Diversité à l’oeuvre

Théâtre
Edito

Diversité à l’oeuvre

Geste social, artistique, politique et enjeux dramaturgiques1

Le 30 Nov 2017
Julia Bernat, Rodrigo dos Santos, Paulo Camacho dans Julia d’après Mademoiselle Julie, d’August Strindberg, mise en scène Christiane Jatahy, Centquatre-Paris, 2017. Photos Marcelo Lipiani.
Julia Bernat, Rodrigo dos Santos, Paulo Camacho dans Julia d’après Mademoiselle Julie, d’August Strindberg, mise en scène Christiane Jatahy, Centquatre-Paris, 2017. Photos Marcelo Lipiani.
Julia Bernat, Rodrigo dos Santos, Paulo Camacho dans Julia d’après Mademoiselle Julie, d’August Strindberg, mise en scène Christiane Jatahy, Centquatre-Paris, 2017. Photos Marcelo Lipiani.
Julia Bernat, Rodrigo dos Santos, Paulo Camacho dans Julia d’après Mademoiselle Julie, d’August Strindberg, mise en scène Christiane Jatahy, Centquatre-Paris, 2017. Photos Marcelo Lipiani.
Julia Bernat, Rodrigo dos Santos, Paulo Camacho dans Julia d’après Mademoiselle Julie, d’August Strindberg, mise en scène Christiane Jatahy, Centquatre-Paris, 2017. Photos Marcelo Lipiani.
Julia Bernat, Rodri­go dos San­tos, Paulo Cama­cho dans Julia d’après Made­moi­selle Julie, d’August Strind­berg, mise en scène Chris­tiane Jatahy, Cen­tqua­tre-Paris, 2017. Pho­tos Marce­lo Lip­i­ani.

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De quoi la diver­sité est-elle le nom ?2 Et de quel type de diver­sité par­lons-nous dans ce numéro, cul­turelle, eth­no-cul­turelle…? L’universitaire Mar­tial Poir­son, avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger sur ces ques­tions depuis deux ans (je coor­don­nais alors le #129 con­sacré à la créa­tion au féminin dans un con­texte de non-par­ité entre femmes et hommes), pré­cise notre approche dans le texte intro­duc­tif « Corps étrangers » qui suit ces quelques lignes.

Pro­fesseur à l’Université Paris 8, his­to­rien et écon­o­miste de la cul­ture, Mar­tial Poir­son m’a pro­posé ce sujet pas­sion­nant, que j’ai à mon tour soumis à notre comité de rédac­tion l’an passé. Qu’il en soit remer­cié car cette propo­si­tion a créé des débats sal­va­teurs ain­si qu’une for­mi­da­ble ému­la­tion au sein de l’équipe d’Alternatives théâ­trales. Au terme d’une année de réflex­ion et d’investigation intense3, nous sommes heureux de vous présen­ter notre pro­jet glob­al inti­t­ulé « Quelle diver­sité cul­turelle sur les scènes européennes ? ».

Au-delà du numéro 133 que vous avez en mains, vous pou­vez con­sul­ter une source d’informations pré­cieuse, pub­liée en ligne (accès gra­tu­it). Une cinquan­taine d’artistes, directeurs de théâtre et fes­ti­vals, respon­s­ables d’institutions… inter­rogés prin­ci­pale­ment en France et en Bel­gique (et au Québec) ont partagé avec nous leurs sen­ti­ments, leurs cour­roux, leurs incom­préhen­sions, aus­si bien que des solu­tions en acte et à l’œuvre dans leurs créa­tions ou pro­jets cul­turels.

Nous vous invi­tons donc à con­sul­ter ces analy­ses et témoignages mais aus­si à décou­vrir la richesse des réflex­ions des invités de nos trois ren­con­tres publiques. La pre­mière s’est tenue au Cloître Saint-Louis le 14 juil­let, dans le cadre des Ate­liers de la Pen­sée du Fes­ti­val d’Avignon. Vous trou­verez quelques extraits des paroles d’Éric Fassin et de Daniela Ric­ci à la fin de cet édi­to­r­i­al, et celles des choré­graphes Ket­tly Noël, Sey­dou Boro et Salia Sanou, et la met­teuse Car­o­line Guiela Nguyen, dans le Cahi­er cri­tique
(cf. Dra­matur­gies de la diver­sité, p 54).

D’autres échanges sont prévus au Théâtre Varia, à Brux­elles, le 25 novem­bre, et au Cen­tqua­tre-Paris le 1er décem­bre 2017. Que tous nos contributeurs.trices soient remer­ciés, ain­si que nos parte­naires et coédi­teurs en Bel­gique et en France, sans qui cette réflex­ion – cru­elle­ment néces­saire ! – n’aurait pu voir le jour.

Éric Fassin, soci­o­logue et pro­fesseur à l’Université Paris 8 (Départe­ment de sci­ence poli­tique et Départe­ment d’études de genre).
(14/07/17, Cloître Saint-Louis, Avi­gnon)

« Pourquoi avons-nous aujourd’hui toutes ces dis­cus­sions sur la diver­sité cul­turelle ? C’est parce que le monde de l’art se pose et se voit pos­er des ques­tions. Il n’est pas une scène isolée du reste du monde. Il est tra­ver­sé par les mêmes ques­tions que les autres. On ne peut pas penser le monde de l’art comme un monde totale­ment affranchi de toutes les con­di­tions sociales. Les artistes revendiquent, à juste titre, une lib­erté ; mais ils ne peu­vent pas faire comme si les dis­crim­i­na­tions n’existaient pas. Des directeurs de lieux et pro­gram­ma­teurs refusent par­fois de pro­gram­mer un spec­ta­cle dis­tribuant des per­son­nes dites « de la diver­sité » dans leur salle pour ne pas froiss­er leur pub­lic. C’est pour­tant impor­tant qu’ils sachent que s’ils étaient com­merçants, ils seraient con­damnés pour dis­crim­i­na­tion raciale. Le monde de l’art ne doit plus ignor­er que la loi s’applique égale­ment pour lui ».

« Le terme de diver­sité est un euphémisme. « Diver­sité » est le terme posi­tif et « dis­crim­i­na­tion » le terme négatif. La rai­son pour laque­lle on échange autour de ce sujet, c’est que man­i­feste- ment tout le monde n’a pas sa place autour de la table de la cul­ture. On par­le de diver­sité parce qu’il y a des dis­crim­i­na­tions. La diver­sité cul­turelle peut être enten­due dans un dou­ble sens : comme diver­sité dans le monde de la cul­ture ou comme diver­sité des cul­tures. D’un côté la dis­crim­i­na­tion, de l’autre le mul­ti­cul­tur­al­isme. Quand on par­le de diver­sité cul­turelle, on par­le donc à la fois d’ailleurs et d’ici. Que veut dire représen­ter quand il ne s’agit pas seule­ment de représen­ter la diver­sité, mais de représen­ter les dis­crim­i­na­tions ?

Plusieurs esthé­tiques théâ­trales exis­tent con­cer­nant la ques­tion de la représen­ta­tion de la diver­sité sur les plateaux. Reste que la ques­tion esthé­tique n’est pas extérieure à la ques­tion poli­tique. L’esthétique n’est jamais pure­ment esthé­tique. Aujourd’hui, le plus sou­vent, les rôles du réper­toire sont con­sid­érés, par défaut (sauf indi­ca­tion con­traire), comme blancs, et donc dis­tribués à des acteurs blancs. Cepen­dant, la couleur du per­son­nage est par­fois pré­cisée. Le fait qu’un Blanc puisse se grimer en noir pour un rôle, comme Lau­rence Olivi­er jouant Oth­el­lo, est sans doute de moins en moins légitime ; toute­fois, Gérard Depar­dieu a encore récem­ment incar­né Dumas à l’écran, alors qu’un acteur noir n’aurait que peu de chances de jouer le rôle de Dan­ton.

Ibrahima Camara et Oumaïma Manaï dans Tichelbe, Sans repères de Kettly Noël, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Ibrahi­ma Cama­ra et Oumaï­ma Man­aï dans Tichelbe, Sans repères de Ket­tly Noël, Fes­ti­val d’Avignon 2017. Pho­to Christophe Ray­naud de Lage.

On peut esquiss­er une typolo­gie d’esthétiques alter­na­tives de la couleur qui sont inclu­sives :
Exiger, comme Bernard-Marie Koltès, que les Arabes jouent les rôles d’Arabes, et les Noirs les rôles de Noirs, appa­raît comme une réponse directe au fait que, sinon, les plateaux restent blancs ;

Autre stratégie d’inclusion : on peut, à la manière de Peter Brook, mélanger délibéré­ment les couleurs, sans qu’elles ren­voient à un trait du per­son­nage ; c’est une manière pos­i­tive d’être « aveu­gle à la couleur» ;

On peut au con­traire don­ner du sens à la couleur : par exem­ple, faire jouer Vladimir et Estragon par des acteurs ivoiriens, dans une mise en scène récente, est une relec­ture d’En atten­dant Godot qui évoque l’attente sans fin des deman­deurs d’asile. »

Daniela Ric­ci, enseignante à l’Université Paris Nan­terre (Départe­ment des Arts du Spec­ta­cle) et autrice, entre autres, de Ciné­mas des dias­po­ras noires : esthé­tiques de la recon­struc­tion, L’Harmattan, 2016.
(14/07/17, Cloître Saint-Louis, Avi­gnon)

« Le monde de la cul­ture reflète notre société. Il y a dans le théâtre, comme dans le ciné­ma, peu de rôles qui amè­nent la diver­sité. En plus de cela, ces rares rôles sont sou­vent stéréo­typés, les per­son­nages réduits à des clichés, enfer­més dans leur posi­tion­nement ini­tial. Cela a des con­séquences ravageuses non seule­ment pour tous ceux qui sont sous- représen­tés et mal représen­tés, qui ne trou­vent pas de pro­tag­o­nistes posi­tifs et con­struc­tifs dans lesquels se recon­naître – Frantz Fanon a bien illus­tré les effets que ce fait a sur la con­struc­tion des per­son­nal­ités – mais aus­si pour les autres. Les imag­i­naires sont lim­ités, on n’arrive pas à vrai­ment ren­con­tr­er l’altérité, à ouvrir le dia­logue avec l’altérité. Pour­tant il faudrait recon­naître la diver­sité comme inéluctable richesse.

Aujourd’hui, nous pen­sons encore trop sou­vent qu’il y a des rôles de Noir.e.s, des rôles d’Arabes, des rôles d’Asiatiques. La car­ac­téri­sa­tion eth­nique efface tout autre chose et quand elle n’est pas spé­ci­fiée sur le scé­nario on a ten­dance à attribuer les rôles à des Blanc.he.s. Il faut remet­tre en cause cette logique réduc­trice.

L’importance de la diver­sité est qu’on puisse avoir de la plu­ral­ité dans les réc­its et dans les esthé­tiques. »

  1. Pour aller plus loin sur la ques­tion de la diver­sité sur scène, et pré­cisé­ment de la ques­tion des emplois, de la dis­tri­b­u­tion des rôles à des acteurs blancs et non-blancs, voir le pas­sion­nant ouvrage de Cyril Desclés, L’Affaire Koltès, Retour sur les enjeux d’une con­tro­verse, Pré­face de Michel Corvin, Édi­tions L’Œil d’or, 2015. ↩︎
  2. Ques­tion emprun­tée, entre autres, à l’article de Bérénice Hami­di-Kim, p. 14. ↩︎
  3. Remer­ciements par­ti­c­uliers à Chris­t­ian Jade, Lisa Guez et Lau­rence Van Goethem ! ↩︎
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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