NATURELLEMENT, faire « chanter une caserne comme un théâtre » n’a pas été dénué d’excitation, encore moins d’authentique émulation artistique. Et puis, tout cela fut passionnant et formateur. Et totalement rigolo… Il n’en demeure pas moins que je dois à ces années « sauvages » mon indéfectible constance et ma foi en un chemin artistique sans concession. Durer ainsi nécessite bien sûr une dose certaine d’abnégation ; c’est un peu comme « entrer en religion », soit cheminer sur de l’intuitif pur en permettant au temps d’accomplir son travail analytique. Cette matérialisation active du temps m’a conféré l’inépuisable ressource de la recherche et la vertu de la candeur, si bien que ce qu’il est convenu d’appeler l’âge et l’expérience consiste pour moi en la révélation de plus en plus claire de l’histoire que je tente de raconter depuis bientôt quarante ans. Unique obsession qui est allée en se ramifiant pour ensuite se concentrer sur le creusement d’un canal bien spécifique m’ayant permis d’établir une véritable table des matières de mon travail en cours dans la perspective de mon travail à venir qui, inlassablement, revient sur le « dernier lieu » et la « dernière trace » afin de poursuivre ce qui est devenu une enquête métaphysico-dramatique. C’est cette même enquête qui m’a tenue tant en haleine qu’en alerte, à l’instar d’un petit animal sylvestre et fouineur ; cette animalité me « conserve » car, loin de m’éroder, elle me précipite chaque jour dans un désir et une curiosité sans cesse renouvelés et où l’indéniable expérience acquise ne sert qu’à en apprécier l’éphémère déhiscence qui sera offerte en partage.
Mais voici à présent que s’ouvre le troisième et peu banal chapitre du grand livre de la Balsa.
Si l’on se souvient, il y eut un premier chapitre à ce livre, celui que j’intitulerais « la balsa sauvage » : ère d’utopie et de créations de tous bords et de tous poils profitant de l’intégralité de la friche de la caserne avec la spécificité de son architecture sans cesse revisitée. Ensuite, à la faveur des travaux de rénovation et d’implantation cette fois officielle, le second chapitre, dit de « l’institutionnalisation », coïncide avec la passation de la direction artistique à Christian Machiels qui affirmera au cours de dix-sept années la vocation du lieu pour l’aide à la jeune création et pour la promotion de la danse. En parallèle, mon travail artistique se poursuit au sein de la maison. Monica Gomes et Fabien Dehasseler, en leur qualité de nouveaux directeurs artistiques, inaugurent le troisième chapitre que je désignerais comme « la nouvelle utopie ». Leur travail va s’orienter vers un choix plus « partisan » d’artistes en « habitation », avec et pour lesquels ils développeront un réseau bâti sur le principe de responsabilité. Dans cette galaxie nouvelle, la suite de mon travail acquiert une place intrinsèque au système. En effet, je pense que mon destin artistique – voire existentiel tout court – est intimement lié à la balsa : maison autant qu’outil, ce lieu a bâti ma théâtralité au même titre que cette théâtralité en a irrigué tous les recoins.
Les travaux à venir (TRILOGIE DE L’ENFER, LONELY VILLAGE, SEPT MAISONS, LES FORTUNES DE LA VIANDE) s’identifient chacun à la lisière de la matière théâtrale et de la matière plastique et révèlent dans leur ensemble l’inflexion de ma démarche vers une recherche d’approfondissement des aspects purement plastiques et des aspects purement textuels et ce, en les dissociant momentanément l’un de l’autre.
S’il est vrai que l’écriture et la facture de TRILOGIE DE L’ENFER engrangent et poussent plus en avant encore le compost de la transmission et de la place dans l’univers tel qu’initié dans la première trilogie dite TABLE DES MATIÈRES, il n’en demeure pas moins que cette logique de rebondissement créatif sur base de la dernière trace et du dernier lieu se vérifiera mêmement dans un ouvrage au demeurant (mais d’apparence…) strictement plastique comme SEPT MAISONS qui, au fil de la visite de sept architectures élevées sur quatre champs distincts, interroge inlassablement un dispositif tant cosmique qu’organique au sein duquel la réitération de la disparition présuppose une tentation vers l’improbable éternité. Mais il s’agit aussi de recomposer avec le silence et l’absence, comme cela se confirmera également avec l’installation intitulée LONELY VILLAGE proposant une gigantesque fresque lumineuse élaborée à partir de photographies glanées au cours d’une errance solitaire dans un petit village français. Enfin, la volonté de faire du texte en préparation de LES FORTUNES DE LA VIANDE un oratorio pour quatre individus (deux hommes et deux femmes) plantés dans le vide d’un espace absolument nu procède de la tentation (là aussi…) de faire du texte pur l’espace équivoque parce que public d’une confidence adressée au partenaire selon un mécanisme de cascade mise en abîme.