Nous remercions les interprètes qui ont permis et parfois prolongé ces entretiens : Don Kenny (Gunji Masakatsu), Matsumoto Koshiro (Suzuki Tadashi), Yamagishi Hiroya (Nagao Kazuo), Shiraishi Midori (Oosuka /samu et Murobushi Kô) et Ogata Atsushi (Amagatsu Ushio), et Morita Selichi et Kondon-San pour leur aide à la réalisation de ce dossier.
« S’interroger sur les racines japonaises du butô équivaut, pour moi, à un double non-sens : c’est un art contemporain d’avant-garde, non une tradition ; c’est un art universel, non un folklore. La meilleure approche en est la saisie directe, sans chercher à savoir pour mieux comprendre : il n’importe que de le percevoir, tel quel. »
Ogino Suichiro
Nous n’avons pas l’ambition perverse de dé-créer le butô sur la table de dissection, de le « banalyser » — comme fait innocemment le touriste de ces fleurs japonaises qu’il est là-bas aussi incongru de humer (c’est déjà décortiquer une impression, arracher les pétales d’un parfum à mesure qu’on les compte) qu’il le serait en Europe de les manger !
Malgré quoi le butô a bel et bien un parfum, une tige poussée sur une branche donnée de la culture japonaise, et des racines, surtout des racines ! Or à saisir le butô comme on nous enjoint de le faire, « ici et maintenant », ce ne sera évidemment jamais le même IcI que le sien et notre maintenant n’est pas celui que le Japon se prépare depuis ses origines : même Ogino (dont l’avis n’est d’ailleurs pas tout d’une pièce sinon, nous aurait-il aides tout au long de cette « filature. qui n’aurait pu se faire sans lui ?), même lui finira par convenir, a l’encontre de toute la mentalité japonaise aujourd’hui encore, qu’un art qui se veut actuel ne peut se contenter d’être simplement contemporain et que, tout cosmopolite qu’il soit dans son inspiration, le butô ne deviendra pas universel en reléguant ses publics étrangers au dernier rang du parterre, loin derrière ses compatriotes que toute leur sensibilite, et leur culture accessoirement, préparent à en saisir les indéniables finesses, à en subir surtout, dans son retentissement sans âge, le cri effroyable ou poignant.
Complicité évidemment irremplacable : c’est il y a un demi-siècle qu’il fallait visiter
Guernica pour trembler aujourd hui avec Picasso. Malgré quoi il est sans doute certaines « périodes bleues », voire certaines « guerres d’Espagne », dont il est bon de savoir qu’elles existèrent avant d’entrer dans le vif du sujet — même si de fait tout n’est pas là et si un Belge ou un Japonais peut espérer deviner Picasso mieux que ne s’en souviendra le rescapé de Guernica.
Qu’il ne soit pas question ici de dire le buto, de le traduire ni même d’expliquer en quelle langue il convient de l’entendre. Mais tant qu’à l’écouter depuis quelque région lointaine de l’espace-temps, autant savoir en quelle direction tendre l’antenne et sur quelles longueurs d’onde attendre qu’il nous parle…
Si demain est déjà le fruit dans aujourd’hui, aujourd’hui est la bogue où vit encore hier.
A Gunji Masakatsu, au Théâtre national de Tokyo (ou en un temple zen et en un temps très reculé), nous avons posé de toutes nos questions les plus vaines et les plus folles de l’espoir de deviner. Colles ou koans, et les réponses n’étaient pas moins énigmatiques. Mais tout le reste de notre dossier était là pour nous convaincre qu’elles n’étaient ni gratuites, ni hors-de-propos. Une initiation au masque, au geste, au temps et à l’espace de l’art. Fondamentalement autres, jamais arbitrairement, (pages 8, 11, 14 )
Un architecte au ras du sol (Isozaki Arata, page 16), un sémioticien depuis la frontière (Yamaguchi Masao, page 20), un extra-terrestre depuis Saturne (page 25) observent cet espace, profane ou sacre, si autrement fait que le nôtre : espace où donc le geste, où donc l’imaginaire, où donc le regard — et parfois mème l’œil écoute…
Rien n’est grand sans l’humour de se savoir petit. Petites causes, grands effets, « pour faire rire un Japonais, parlez-lui de sexe » nous a confié Don Kenny (page 30), lui-même comique japonais. C’est bien moins une boutade qu’un retour en scène du sacré !
Ainsi entre l’acteur, ce protée : son costume ne pouvait être que celui d’Arlequin (page 33) et la parole qu’on lui préte (Georges Banu, page 35) ne pouvait être que « fragments d’un discours ».
Si hier est encore le noyau d’aujourd’hui, aujourd’hui est la bogue où múrira demain. Demain, Donald Ritchie l’a vu mûrir depuis vingt ans dans les théâtres de Tokyo (page 53) : un tour d’horizon à l’heure du soleil levant. Oida Yoshio, lui, a opté depuis quinze ans pour le couchant — mais, comment dire, le soleil l’a suivi tout du long (page 58). Suzuki Tadashi, enfin, n’a pas opte : tragédie grecque, modernité, terroir, il a tout pris, tout emmené jusqu’au cœur des montagnes. Il y a bon pied, bon œil. (page 60)
Et puisqu’il faut bien en venir un jour au butó, sachez : qu’il ne se définit pas, mais qu’il peut étre raconté — par Ogino Suichiro (page 67); qu’il ne s’invente pas, mais qu’il fut créé — par Hijikata Tatsumi (Goda Nario, page 73); qu’il ne se décrit pas, mais qu’il peut etre evoque — par Kobayashi Masayoshi (page 76): enfin qu’il ne se souvient pas, mais que souvent il rêve un rève de jadis (Nagao Kazuo, page 71).
Il parle, aussi, mais curieusement à rebours au fil de notre temps. La troupe Byakkosha ne nous a pas encore visités, mais Oosuka Isamu, son chorégraphe, vit deja/encore au cœur de la prehistoire, (page 79)
Tanaka Min nous a visités récemment : danseur errant, nous l’avons retrouvé — mais cetait jadis, au temps des fantômes et des paysans foulant la glebe. (page 83)
Ariadone, moins récemment, a aussi fait l’Europe ; pourtant son chorégraphe, Murobushi Kô, nous a accueillis en son antre de sorcier des montagnes, parlant comme un très vieux grimoire. (page 87)
Sankaï Juku initia l’Europe à la danse butô, il y a une éternité déjà nous semblait-il. Des quatre danseurs, Amagatsu Ushio n’en est pas moins le plus rétif à quitter le présent — il est vrai que son quotidien est aussi un eternel ! (page 89)
Le butô, décidément, entretient d’étranges rapports avec le temps. Oono Kazuo, un jour. l’a inventé — mais nul ne sait vraiment quand ! Le mot de la fin lui revenait. (page 90)
Plutôt que de transcrire laborieusement les termes japonais selon les usages de prononciation du français, nous avons opté partout pour la transcription romaji en usage au Japon, qui ne présente pas de difficulté particulière si l’on tient compte des remarques suivantes :
- e se prononce é (yose rime avec assez) sauf devant n où il se prononce è bref (kyôgen rime avec antenne);
- o et ô sont ouverts (comme dans pot et port):
- u et û se prononcent ou (comme dans trou et troue):
- les voyelles ne forment pas diphtongue (nagauta se prononce naga-outa et shin rime avec Chine):
- g, h et s sont toujours durs ;
- j et z se prononcent di et dz ; sh et ch se prononcent ch et tch ; la différence est peu marquée entre fet h, inexistante entre b et v ainsi qu’entre l et r (roulé et doux mais palatal et non guttural).
Conformément à l’usage japonais et par fidélité au rythme propre de la langue, nous avons donné les noms de personnes dans l’ordre : nom de famille, prénom. Afin d’éviter toute confusion, cet usage a été suivi pour tous les noms japonais, y compris ceux déjà familiers du public occidental dans un ordre différent : Tanaka (nom) Min (prénom), Oono (nom) Kazuo (prénom), etc.