L’OPÉRA, le metteur en scène n’est pas seul maître de l’interprétation d’un texte ni du rythme d’un spectacle. Le chef d’orchestre est là aussi, grand ordonnateur des représentations auxquelles il participe activement depuis sa position centrale en fosse, quand le metteur en scène reste dans l’ombre des coulisses, réduit à « donner des notes » aux chanteurs s’il veut influer encore sur l’activité scénique. Cette complémentarité du chef d’orchestre et du metteur en scène demande certaines affinités. Lesquelles menacent parfois de tourner en concurrence préjudiciable. Le « mariage » de ces deux artistes demeure donc une alchimie complexe et délicate, de celles qui rendent l’aventure lyrique aussi passionnante que risquée. Mais parmi la multitude de chefs aux goûts et styles fort divers, il en est certains qui ont la fièvre du théâtre en musique, jusqu’à sélectionner soigneusement les metteurs en scène avec lesquels ils travaillent et parfois même à favoriser des collaborations sur le long terme. Le Français Marc Minkowski fait indéniablement partie de ceux-ci.
Né en 1962, Marc Minkowski a d’abord suivi une formation de bassoniste avant de s’essayer à la direction d’orchestre. Élève d’un lycée alsacien qui avait développé un programme culturel soutenu, il y découvre à la fois la musique et l’art dramatique. « J’avais une sorte de don pour la récitation, et j’adorais ça. Quand on nous faisait travailler du Molière, j’étais ému, électrisé…» C’est dans les mêmes circonstances que Marc Minkowski se découvre un goût pour l’art des sons. « Quand j’ai commencé à faire de la musique, l’amour du théâtre était toujours là, mais c’est bien plus tard, quand j’ai dirigé mon premier opéra, DIDON ET ÉNÉE de Purcell, que j’ai réalisé que tout était lié. J’avais dix-neuf ans, ce monde était nouveau pour moi. Je n’avais pas encore compris combien il me renvoyait à mes premières amours et à ma vocation de comédien. » Vocation ? « J’en ai pris conscience la première fois que j’ai vu Philippe Caubert dans un des épisodes initiaux du ROMAN D’UN ACTEUR. En sortant, j’étais tellement impressionné et excité que je me suis demandé si je ne voulais pas arrêter la musique pour exercer ce métier-là. » Mais l’amour de la musique l’a emporté. Minkowski s’intéresse au renouveau de la musique baroque et à l’interprétation « à l’ancienne ». Il fera d’ailleurs partie de l’orchestre d’Atys qui, sous la direction de William Christie en 1987, constitue une étape importante dans la redécouverte de l’opéra baroque français.
Lorsque le jeune bassoniste passe du statut de musicien du rang à celui de chef d’orchestre, le hasard veut que ce soit d’emblée dans un contexte théâtral. « Les membres d’un chœur amateur m’avaient demandé de les diriger dans DIDON ET ÉNÉE de Purcell. Je les connaissais pour avoir joué avec eux, au sein d’un orchestre. Après DIDON ET ÉNÉE, nous avons monté FAIRY QUEEN et KING ARTHUR. Ces œuvres de Purcell ont été les « rampes de lancement » de mon activité de chef. C’était sans doute une manière de renouer avec mon attachement ancien au théâtre. » Quelques années plus tard, son premier disque est d’ailleurs consacré aux partitions que Lully a composées pour les comédies-ballets de Molière. Mais si l’opéra va devenir une activité centrale dans la carrière du jeune chef, elle n’est pas exclusive. « J’ai en même temps suivi des Académies aux États-Unis avec le chef d’orchestre Charles Brück, où je ne faisais que de la musique symphonique pour me former. Je programmais autant d’oeuvres instrumentales que vocales… Mais je n’avais rien planifié : tout cela s’est fait dans une joyeuse improvisation. »
Il n’en reste pas moins que l’activité de chef en fosse va aller en s’intensifiant avec les années, dans les festivals et théâtres les plus dynamiques (Opéra de Lyon, Festival de Salzbourg, Opéra national de Paris, Théâtre de la Monnaie à Bruxelles…) ou en concert (on se souvient de mémorables tournées d’ARIODANTE de Haendel ou d’ARMIDE de Gluck). Là, le « style Minkowski » se distingue par une attention constante portée au rythme sur tous les plans, c’est-à-dire au grand arc assurant sa cohérence à une soirée lyrique comme aux contrastes dramatiques qui rendent chaque scène nécessaire. D’aucun ont pu d’ailleurs lui reprocher cet amour des contrastes qui le conduit, par exemple, à diriger un des grands airs d’ARIODANTE en alanguissant le tempo jusqu’à le faire durer douze minutes quand il n’en fait que sept dans d’autres interprétations ! Mais le talent « théâtral » de Minkowski ne réside pas seulement dans les choix de tempi : il se décline dans le caractère trouvé à chaque instant du drame, dans des phrasés toujours signifiants et expressifs, dans une attention portée aux mots, une volonté de « raconter » sans cesse, qui rendent ses versions de concert et ses disques aussi palpitants que des représentations scéniques.