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Entretien sur les lumières

Le 23 Juil 1985
Troisième partie. La mort de Bhishma, et Dhritarashtra qui lui fait ses adieux.

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Troisième partie. La mort de Bhishma, et Dhritarashtra qui lui fait ses adieux.
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Le mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives ThéâtralesLe mahabharata-Couverture du Numéro 24 d'Alternatives Théâtrales
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Georges Banu : Dans tes « Notes sur les réso­nances », parues dans le Jour­nal de Chail­lot n° 18, tu dis :
« ce n’est que dans un espace don­né, même s’il est désert et vide, que la lumière peut venir ». La lumière arrive plus tard, pour achev­er le proces­sus com­mencé par le met­teur en scène. Un jour où Hen­ri Alekan dis­ait qu’au ciné­ma c’est la lumière qui est la pre­mière, Anto­nioni lui répon­dit que c’é­tait son œil, œil de met­teur en scène qui était le pre­mier. C’est lui qui a vu tout d’abord l’île de L’Aven­tu­ra, la lumière ne fait que suc­céder à ce qui a été déjà décou­vert. Au théâtre, encore plus qu’au ciné­ma, la lumière s’a­joute à ce qui a déjà été for­mulé, élaboré. Elle ne par­ticipe pas dès le début au pro­jet.

Jean Kalman : Il peut y avoir des images de lumi­nosité désirées, un pro­jet de lumière, mais tout de même je pense qu’en général, la lumière vient dans ou sur une propo­si­tion de jeu, d’e­space. Dans Le Mahab­hara­ta, je suis arrivé en dernier, je n’ai com­mencé à tra­vailler qu’en févri­er. Cela ne m’a pas gêné. J’éprou­ve un besoin de rapid­ité, d’ur­gence dans ce que je fais. Aux Bouffes du Nord, je me trou­ve dans une sit­u­a­tion par­ti­c­ulière, car je con­nais bien cet espace, espace qui, comme tou­jours chez Brook, est l’e­space du spec­ta­cle. Grâce au tra­vail de Chloé Obolen­sky, cet espace est encore plus sim­pli­fié que d’habi­tude — portes, fenêtres, allées sup­primées — il appa­rait comme vierge. Mais encore plus dif­fi­cile pour les éclairages. Bien sûr, il était pos­si­ble de con­fi­er l’en­tière inven­tion de l’e­space de la représen­ta­tion aux comé­di­ens, comme ce fut le cas pour Ubu ou La con­férence des oiseaux. Mais pour Le Mahab­hara­ta, Peter Brook souhaitait soutenir la créa­tion de l’e­space par les comé­di­ens à l’aide des éclairages. Ceux-ci devaient assur­er une suc­ces­sion rapi­de d’in­térieurs, d’ex­térieurs, de palais, de champs de bataille. Il est pos­si­ble que cela ne soit pas immé­di­ate­ment vis­i­ble, car plutôt que de tra­vailler les signes désig­nant des espaces pré­cis — une ogive pour un palais, par exem­ple — il me sem­ble plus juste de met­tre en jeu une struc­ture glob­ale de l’e­space. Le signe de la nuit dans les éclairages, ce sont les lumières bleutées, mais par­fois il a été plus intéres­sant d’imag­in­er des nuits chaudes et ambrées qui tiraient leur légitim­ité de la struc­ture d’ensem­ble. La lumière a, par rap­port aux mou­ve­ments du décor et des objets, plus de mobil­ité. Elle per­met le pas­sage d’un lieu à l’autre avec plus d’ai­sance, de manière presque immatérielle. Nous en avons prof­ité.

G.B. : Mais out­re ces infor­ma­tions topographiques, la lumière n’in­ter­vient-elle pas par rap­port aux per­son­nages, aux comé­di­ens ?

J.K. : La lumière a, bien sûr, des fonc­tions mul­ti­ples. Ain­si, en dehors de toute préoc­cu­pa­tion réal­iste, elle se con­cen­tre dans une focal­i­sa­tion très intense, pour le Bha­gavad-Gita, lorsqu’a­vant de s’en­gager dans la bataille, Arju­na, saisi d’un grand trou­ble, hésite, et que Krish­na l’aide à sur­mon­ter son moment de faib­lesse. Ne peut-on alors dire que la lumière sert de porte-voix, ain­si que le dis­ait Pierre Saveron, l’é­clairag­iste de Jean Vilar ? C’est aus­si en dehors de toute préoc­cu­pa­tion réal­iste d’évo­ca­tion du jour ou de la nuit que les lumières inter­vi­en­nent à un autre moment, quand un démon noc­turne mon­tre, dans un élan d’amour, son vis­age de beauté.

G.B. : Ces dernières années — main­tenant cela com­mence à change — la lumière s’est don­né pour mis­sion de ren­dre compte du pas­sage du temps, pas­sage d’au­tant plus sai­sis­sant qu’il garde son autonomie par rap­port à l’ac­tion. Le temps qui passe ne l’il­lus­tre pas, ne la teinte pas directe­ment d’ac­cents sen­si­bles, bien au con­traire, il garde sa lib­erté pour n’en­tr­er en con­tact avec l’ac­tion qu’à cer­tains moments et s’en éloign­er à d’autres.

J.K. : Nous avons voulu respecter aus­si le pas­sage de la nuit au jour, sans pour autant éla­bor­er une struc­ture tem­porelle trop con­traig­nante. La mal­léa­bil­ité a été la règle prin­ci­pale. Par ailleurs, j’ai cher­ché la chaleur de l’Inde. A mon grand regret, je n’ai pu aller dans ce pays, mais tout me pous­sait à imag­in­er une lumière à dom­i­nante chaude. Très chaude.

G.B. : Nous par­lons ici de la lumière de ce spec­ta­cle de Peter Brook comme si cela allait de soi, en oubliant, ou en feignant d’ou­bli­er, qu’i a été tou­jours le par­ti­san du plein-feu bref de la lumière sim­ple­ment fonc­tion­nelle, la lumière max­i­male qui incor­pore salle et plateau, con­join­te­ment.

J.K. : Pour para­phras­er Barthes, je dirais que le plein-feu c’est le degré zéro de l’é­clairage, mais que ce degré zéro peut être plus sat­is­faisant esthé­tique­ment que beau­coup de jeux sub­tils d’é­clairages qui relèvent de la fior­i­t­ure inutile ou d’un esthétisme figé dans des a pri­ori volon­taristes. Ain­si il peut être très beau de jouer du déroule­ment tem­porel comme d’un mou­ve­ment inex­orable, à l’é­cart de l’ac­tion des hommes, mais encore ne faut-il pas se pren­dre pour Chronos soi-même, indif­férent à ce qui fait le théâtre : les acteurs et leurs rap­ports aux s’pec­ta­teurs. La lumière doit-elle servir à isol­er les acteurs ou, au con­traire, à les rap­procher des spec­ta­teurs ? Au moins, jouer les porte-voix c’est pren­dre cette ques­tion en compte.

G.B. : Dans tes « Notes sur les réso­nances », tu dis­ais : « Je réalise que je ne peux penser une lumière vrai­ment blanche. Quel manque de rigueur ! …»

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Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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