Nature morte, vie silencieuse…

Théâtre
Critique
Portrait

Nature morte, vie silencieuse…

Le 16 Nov 2012
NATURE MORTE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
NATURE MORTE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.

A

rticle réservé aux abonné.es
NATURE MORTE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
NATURE MORTE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

C’ÉTAIT EN 1995. Dix-sept ans déjà ! Je me rendais quo­ti­di­en­nement à La Libre Bel­gique, mon jour­nal. J’y chroni­quais le théâtre et la danse. Cela voulait dire quelque deux cents spec­ta­cles à voir par an, autant de visions éphémères qui couraient du cerveau à la plume pour en partager le vécu avec les lecteurs d’un jour. La pre­mière de NATURE MORTE eut lieu un mar­di 16 mai, dans l’ancien audi­toire mil­i­taire de la Caserne Dail­ly, encore brute et pré­caire­ment occupée par la fon­da­trice de la Bal­samine depuis 1981.

Ma pre­mière ren­con­tre avec Mar­tine Wijck­aert date d’avril 1985. Une longue inter­view à la faveur de mon mémoire de fin d’études inti­t­ulé : L’ILLUSION DU JEUNE THÉÂTRE – DIX CRÉATEURS EN QUÊTE D’IDENTITÉ. Je me sou­viens de la véhé­mente à qui de nom­breux sujets – dont le cloi­son­nement crois­sant entre Fla­mands et Fran­coph­o­nes – fai­saient « mon­ter les ovaires dans le chignon » : La Bel­gique, cette fic­tion géniale sor­tie d’un esprit dément est en train de se foutre en l’air ! De foutre en l’air la richesse mer­veilleuse de ce bor­del de deux cul­tures ! Quand elle évo­quait l’étincelle qui, en elle, allumait le désir de créer, se cise­lait déjà une forme d’orfèvrerie du temps : Une lumière, un lieu… Je regarde les faits de vie autour de moi. Un détail me fait extrapol­er, une ambiance… Par­fois, je ne fais rien pen­dant toute une après-midi devant ma fenêtre et je donne, pen­dant ce temps-là, l’impression d’être le mod­èle même de l’inaction ! Je cog­ite… Il m’arrive par­fois ensuite de pren­dre des notes effrénées pen­dant toute la journée… Quand elle évo­quait l’acteur : Essen­tiel. Un imag­i­naire. Sou­vent, il préex­iste au pro­jet. Il me pro­pose une dis­cus­sion entre son imag­i­naire et le mien. Un grand acteur est celui qui, par un min­i­mum de gestes, un min­i­mum de signes, fait sur­gir un morceau d’humanité… Quand elle évo­quait le théâtre : Un libre jeu d’espaces dif­férents pour créer un espace glob­al qui racon­te une his­toire. L’acteur est un espace ; le plateau est un espace ; la couleur, la lumière, le mur, la fenêtre : des espaces…

Bain de jouvence…

Des pen­sées qui, dix ans après, en 1995, sem­blaient sous-ten­dre à la let­tre la créa­tion de NATURE MORTE. Mar­tine, l’ultra-cohérente. Cette Pre­mière, un mar­di de mai, fut un choc. À bien des égards. J’en garde un sou­venir ébloui. « Le plus sim­ple est le plus riche pour qui se sous­trait au tohu-bohu du monde…», com­mençais-je à écrire, le lende­main matin, seule devant mon clavier, encore grisée par la rêver­ie silen­cieuse qui avait, pen­dant près de deux heures, absorbé mes sens et mon imag­i­naire. Une artiste m’avait offert un cadeau, un voy­age, ce « véri­ta­ble voy­age » dont par­le Proust au fil des pages de À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU, ce « bain de jou­vence » qui n’est pas dans le fait de « voir de nou­veaux paysages » mais « de voir l’univers avec d’autres yeux, avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que cha­cun d’eux voit, que cha­cun d’eux est…»

NATURE MORTE, c’était cela. Une chavi­rante intro­spec­tion scénique qui dépay­sait, par la scéno­gra­phie, la lumière, le son et le jeu, la per­cep­tion tout entière. Guidé par « d’autres yeux », notre regard voy­ageait en terre famil­ière, soudain ter­ri­toire inex­ploré, altéré par la course du jour, le cycle de la nature, la fuite du temps… Le banal quo­ti­di­en s’y déploy­ait telle une sen­sorielle aven­ture. Dans la boîte noire du théâtre, les objets fam­i­liers, la lumière, le silence se met­taient à bruiss­er, à respir­er et à expir­er… Tout en scène y con­cour­ait. Du sol aux cin­tres, des fils reli­aient des ressorts à de métalliques bidons-résonateurs et un musi­cien (Pierre Berthet) don­naient ain­si son, souf­fle et rythme à la médi­ta­tion. La lumière (Stéphanie Daniel) réin­ven­tait les rayons du soleil se lev­ant puis décli­nant de l’orient à l’occident, en per­pétuel dessin d’ombres sur la terre. Lignes, vol­umes et cadres de la scéno­gra­phie (Valérie Yung) subis­saient d’étranges méta­mor­phoses et bas­cule­ments de plans. Était-on dedans ? Était-on dehors ? Au cœur d’un sou­venir ou d’un devenir ?

NATURE MORTE aurait pu s’appeler « cose nat­u­rali » (choses naturelles) ou « Stilleven » (Vie silen­cieuse) tels les noms en vogue avant le XVI­Ie siè­cle en Ital­ie et en Flan­dre pour désign­er la pein­ture qui met­tait en scène les objets inan­imés du quo­ti­di­en. Morts dès que figés sur toile ? Mais pour qui prend le temps de s’abîmer dans leur con­tem­pla­tion, vie et mort insé­para­bles y frémis­sent. Nature morte. Vie silen­cieuse. Et van­ité de cette vie, promise comme toute chose naturelle à la dis­pari­tion…

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Théâtre
Critique
Portrait
Martine Wijckaert
1
Partager
Claire Diez
Claire Diez est licenciée en journalisme et en sciences théâtrales. Elle a chroniqué le théâtre...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements