Le Mahabharata ou les pouvoirs d’une histoire

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Le Mahabharata ou les pouvoirs d’une histoire

Le 30 Juil 1985
Première partie. La jeunesse des Pandavas et des Kauravas. La première leçon de Drona.

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Le mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives ThéâtralesLe mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives Théâtrales
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Peter Brook et Chloé Obolen­sky dans la car­rière de Boul­bon. Pho­to Alain Sauvon

Georges Banu : Quel rap­port avez-vous voulu établir entre l’his­toire du Mahab­hara­taet sa philoso­phie, sa sagesse ? Est-ce que vous avez voulu don­ner la pri­or­ité à la fable ou bien trou­ver un équili­bre entre les deux ?

Peter­Brook : Je crois qu’au­jour­d’hui on com­mence à se ren­dre compte d’une manière claire et sim­ple de la quan­tité de lan­gages dif­férents qui exis­tent. Surtout dans le théâtre c’est devenu un cliché de dire que non seule­ment la parole, mais aus­si l’autre aspect de l’ex­péri­ence devient lan­gage — le lan­gage du corps … ain­si de suite. Et une chose qui est rel­a­tive­ment oubliée, c’est qu’une his­toire, l’his­toire même, est un lan­gage. Je veux dire qu’on a ten­dance à pren­dre une his­toire comme une fin en soi. On racon­te une his­toire, et on croit que c’est sim­ple­ment pour écouter l’his­toire, sans se ren­dre compte que le principe même du mythe est que, en racon­tant une his­toire et en subis­sant le charme au pre­mier degré, qui est tout sim­ple­ment de suiv­re une his­toire en se deman­dant qui sont ces gens, qu’est-ce qu’ils vont faire, qu’est-ce qui va se pass­er .…, en même temps on reçoit des impres­sions dont la total­ité devient l’ex­pres­sion de quelque chose qui ne s’ex­primerait pas d’une manière aus­si pro­fonde par le lan­gage par­lé ou écrit. Je crois que, par exem­ple, dans le théâtre on le voit très bien avec le charme indéfiniss­able et très fort qu’a pro­duit, surtout au début, le tra­vail de Bob Wil­son. On s’aperçoit là que le déroule­ment des images est un lan­gage, et à notre époque il y a eu beau­coup d’ex­péri­ences au ciné­ma et au théâtre où en enl­e­vant l’aspect nar­ratif on cherche à com­mu­ni­quer à tra­vers un déroule­ment d’im­ages sans fil anec­do­tique. D’une cer­taine manière si Le Mahab­hara­ta est comme l’aboutisse­ment d’une série d’ex­péri­ences que j’ai faites, qui comme toutes les expéri­ences sont tou­jours une façon de revenir à une source, ain­si on revient au fait que la meilleure manière de racon­ter le con­tenu du Mahab­hara­ta c’est de suiv­re l’his­toire. Dans Le Mahab­hara­ta lui-même, dans le grand poème, con­tin­uelle­ment on dit une chose un peu étrange pour nous : si vous écoutez cette his­toire, à la fin vous serez un autre ; le fait même d’é­couter cette his­toire va vous don­ner de la ver­tu, etc. En ce sens qu’une vraie his­toire a une action.
Et cette action va au-delà de toute analyse du con­tenu. Mais c’est très dif­fi­cile pour l’e­sprit occi­den­tal d’ac­cepter cette idée du lan­gage mythique. Il l’ac­cepte jusqu’à un cer­tain point, mais finale­ment der­rière cela l’Oc­ci­den­tal pense : on peut dire quand même qu’il s’ag­it de ceci ou de cela. Or c’est juste­ment le con­traire : le ceci et le cela sont des approx­i­ma­tions qui devi­en­nent plus pré­cis­es quand la pré­ci­sion appar­ente de l’analyse fait place à la pré­ci­sion réelle de l’im­age, de l’his­toire dans son déroule­ment.

G. B. : Je me demande, lorsque je pense à La con­férence des oiseaux ou au Mahab­hara­ta, si dans l’Ori­ent votre préférence ne va pas aux espaces mys­tiques de la Perse et de l’Inde plutôt qu’à la Chine et au Japon. Est-ce que vous entretenez vrai­ment une rela­tion priv­ilégiée avec ces aires cul­turelles aux dépens des autres aires de l’Ori­ent ?

P.B. : Pas du tout. D’ailleurs vous oubliez l’Afrique. Je dirais que j’ai passé toute ma vie à voy­ager. Quand j’ai com­mencé à tra­vailler, je me sen­tais beau­coup plus un voyageur qu’un homme de théâtre. J’é­tais un voyageur qui fai­sait du théâtre plutôt qu’un met­teur en scène qui fai­sait des voy­ages pour se dis­traire. Dans ces voy­ages, je crois qu’il y a eu un mou­ve­ment tout à fait naturel : j’ai vis­ité énor­mé­ment l’Eu­rope, l’Afrique, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, et mon explo­ration de l’Ori­ent s’est faite pro­gres­sive­ment à tra­vers le Moyen Ori­ent, l’Afghanistan jusqu’en Inde, et aujour­d’hui j’ai très envie d’aller plus loin. Je ne suis pas encore allé en Asie du Sud, ni en Chine, ni au Japon Mais ce sont des per­spec­tives pour l’avenir.

G.B. : Dans Le Mahab­hara­ta, vous faites beau­coup de références à l’Inde : on, voit des rit­uels, des cos­tumes, des paysages. Il sem­ble que plus que d’habi­tude vous vouliez rat­tach­er Le Mahab­hara­ta à sa terre d’o­rig­ine. Au con­traire dans La con­férence des oiseaux, la référence à l’I­ran était beau­coup plus dis­crète, beau­coup plus cam­ou­flée. Est-ce que ces cita­tions de l’Inde vous allez les préserv­er ou les accentuer ? J’ai l’im­pres­sion dans l’é­tat actuel du spec­ta­cle que vous voulez nous dire que Le Mahab­hara­ta est une œuvre indis­so­cia­ble de l’Inde

P.B. : Si on com­pare les deux œuvres je dirais que La con­férence des oiseaux est une his­toire qui se passe dans l’imag­i­naire : les oiseaux se par­lent entre eux et le lan­gage des oiseaux n’est pas plus per­san que français. Donc on la situe dans un univers fic­tif et vague­ment ori­en­tal pour dépayser. Mais autrement il n’y a aucun con­texte réal­iste dans cette his­toire. On joue avec des masques pour la sim­ple rai­son que c’est dans l’imag­i­naire. Le Mahab­hara­ta, lui, est beau­coup plus mus­clé. Il existe con­tin­uelle­ment sur deux niveaux :
le niveau, dis­ons, Con­férence — celui de l’imag­i­naire — et le niveau, dis­ons des lks - celui de l’en­racin­e­ment.
Les deux sont là. Et comme tou­jours, on ne cherche pas à mon­tr­er, mais à sug­gér­er. Il me sem­ble qu’on racon­te une his­toire qui est uni­verselle d’un côté, mais qui d’un autre côté n’au­rait jamais existé sans l’Inde. Pour racon­ter cette his­toire il faut, tout en évi­tant que la sug­ges­tion de l’Inde soit telle­ment forte qu’elle nous éloigne trop de l’i­den­ti­fi­ca­tion humaine, la racon­ter néan­moins comme une his­toire enrac­inée dans la terre indi­enne. Je crois que ce serait un peu une trahi­son et en même temps une dévi­tal­i­sa­tion de la plac­er dans l’imag­i­naire pur. La pre­mière per­son­ne qui arrive, qui est Gan­ga, est la déesse d’un fleuve pré­cis qui domine la pen­sée de tous les Indi­ens, le Gange, et chez nous elle est en même temps une actrice qui fait du théâtre abstrait dans le sens qu’elle donne l’im­pres­sion d’être une déesse qui sort de l’eau, mais elle est sur la terre et elle a les pieds dans l’eau, l’eau du fleuve.

G. B. : Com­ment avez-vous con­sti­tué l’équipe des comé­di­ens ? Par exemple·pour les Pan­davas vous avez dis­tribué les acteurs pour que cha­cun incar­ne un cer­tain mod­èle humain.

P. B. : Comme tou­jours, nous ne sommes pas par­tis avec des idées sché­ma­tiques. Nous n’avons pas fait du cast­ing dans l’e­sprit de l’UNESCO en dis­ant tel pays va représen­ter telle ou telle chose, mais nous avons tra­vail­lé en cher­chant, en tamisant, comme on dit dans la Con­férence. Marie-Hélène Esti­enne a fait, sur ce plan, un tra­vail énorme en recher­chant partout des acteurs et cela a pris beau­coup de temps.
On a fait pass­er de mul­ti­ples audi­tions, on a vu des cen­taines de per­son­nes, on a beau­coup voy­agé, on est allé jusqu’à Dakar pour ren­con­tr­er les acteurs séné­galais. On a regardé aus­si des rush ici à Paris pour voir des comé­di­ens africains d’autres pays… Une chose qui a imposé des lim­ites pra­tiques, c’é­tait la néces­sité d’avoir des comé­di­ens capa­bles de par­ler assez bien français. A par­tir de là, on a gardé nos critères habituels : l’ou­ver­ture chez l’ac­teur. Qu’il soit ouvert intérieure­ment au sujet, extérieure­ment au tra­vail col­lec­tif. Comme dans le cas de La Ceri­saie, mais pas du tout comme au moment de la con­sti­tu­tion du pre­mier groupe du Cen­tre, cette fois-ci il y avait des emplois, des rôles. Par exem­ple pour Bima on a cher­ché partout, car c’est assez rare de.trouver un géant qui joue bien. On a vu des acteurs améri­cains. On a hésité entre plusieurs acteurs avant de décou­vrir celui qui le joue maintenant.On ne pen­sait pas au départ qu’il serait africain, mais finale­ment c’est à Dakar qu’on l’a trou­vé. Main­tenant, en tra­vail­lant sur le rôle, Mamadou Dioume voit que ce qu’il a en lui, non seule­ment extérieure­ment, mais ce qu’il a de pro­fond en lui, qui vient de ses racines, peut servir au rôle.
Pour les Pan­davas, ce qui est évi­dent au départ c’est qu’ils ne sont pas du même père, donc qu’il s’ag­it d’une famille qui n’a pas besoin de faire « famille » dans le sens de La Ceri­saie. Au con­traire, étant de pères dif­férents, c’est très bien qu’ils soient du point de vue race, cul­ture, orig­ine, très dif­férents. D’une cer­taine manière cela a élar­gi l’hori­zon au départ. A par­tir de là, on a essayé de faire un ensem­ble et finale­ment, après coup, on décou­vre une cer­taine logique naturelle : il y a quelque chose qui cor­re­spond bien à cha­cun par rap­port à ce qu’il est, et à ce que sa cul­ture représente.

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