Rien ne l’arrête. Il est tout-terrain. L’art vivant dans l’espace public peut être une croisière ou un karaoké. Il peut être un Domino Cascade géant ou une dérive. Il peut être une conversation.
Son sujet, sa raison de vivre : questionner, bousculer, déconstruire, zigouiller, bricoler nos cadres de vie (terres, sols, habitats, géographie, villes, chemins, commerces).
L’art vivant dans l’espace public est cousin des arts de la rue et branche de la grande famille du spectacle vivant. L’art vivant dans l’espace public est aussi branche de la grande famille des arts plastiques et visuels. Il est héritier de Fluxus, du dadaïsme et du situationnisme, des fêtes et célébrations populaires, de l’urbanisme utopique autogestionnaire.
L’art dans l’espace public, c’est Joseph Beuys plantant 7 000 chênes à Kassel en 1982, c’est Isabelle Jonniaux et ses créations en forme de jeux de piste avec J’aime beaucoup ici à Mons ou Ath en 2022. C’est qu’il prend tour à tour la forme de spectacles, de performances, d’installations, de dispositifs de rencontres, d’expérimentations démocratiques, de marches, promenades, jeux de rôle grandeur nature, happenings ou interventions. Il n’est donc pas lié à une forme d’art en particulier mais au choix de faire de l’espace public le lieu et souvent le sujet de la rencontre avec les spectateurs.ices, participants.es. L’art vivant dans l’espace public a une portée poétique et critique à la fois. Voilà pour les coordonnées GPS. À Bruxelles, le Cifas, lieu d’apprentissage et d’expérimentation pour les arts vivants dans la ville et ses lisières, a fait de l’art dans l’espace public sa spécialité, sa raison de vivre, son fils/fille sa bataille.
Il vient justement de changer de direction. Est arrivée Marine Thévenet, productrice chevronnée à la carrure internationale, un pied à L’Amicale en Hauts-de France et à Bruxelles, un pied en Bretagne au festival des Tombées de la nuit, un troisième pied en Grande-Bretagne après dix années passées à produire et accompagner des artistes travaillant à la confluence de la performance et de l’art dans l’espace public à Londres au sein d’Artsadmin. Elle connaissait déjà bien la structure, via les réseaux professionnels européens comme In Situ. C’était aussi une familière de la Producers’ Academy, que le Cifas propose au moment du Kunstenfestivaldesarts depuis quelques années. Avec Benoît Vreux et Antoine Pickels, ses prédécesseurs, elle partage une vision politique qui va de pair avec un engagement auprès des artistes et des formes mutantes et insolites que génère l’art dans l’espace public, par essence attentif à son contexte de présentation et aux personnes. Elle dit donc volontiers que sa vision est un prolongement, peut-être une « radicalisation » au sens botanique et militant du terme. Époque oblige. Tournant.
Marine « Qu’est-ce qui a changé dans nos mondes et qu’est-ce qui a guidé ma candidature ? Je vois trois phénomènes qui touchent les arts et la société en général. Le premier, c’est la place de l’action dans les projets artistiques comme dans la militance, voire dans les vies quotidiennes. L’action, le passage à l’action, est devenu quelque chose de brûlant, de nécessaire et vital. Le second, c’est l’expérimentation de nouveaux comportements, la fabrique de bulles sociales différentes et la réinvention de la coopération. Et le troisième, c’est une nouvelle relation au territoire, une relation plus holistique, plus animale, plus humble. L’urgence de l’action, le goût pour le faire. Chacune des dernières saisons du Cifas l’a en effet montré : les artistes, comme nous tous, sont de plus en plus soucieux du réel, au point d’inviter de plus en plus l’action sociale ou écologique dans l’espace même de l’œuvre. Il ne s’agit plus de représenter, d’évoquer mais de faire. Un cran a été franchi, comme l’écrivait Bernard Stiegler dans la préface du livre de Paul Ardenne dédié à l’art écologique : “L’art dans l’espace public gagne du terrain car la réforme de nos sensibilités, modes de vie et apprentissages doit s’opérer sans attendre.” »
Le Cifas entend donc œuvrer pour un espace public commun, pluriel, solidaire et résilient. Il s’agit de prendre sa petite part dans les opérations de destruction du capitalisme en apportant de la divergence. Il ne s’agit pas d’égayer un cadre de vie, mais de le déconstruire et d’accompagner sa mue. Pour ce faire, le projet que Marine Thévenet met en œuvre, avec la petite équipe composée aujourd’hui de Charlotte David, pilier opérationnel à l’ancrage bruxellois solide, de Mathilde Florica, également productrice attentionnée et inspirée et des collaborateur·rice·s régulier.ère.s et affûté·e·s comme Open Source Publishing, se décline en trois axes :
Axe 1. Apprentissage : l’éducation permanente et le coapprentissage via divers formats originaux de rencontres, formations et master classes dédiées à l’art vivant dans l’espace public qui visent à pulvériser les habitudes de concurrence entre artistes au profit de la solidarité et de l’intelligence collective.
Axe 2. Feral : une programmation artistique d’interventions dans la ville et un festival dédié à la remise en question et à la remise en jeu de l’espace public par les artistes, théoriciens et usagers. Ouvert à tou·te·s.
Axe 3. How to share : la collecte et la circulation de ressources dans le domaine. Pour tou·te·s également.