrait encore d’ajouter la mise en scène de la comédie musi­cale RENT de Jonathan Lar­son (2000) ou la créa­tion d’une nou­velle CARMEN sur une musique de Stef Kamil Car­lens (2002).

Si l’ancrage de la musique ouvre la voie aux incur­sions dans l’opéra, non moins éclec­tique paraît de prime abord le réper­toire lyrique : LULU de Berg (Vlaamse Opera, 1999), L’AFFAIRE MAKROPOULOS de Janácek (Ned­er­landse Opera, 2002), IOLANTA de Tchaïkovs­ki (Ned­er­landse Opera, 2004), LE RING de Wag­n­er (Vlaamse Opera, 2006 – 2008) et IDOMÉNÉE de Mozart (Théâtre roy­al de la Mon­naie, 2010). Ces œuvres, autant la dis­par­ité des styles et l’amplitude des for­mats parais­sent les éloign­er, autant un fort coef­fi­cient de théâ­tral­ité les rap­proche, qu’elles tirent de la mytholo­gie ou de per­son­nages légendaires. Est-ce une coïn­ci­dence si plusieurs ont été mon­tées par Chéreau – ou si Chéreau, du moins, a mon­té des opéras écrits par les mêmes com­pos­i­teurs, à l’exception notable de Tchaïkovs­ki ? Sans doute pas. Car s’il est un met­teur en scène qu’Ivo van Hove admire tout par­ti­c­ulière­ment, pour l’intensité du jeu qu’il imprime aux chanteurs et pour sa direc­tion des chœurs, c’est juste­ment lui. Il n’est donc pas for­tu­it non plus que, dans sa pro­pre inter­pré­ta­tion du troisième acte de la WALKYRIE, il rap­pelle, comme en hom­mage, les chevaux de Chéreau présents en 1976 (on sait qu’ils ont dis­paru ensuite, qu’ils n’étaient qu’un « principe ini­tial » ou une « étape de l’apprentissage »)2. Chéreau, pour­tant, est venu plus vite, plus tôt, à la mise en scène lyrique. Pourquoi van Hove a‑t-il atten­du ? Par manque d’occasions ? Par insécu­rité ? Peut-être. Mais, par-dessus tout, la con­nais­sance du plateau lui sem­blait (et lui sem­ble tou­jours) indis­pens­able pour retrou­ver, dans un art aus­si « dis­ci­pliné » que l’opéra, la même lib­erté qu’au théâtre – une lib­erté sen­si­ble­ment écornée par celui qu’il qual­i­fie de « pre­mier met­teur en scène », le com­pos­i­teur, et celui qu’il désigne sous le nom de « sec­ond cap­i­taine du navire », le chef d’orchestre. Le théâtre est son ter­ri­toire et l’opéra sa con­quête. Théâtre-lab­o­ra­toire, opéra-mise à l’épreuve. Désor­mais, depuis une dizaine d’années, une cir­cu­la­tion s’est établie entre les deux formes et l’activité lyrique va s’intensifiant : en 2012 – 2013, Ivo van Hove va met­tre en scène DER SCHATZGRÄBER de Schrek­er au Ned­er­landse Opera, MACBETH de Ver­di à l’Opéra de Lyon et MAZEPPA de Tchaïkovs­ki au Komis­che Oper3.

LULU, le pre­mier opéra qu’il monte en 1999, lui per­met à la fois de renouer avec la matrice de l’œuvre, la pièce de Wedekind qu’il a mise en scène en 1989, et d’affirmer, ici comme au théâtre, son intérêt pour les per­son­nages féminins plus grands que nature, « forts et vul­nérables à la fois », sou­vent tor­turés, par­fois névrosés, tou­jours aliénés, mar­gin­aux, peut-être mon­strueux – des « out­siders » comme il les nomme. Lulu, femme fatale s’attirant les faveurs de tous, meur­trière mal­gré elle, pros­ti­tuée assas­s­inée dans la détresse ; Emil­ia Mar­ty, diva esseulée, fatiguée de liaisons super­fi­cielles comme d’une immor­tal­ité sans lende­main, mourant pour retrou­ver sa con­di­tion humaine ; Brünnhilde, brisant la loi pater­nelle, amoureuse solaire et trahie, entraî­nant dans son immo­la­tion la chute de l’ordre ancien ; Élec­tre, furieuse et vin­dica­tive, dou­ble som­bre de la pris­on­nière Ilia qui parvient, elle, à « tran­scen­der sa douleur » par un amour sal­va­teur. Blanche Dubois et Hed­da Gabler ne sont pas loin…

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Écrit par Frédéric Maurin
Frédéric Mau­rin est maître de con­férences à l’Institut d’Études Théâ­trales de l’Université Sor­bonne Nou­velle – Paris 3. Depuis...Plus d'info
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