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Théâtre

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Entretien avec Astrid Howard, assistante de Martine Wijckaert

Le 24 Nov 2012
Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écriture et mise en scèn Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écriture et mise en scèn Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.

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Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écriture et mise en scèn Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écriture et mise en scèn Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

ISABELLE DUMONT : J’ai lu dans ton CV que tu étais géo­logue de for­ma­tion… Com­ment es-tu venue au théâtre, et au théâtre de Mar­tine Wijck­aert ?

Astrid Howard : Après mes études en géolo­gie aux États-Unis, où je vivais, j’ai fait un doc­tor­at, mais je n’imaginais pas rester toute ma vie dans un lab­o­ra­toire ! Le hasard des ren­con­tres m’a amenée à Brux­elles et je me suis inscrite à l’INSAS comme étu­di­ante en mise en scène. J’avais Arlette Dupont comme pro­fesseur. On s’appréciait beau­coup et Arlette a par­lé de moi à Mar­tine. À l’époque, je tra­vail­lais comme assis­tante pour Thier­ry Salmon qui mon­tait LES POSSÉDÉS d’après Dos­toïevs­ki. On s’est donc ren­con­trées, Mar­tine et moi, et on a dis­cuté pen­dant deux heures.

I. D.: Tu con­nais­sais son tra­vail ?

A. H.: Non. Je voulais voir LA THÉORIE DU MOUCHOIR qu’elle venait de créer, mais je n’ai pas pu. Pourquoi ? Je ne sais plus. Je n’ai même jamais vu de vidéo de ce que Mar­tine avait fait avant, sauf des extraits lors de la réou­ver­ture de la Bal­samine, mais je n’ai jamais vu la total­ité d’un de ses spec­ta­cles sans être impliquée dedans. Sauf pour WIJCKAERT, UN INTERLUDE, où je n’ai pas pu assur­er l’assistanat.

I. D.: Peut-être Mar­tine t’a‑t-elle engagée parce que tu étais géo­logue ?!

A. H.: Je me suis tou­jours dit ça ! En fait, je ne sais pas… mais elle est très intéressée, très touchée par le monde naturel, les ani­maux surtout, et puis la cos­molo­gie, l’astronomie. Pour elle, la présence de l’univers est très impor­tante. Mais elle en par­le de manière rationnelle. Elle est assez sci­en­tifique dans sa per­cep­tion du monde.

I. D.: La sci­ence l’a d’ailleurs inspirée dans LES CHUTES DU NIAGARA qui était ton pre­mier assis­tanat, en 1991 : un spec­ta­cle à la recherche du temps de l’amour per­du, une expéri­ence sur la physique du cou­ple, avec les acteurs Marc Schreiber et Ana Valverde…

A. H.: Oui, et ça m’a beau­coup plu, ce théâtre si physique, si visuel, presque sans texte… Pour moi qui venais des États-Unis où le théâtre est beau­coup plus basé sur le texte – sauf du côté de la per­for­mance –, c’était très nou­veau. En même temps, j’ai tout de suite sen­ti qu’il y avait des choses que je recon­nais­sais chez Mar­tine, mais avec un point de vue dif­férent du mien. Dans LES CHUTES DU NIAGARA, elle par­le du moment où tu dis « je t’aime » à quelqu’un pour la pre­mière fois. Après, ce n’est plus jamais la même chose. Mar­tine vit ça comme une perte. Moi, je vis ça comme une trans­for­ma­tion. C’est-à-direqu’il y a perte, mais il y a gain d’autre chose aus­si, enfin ça se trans­forme à tout moment.

I. D.: Dans une inter­view accordée à Josette Féral en 2007 1, Mar­tine par­le de l’art de met­tre en scène comme de « l’art de gér­er la perte » : « c’est la remise en scène obses­sion­nelle de ce moment de perte et de rup­ture » où le spec­ta­cle qu’elle a conçu est lais­sé aux acteurs. Mais elle en par­le comme d’un moment de dépos­ses­sion « extra­or­di­naire»…

A. H. : Bien sûr, la perte lui est douloureuse et en même temps exal­tante. Moi, j’essaie juste de servir le spec­ta­cle, c’est-à-dire que la vision qu’elle en a puisse se con­cré­tis­er. Ce qui est fasci­nant chez elle, c’est que tout peut se pass­er. Tout ce qui peut se pass­er dans un rêve, tout ce que tu peux imag­in­er dans ta tête peut se pass­er sur sa scène. La dif­fi­culté, et la beauté de tra­vailler­avec elle, c’est de chercher com­ment arriv­er à créer sur un plateau ce qui se passe dans un espace men­tal, dans la tête de quelqu’un. C’est ça le vrai chal­lenge. Si on fai­sait du ciné­ma, ça pour­rait être plus sim­ple, mais ce serait moins intéres­sant.

I. D.: C’est le « brico­lage » du théâtre qui l’intéresse…

A. H.: Oui, seul l’artisanat du théâtre peut créer ces choses-là. Par exem­ple, dans LES CHUTES DU NIAGARA, Marc Schreiber grim­pait à un moment don­né sur une sorte de mât, et ce mât com­mençait à vac­iller dans l’espace, et Marc s’agrippait dessus, et le mât s’agitait de plus en plus, jusqu’à ce que Marc le lâche et atter­risse sur le sol tan­dis que le mât s’envolait. C’était Benoît Cogels et moi qui étions dans les couliss­es pour action­ner ce mât. Et c’était vrai­ment comme une danse avec Marc, assurée par une machiner­ie de con­tre­poids très arti­sanale mais très effi­cace. Pour Mar­tine, le per­son­nel de l’arrière scène, des couliss­es, est aus­si impor­tant que les acteurs sur scène, et les tech­ni­ciens doivent aus­si être des artistes : la manip­u­la­tion de ce mât, ce n’était pas juste « je tire et je relâche », c’était tout un jeu avec l’interprète. Il faut donc un cer­tain type de tech­ni­ciens pour tra­vailler sur les spec­ta­cles de Mar­tine, et il y a par­fois plus de monde en couliss­es que sur le plateau !

I. D.: Tu as ensuite assisté Mar­tine sur tous les spec­ta­cles qui ont suivi, sauf sur WIJCKAERT, UN INTERLUDE. Soit dix-sept ans de col­lab­o­ra­tion ! Que demande Mar­tine à une assis­tante ?

A. H.: Au début, elle voulait juste que je prenne des notes de tout.

I. D.: Elle ne tra­vaille jamais avec la vidéo ?

A. H.: Non, elle ne filme jamais les répéti­tions, mais elle a une très bonne mémoire, et les acteurs aus­si. Les notes ser­vent en cas de néces­sité. Dans LES CHUTES DU NIAGARA, j’ai aus­si fait des recherch­es pour les acces­soires, j’étais dans les couliss­es pour la régie plateau lors des représen­ta­tions… et je m’occupais du café ! J’en par­le parce que j’ai une petite his­toire là-dessus. Quand j’apportais le café en répéti­tion, Mar­tine me dis­ait : « Mer­ci beau­coup Astrid » et moi je répondais : « You’re wel­come » parce que je ne trou­vais pas d’équivalent en français. Mais dans « you’re wel­come », pour moi il y avait aus­si l’idée : « J’ai fait quelque chose et je l’ai fait de bon cœur pour toi, mais ce n’est pas rien. » La petite assis­tante que j’étais voulait quelque part val­oris­er ce qu’elle fai­sait, même si c’était peu de chose. Ce que je ne savais pas, c’est que Mar­tine se demandait pourquoi je lui souhaitais la bien­v­enue à chaque café ! Elle a fini par deman­der à Marc Schreiber, qui a vécu aux États-Unis, ce qu’il en était. Et il lui a expliqué que ça équiv­alait à « de rien » ou « avec plaisir ». Mais Mar­tine a con­tin­ué à me laiss­er dire « you’re wel­come»… Je pense que c’est parce qu’elle aimait bien m’entendre par­ler anglais !

I. D.: Et appré­cie-t-elle aus­si ton char­mant accent en français, dont cet entre­tien écrit ne peut mal­heureuse­ment pas ren­dre compte ?

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Astrid Howard
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Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spectacles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète...Plus d'info
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