Le 3 juin 2017, la Comédie de Genève (première institution théâtrale fondée en 1913 à Genève par une troupe dramatique locale) organise une journée de réflexion sur la relation du théâtre au politique et à la société à l’occasion du départ, au 30 juin, de son directeur.
Dans un texte intitulé Reprise, Hervé Loichemol 1 propose une réflexion critique sur les évolutions récentes du théâtre plutôt que de faire le bilan de ses six ans passés à la tête de cette institution. Il dénonce l’instrumentalisation de la culture à des fins d’attractivité touristique – il faut rayonner – et l’imposition d’impératifs comptables venus de l’entreprise privée – il faut remplir les salles. Cela aurait favorisé la multiplication des festivals et des coproductions dans une logique de novation favorisant les revendications du statut de créateur de l’ensemble des acteurs de la production théâtrale, renforcé le pouvoir des « tourneurs, agents et intermédiaires de toutes sortes » et surtout des « chamanes-programmateurs », mais aussi contribué à une « précarisation générale », les salaires des artistes servant de variable d’ajustement pour limiter les coûts de production.
À la lecture des quelques lignes d’appel à la pensée de cette rencontre où je suis invitée à intervenir, je suis immédiatement frappée par la dénonciation de la « marchandisation du monde », à laquelle l’art et la culture n’échapperaient pas, subissant la « puissance de l’économisme et du spectaculaire »2. Sans disconvenir des critiques émises, il me semble aventureux d’associer les formes de dérégulations avancées des sociétés capitalistes modernes à des effets de polarisation directe dans le milieu théâtral. Le système d’opposition entre art et marché, désintéressement et rentabilité, recherche esthétique et divertissement spectaculaire, découle plutôt de processus historiques propres à la structuration des champs artistiques 3, ici de la sphère théâtrale. Les contradictions qui traversent le théâtre d’aujourd’hui ne découlent pas simplement de logiques économiques hétéronomes s’étant récemment imposées à la sphère théâtrale, mais aussi de transformations internes à ce champ dans des contextes historiques situés et évolutifs.