Un artiste protéiforme
Entretien
Opéra

Un artiste protéiforme

Entretien avec William Kentridge

Le 15 Juil 2012
Vladimir Samsonov dans LE NEZ de Dimitri Chostakovitch, mise en scène William Kentridge, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2011. Photo Pascal Victor.
Vladimir Samsonov dans LE NEZ de Dimitri Chostakovitch, mise en scène William Kentridge, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2011. Photo Pascal Victor.

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Vladimir Samsonov dans LE NEZ de Dimitri Chostakovitch, mise en scène William Kentridge, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2011. Photo Pascal Victor.
Vladimir Samsonov dans LE NEZ de Dimitri Chostakovitch, mise en scène William Kentridge, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2011. Photo Pascal Victor.
Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

DENISE WENDEL : Vous avez imag­iné et mis en scène plusieurs pro­duc­tions pour le théâtre et l’opéra, basées sur des œuvres telles que WOYZECK de Bruck­n­er, FAUST de Goethe ou UBU ROI d’Alfred Jar­ry. En 1998, votre pre­mière pro­duc­tion à l’opéra, IL RITORNO D’ULISSE de Mon­tever­di, était une col­lab­o­ra­tion avec la Hand­spring Pup­pet Com­pa­ny, basée à Johan­nes­burg, lors du Kun­sten­Fes­ti­valde­sArts à Brux­elles. Elle a été suiv­ie de LA FLÛTE ENCHANTÉE au Théâtre de la Mon­naie à Brux­elles en 2003 puis de l’opéra LE NEZ de Chostakovitch au Met­ro­pol­i­tan Opera de New York en 2009. Vous êtes un artiste inter­na­tion­al dont on con­nait l’implication dans les décors à tra­vers les œuvres d’art générées par ces pro­jets, par exem­ple LEARNING THE FLUTE, une instal­la­tion présen­tée à Goslar, en Alle­magne, où vous avez rem­porté le prix Kaiser Ring en 2003, ou les eaux fortes réal­isées pour LE NEZ, exposées une pre­mière fois au MoMa à New York. Votre tra­vail de met­teur en scène de théâtre est peut-être moins con­nu.

William Ken­tridge : Il y a des met­teurs en scène qui enchaî­nent huit pro­duc­tions par an pen­dant vingt ans, alors que j’ai fait, en tout et pour tout, huit pro­duc­tions en trente ans. Alors par­fois je me demande « Mais qu’est-ce que tu fab­riques ? Tu te prends pour un met­teur en scène ?» Je n’ai pas tout à fait l’impression d’être un char­la­tan de la mise en scène, mais j’ai du mal à me com­par­er aux met­teurs en scène qui ne font que du théâtre.

D. W. :Quand vous êtes venu à Paris pour inté­gr­er la classe de Jacques Lecoq à l’École Inter­na­tionale de Théâtre dans les années 1980, vous aviez l’intention d’étudier le jeu d’acteur et la mise en scène.

W. K. : J ’étais à une étape de ma vie où je ne savais pas ce que je voulais faire, et où j’avais le choix entre trois choses : soit je con­tin­u­ais à étudi­er l’art et je devais aller dans une école d’art recon­nue, comme la Slade School ou la Cen­tral School of Art à Lon­dres ; soit j’étudiais le ciné­ma, à la New York Film School ; soit je pour­suiv­ais le théâtre, mais je voulais dans ce cas une école qui s’intéressait à l’improvisation – Jacques Lecoq était donc un bon choix. Cette année-là, 1981 – 1982, à Paris, se révéla être l’année d’enseignement la plus pro­duc­tive que j’aie jamais reçue.

D. W. : Les tech­niques Lecoq vous ser­vent-elles tou­jours aujourd’hui dans votre tra­vail de met­teur en scène ?

W. K. : Oui, tout le temps ! Les tech­niques Lecoq don­nent un moyen pour arriv­er, par l’intermédiaire d’exercices util­isant des métaphores très con­crètes, à une sig­ni­fi­ca­tion qui n’a rien à voir avec la moti­va­tion psy­chologique du jeu d’acteur. On demande à l’acteur d’imaginer un objet physique, par exem­ple un bloc d’argile, d’imaginer à quoi ressem­ble l’argile, ses pro­priétés physiques – la pos­si­bil­ité de la découper, de la malax­er, sa fac­ulté à garder la forme qu’on lui imprime –, d’étudier les pro­priétés dynamiques de l’argile. Il se pro­duit alors un trans­fert de ces sen­sa­tions dans le tra­vail dra­ma­tique de l’acteur. Avec ces out­ils, on peut con­stru­ire tout un per­son­nage, et au fur et à mesure que l’on tra­vaille un rôle, ces sen­sa­tions restent, et on peut s’y reporter pour se recon­necter immé­di­ate­ment au per­son­nage.

D. W. : Ces tech­niques sont-elles utiles aux chanteurs d’opéra ?

W. K. : Avec les chanteurs d’opéra, il faut adopter une approche très dif­férente. Par exem­ple, il serait impos­si­ble de sol­liciter de la part d’un chanteur le genre d’improvisations physique­ment exténu­antes que l’on pour­rait deman­der à un acteur, tout d’abord en rai­son des exi­gences physiques liées à une bonne pro­jec­tion de la voix, et ensuite en rai­son du cadre tem­porel fixé par la musique. Il faut donc trou­ver un itinéraire métaphorique dif­férent, qui soit sans dif­fi­culté physique extrême.
Mais le tra­vail avec les chanteurs peut être dif­fi­cile parce que, plus qu’au théâtre, on se trou­ve face à quelqu’un qui peut avoir déjà chan­té le même rôle pour douze maisons d’opéra dif­férentes, et qui a sa manière d’interpréter Papageno, sa manière d’interpréter Pam­i­na, avec plein de tics. C’est par­fois très dif­fi­cile de les sup­primer et de repar­tir à zéro.

D. W. : Les pro­duc­tions lyriques impliquent aus­si une col­lab­o­ra­tion avec le chef d’orchestre, qui a sou­vent ses pro­pres idées sur une œuvre pré­cise.

W. K. : Aucune de mes expéri­ences de col­lab­o­ra­tion avec un chef d’orchestre n’a été con­clu­ante. Je n’ai jamais eu de vraie con­ver­sa­tion sur des ques­tions artis­tiques avec un chef d’orchestre, jamais !
J’ai par exem­ple tra­vail­lé avec un chef d’orchestre qui voulait régler au mil­limètre près le moin­dre détail de la mise en scène. Il m’avait expliqué lors d’une pre­mière ren­con­tre ce qu’il voulait faire sur le plan musi­cal, et com­ment il voulait traiter les dia­logues ; nous avons donc eu un petit bras de fer à ce sujet, jusqu’à ce que je lui explique que les dia­logues étaient mon domaine.
Un autre chef était absent pen­dant toute la péri­ode des répéti­tions. Il n’est arrivé que trois jours avant la pre­mière pour se famil­iaris­er avec la mise en scène. Pour une nou­velle pro­duc­tion, ce serait bien de trou­ver un chef d’orchestre, ou peut-être un dra­maturge musi­cal, avec qui je pour­rais avoir un réel échange d’idées.

Daniel Behle (Tamino) et Marlis Petersen (de dos) dans LA FLÛTE ENCHANTÉE de W. A. Mozart, mise en scène William Kentridge, direction musicale René Jacobs, Festival d’Aix-en-Provence, 2009. Photo Johan Jacobs.
Daniel Behle (Tamino) et Marlis Petersen (de dos) dans LA FLÛTE ENCHANTÉE de W. A. Mozart, mise en scène William Ken­tridge, direc­tion musi­cale René Jacobs, Fes­ti­val d’Aix-en-Provence, 2009. Pho­to Johan Jacobs.

D. W. : Vous aviez nour­ri l’espoir de devenir acteur, qu’en est-il advenu ?

W. K. : Les bons acteurs sont comme des caméléons, dans le sens où ils peu­vent endoss­er des per­son­nages très dif­férents, si bien qu’à chaque fois qu’on les voit sur scène, ils sont com­plète­ment trans­for­més. Tan­dis que moi, j’avais l’impression que, peu importe ce que j’allais faire, ce serait tou­jours la même per­for­mance. Je pense que j’ai eu de la chance de décou­vrir à l’école de théâtre que j’étais à ce point mau­vais acteur. J’en étais réduit à être un artiste, et je m’en suis accom­modé.

D. W. : Vous avez pour­tant rem­porté un suc­cès con­sid­érable avec votre spec­ta­cle en solo I AM NOT ME, THE HORSE IS NOT MINE, une con­férence-per­for­mance accom­pa­g­née de pro­jec­tions, ini­tiale­ment réal­isée pour la Syd­ney Bien­nale en juin 2008.

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Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre

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14 Juil 2012 — BERNARD DEBROUX : Ton expérience de directeur d’opéra est double puisque tu as à la fois dirigé La Monnaie pendant…

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Par Bernard Debroux
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