Gildas Bourdet : attention aux détails

Gildas Bourdet : attention aux détails

Le 4 Juil 1982
Attention au Travail - Théâtre de la Salamandre - Photo : Marc Enguerand
Attention au Travail - Théâtre de la Salamandre - Photo : Marc Enguerand

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Attention au Travail - Théâtre de la Salamandre - Photo : Marc Enguerand
Attention au Travail - Théâtre de la Salamandre - Photo : Marc Enguerand
Article publié pour le numéro
Scénographie images et lieux-Couverture du Numéro 12 d'Alternatives ThéâtralesScénographie images et lieux-Couverture du Numéro 12 d'Alternatives Théâtrales
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Le plaisir de tromper

Bien qu’il soit arrivé à la mise en scène par la pein­ture, via la scéno­gra­phie, on aurait tort d’é­ti­queter Gildas Bour­det comme pein­tre-scéno­graphe et d’in­scrire son tra­vail dans un courant qui porterait aus­si un Ail­laud ou un Cham­bas. La con­cep­tion du décor dont témoignent les derniers spec­ta­cles de la Sala­man­dre (Atten­tion au tra­vail, Bri­tan­ni­cus, Didas­calies, Derniers détails, Le Saper­leau) n’a rien à voir avec une réin­ter­pré­ta­tion du réel, pas plus qu’avec d’autres courants : onirisme, sym­bol­isme, con­struc­tivisme. Les décors de Gildas Bour­det appa­rais­sent comme rel­a­tive­ment isolés : la forme de ques­tion­nement du réel qu’on y lit est actuelle­ment assez rare. Forte­ment préoc­cupé par l’im­i­ta­tion, ses scéno­gra­phies sont sou­vent ren­voyées au nat­u­ral­isme.

Derniers détails, de Gildas Bourdet - Théâtre de la Salamandre (Photo 2)
Derniers détails, de Gildas Bour­det — Théâtre de la Sala­man­dre (Pho­to 2)

Ces décors nous mon­trent des lieux cohérents, des morceaux de réel grandeur nature, l’an­gle d’un salon de Ver­sailles dans Bri­tan­ni­cus, ( pho­to 2 ), le coin d’un jardin de ban­lieue dans Derniers détails ( pho­tos 3, 4 ), un lieu pub­lic aban­don­né dans la pre­mière maque­tte du décor des Bas-fonds(3). Pour­tant ce n’est pas si sim­ple, il y a aus­si. la boîte en verre du Saper­leau( pho­to 5 ), la salle de répéti­tion vide de Didas­calies, lieux qui ne fig­urent rien, et n’of­frent qu’une dis­po­si­tion par­ti­c­ulière du rap­port spec­tac­u­laire. Mais Gildas Bour­det, en omet­tant de sign­er pré­cisé­ment ces deux scéno­gra­phies, laisse peut-être enten­dre que pour lui la véri­ta­ble prob­lé­ma­tique du décor se situe du côté de la mimé­sis.

Derniers détails, de Gildas Bourdet - Théâtre de la Salamandre (Photo 3)
Derniers détails, de Gildas Bour­det — Théâtre de la Sala­man­dre (Pho­to 3)

Recherche évi­dente de l’ef­fet de réel : uneper­spec­tive un peu trichée, la mise en place d’une réso­nance sonore nous font croire qu’il existe un autre salon der­rière le salon de Bri­tan­ni­cus ; la bande son illu­sion­niste de Derniers détails( oiseaux, voitures, avions) sug­gère l’encer­clement par la ban­lieue. L’il­lu­sion­nisme est ren­for­cé par le choix des éclairages, par­ti­c­ulière­ment per­fec­tion­nés à la Sala­man­dre, et inspirés des tech­niques de ciné­ma : le jour passe dans Bri­tan­ni­cus, le temps varie dans Derniers détails. Plus encore c’est le travai·lsur les­matières qui est chargé de tromper l’œil : un soin excep­tion­nel est apporté au ren­du des matéri­aux et l’ef­fi­cac­ité des décors est entière­ment liée à la réus­site de leur réal­i­sa­tion. En out­re à l’idéal Ciné, la salle du théâtre de la Sala­man­dre, la très grande prox­im­ité des spec­ta­teurs inter­dit les à‑peu-près dans la vraisem­blance. Tout est mis en œuvre dans le décor de Derniers détails pour nous faire sen­tir physique­ment l’op­pres­sion de la végé­ta­tion : le raf­fine­ment du trompe-l’œil va jusqu’à mélanger le vrai et le faux, herbe syn­thé­tique et gazon vrai, arbres en plas­tique et tonnes de terre sur le plateau. Le déco­ra­teur des Bas-fonds se demande déjà lequel, du poly­ester ou du latex, sera le meilleur béton scénique ( sachant que le béton doit être âgé d’en­v­i­ron cinq ans et dégradé en con­séquence). « Ce que j’ai aimé dans ces travaux-là (mais cela chang­era peut-être dans l’avenir) dit Gildas Bour­det, c’est le plaisir, l’é­trange jouis­sance qu’il y a à jouer entre lev­rai et le faux. J’aimais bien que le décor déclenche une réac­tion qui tendait à faire grimper le spec­ta­teur sur le plateau pour voir si c’é­tait vrai ou si c’é­tait faux. J’ai observé très sou­vent le plaisir de la décou­verte du faux, c’est à dire l’e­spèce de sat­is­fac­tion qu’il y avait à avoir été vic­time d’une supercherie et à le décou­vrir, ce qui me sem­ble assez fié au théâtre. J’ai bien aimé la mise en place de cette supercherie-là. J’ai bien aimé voir les gens touch­er les toiles qu’il y avait dans Bri­tan­ni­cus pour répon­dre à la ques­tion qu’ils se posaient : mais est-ce pos­si­ble qu’ils se soient fait prêter ces toiles par le musée du Lou­vre ? J’ai bien aimé les voir cogn­er sur les briques d’At­ten­tion au tra­vail pour con­stater avec un ravisse­ment total qu’elles étaient en plas­tique. Le théâtre deve­nait une boite de jou­ets avec lequel on pou­vait, parce­qu’on s’é­tait doté d’un cer­tain nom­bre de tech­niques, créer ce trou­ble là ; et on a joué avec ce trou­ble ».(4)

Gildas Bour­det n’a pas d’autre réponse à la ques­tion du nat­u­ral­isme posée en ter­mes idéologiques ou moraux («/a ques­tion vache­p­arex­cel­lence »)que ce dis­cours du plaisir ludique, d’au­tant plus qu’il n’ac­cepte pas de se laiss­er enfer­mer sur le ter­rain du nat­u­ral­isme. Il pointe avec rai­son que le décor d’At­ten­tion au tra­vail(pho­to 1) n’a rien de glob­ale­ment mimé­tique (ce lieu ne pour­rait pas exis­ter dans le réel, sa com­po­si­tion fait plus appel au frag­ment que celle des autres décors). Et quand ses scéno­gra­phies mon­trent des lieux cohérents, Gildas Bour­det y intro­duit sys­té­ma­tique­ment des con­tra­dic­tions visant à bar­rer le nat­u­ral­isme. Dans Bri­tan­ni­cus les plaques de pro­preté autour des poignées de portes, les éti­quettes sous les tableaux inci­tent au doute : ce lieu-musée avait l’air d’être le lieu des per­son­nages mais il appar­tient au XXème siè­cle, c’est notre « milieu » autant que le leur.

(Photo 4) Britannicus, de Jean Racine - Théâtre de la Salamandre
(Pho­to 4) Bri­tan­ni­cus, de Jean Racine — Théâtre de la Sala­man­dre

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Anne-Françoise Benhamou
Anne-Françoise Benhamou est professeure en Études théâtrales à l’ENS-PSL et dramaturge.Plus d'info
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