Projet Synekine

Des recherch­es à l’Ircam sur la voix aug­men­tée au théâtre1 m’ont con­duit à m’intéresser à la rela­tion instinc­tive, expres­sive et pléonas­tique entre vocal­ité et ges­tu­al­ité. La fac­ulté de par­ler avec les mains ne serait pas seule­ment issue d’origines cul­turelles, mais résul­terait égale­ment d’une rela­tion neu­ronale pro­fonde reliant la parole aux gestes des mains2. Par analo­gie à la synesthésie, phénomène par lequel deux ou plusieurs sens de la per­cep­tion sont asso­ciés, la « synek­inésie » refléterait notre capac­ité à associ­er deux ou plusieurs sens moteurs.

Projet Synekine, conception Greg Beller, 2022. Dessins Nicolas Patrix.
Pro­jet Synekine, con­cep­tion Greg Beller, 2022. Dessins Nico­las Patrix.

Depuis une dizaine d’années, au gré de rési­dences et de créa­tions artis­tiques, le pro­jet Synekine invite des per­formeurs à inter­roger la rela­tion intime entre gestes vocaux et gestes manuels par la manip­u­la­tion de dis­posi­tifs scéniques basés sur les nou­velles tech­nolo­gies. De manière métaphorique, le lien neu­ro­mo­teur préémi­nent entre voix et geste est « bouclé » par des « pro­thès­es créa­tives » joignant la cap­ta­tion du mou­ve­ment à la trans­for­ma­tion de la voix par l’intelligence arti­fi­cielle. Cette recherche artis­tique a démar­ré en 2007, pen­dant ma thèse sur les mod­èles générat­ifs de l’expressivité, lorsque je souhaite con­trôler par le geste la prosodie d’un syn­thé­tiseur d’émotions dans la voix. Puis dans le cadre de la créa­tion de Luna Park, de Georges Aperghis, où des cap­teurs d’accélération sont inté­grés à des gants pour fab­ri­quer SpokHands, un pre­mier instru­ment qui offre au per­cus­sion­niste Richard Dubel­s­ki de lit­térale­ment par­ler avec les mains. Lors d’une rési­dence de recherche artis­tique à l’Ircam, j’élabore une nou­velle organolo­gie d’instruments invis­i­bles. Ain­si du Body Choir qui démul­ti­plie la voix d’un chanteur en un chœur virtuel et de l’Hyper Ball qui fait du design sonore la source de mou­ve­ments choré­graphiques. Lier l’espace et le temps par le mou­ve­ment trans­forme alors la recherche du son en une explo­ration scénique et aigu­ise mon appétit de créa­tion.

Babil-on : de la parole au temps

Babil-on3 est une per­for­mance de théâtre musi­cal aug­men­té créée en 2013. À la manière d’un close-up, un per­son­nage « parole » décou­vre sa pro­pre voix, la découpe, la super­pose, la répand autour de lui, la démul­ti­plie, dans une trame dra­ma­tique tis­sant un des­tin qui part de l’ontogenèse du lan­gage (babil­lage) jusqu’à une extrap­o­la­tion de la phy­lo­genèse des langues (Baby­lone). En 2016 à Van­cou­ver, je crée et inter­prète une deux­ième ver­sion éten­due de l’œuvre, Babil-on V2. D’un point de vue tech­nique, la chaîne du design est accélérée, j’exploite directe­ment de nou­veaux pro­to­types en cours d’élaboration. La deux­ième ver­sion de la Kinect4 est util­isée et deux paires de bou­ton-bagues ont été ajoutées aux gants- accéléromètres. La pre­mière paire per­met le prélève­ment et l’effacement d’échantillons de voix à la volée. Ain­si, SpokHands et le déclenche­ment de sons pré-fab­riqués ont évolué en Hand Sam­pling, dont le flux vocal est coupé et recom­biné dans des gestes per­cus­sifs. D’un point de vue com­po­si­tion­nel, la deux­ième paire de bou­ton-bagues m’offre la nav­i­ga­tion libre dans la struc­ture d’une œuvre dont la durée de chaque scène est mod­u­la­ble selon ma pro­pre per­cep­tion du temps. À par­tir de là, de la table au plateau, un change­ment de par­a­digme d’écriture s’opère et j’évolue dans une forme ouverte pou­vant rompre avec la linéar­ité de la struc­ture musi­cale pré-définie. Enfin, d’un point de vue expéri­en­tiel, la manip­u­la­tion de ces pro­to­types en sit­u­a­tion de per­for­mance, alors que je ne pos­sède pas d’aptitudes musi­cales ou théâ­trales extra­or­di­naires (au sens des for­ma­tions clas­siques), me plonge dans un état de con­cen­tra­tion intense d’où émerge une cer­taine ten­sion per­for­ma­tive. La beauté peut résider dans l’exposition de la fragilité d’un être con­fron­té à une sit­u­a­tion nou­velle. Le plaisir de voir un pro­tag­o­niste en sit­u­a­tion d’apprentissage peut être décu­plé si ce dernier ressem­ble à un mem­bre du pub­lic, voire en fait par­tie. Dès lors, je m’oriente vers la mise en place d’une sit­u­a­tion de « com­pro­vi­sa­tion » impli­quant des per­formeurs de tout hori­zon et dont le point com­mun est la présence pour adress­er directe­ment et explicite­ment la ques­tion du temps per­for­matif et de sa per­cep­tion.

TIIIIME : du temps à la mémoire

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