Josef Nadj, le devenir à l’œuvre de la mémoire

Josef Nadj, le devenir à l’œuvre de la mémoire

Le 26 Mai 1996
CANARD PÉKINOIS chorégraphie de Josef Nadj Photo Tristan Valès Enguerand
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CANARD PÉKINOIS chorégraphie de Josef Nadj Photo Tristan Valès Enguerand
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Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives ThéâtralesVitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
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NÉ À KANISZA, dans une province hon­groise de l’ex-Yougoslavie, Josef Nadj est venu en France per­fec­tion­ner une for­ma­tion ini­tiale en mime. Sa ren­con­tre avec cer­tains choré­graphes (Lari Leong, François Ver­ret, Mark Tomp­kins, Cather­ine Diver­res) l’oriente vers la danse, mais sa com­pag­nie s’intitule Théâtre Jel. Aux con­flu­ences de la choré­gra­phie et du théâtre gestuel, ses créa­tions cul­tivent un cli­mat délibéré­ment onirique.

Jean-Claude Gal­lot­ta dis­ait que l’une des fonc­tions du choré­graphe con­tem­po­rain est de « recon­stru­ire le réel pour le ren­dre con­forme au désir ». À l’opposé d’une danse « abstraite » dérivée des courants améri­cains, Josef Nadj revendique la néces­sité du con­te, de la fab­u­la. Il puise dans la mémoire de son enfance sla­vo-hon­groise des élé­ments qu’il tri­t­ure et malaxe habile­ment. 

La bour­gade de Kanisza est son gre­nier per­ma­nent : il s’inspire tour à tour de l’obscure légende d’un groupe de théâtre ama­teur qui rêvait de con­v­ol­er en Chine (CANARD PÉKINOIS), des dérisoires et tru­cu­lents sou­venirs de guerre légués par son grand-père peu avant sa mort (SEPT PEAUX DE RHINOCÉROS), ou encore des pom­piers bénév­oles du vil­lage, de leur fan­fare et des pièces de théâtre qu’ils mon­taient à leurs heures per­dues (LES ÉCHELLES D’ORPHÉE). 

Chaman d’images, Nadj casse les tire­lires de la mémoire pour en rec­oller les morceaux, et refor­muler une logique dans l’absurdité légère de la vie. Il met en scène les feux fol­lets allumés dans l’enfance, déclenche une sara­bande de revenants, et tire une à une les ficelles de ces rit­uels envoû­tants, dans un déli­rant cortège de gestes. 

La mémoire, une forme d’esprit qui s’invente 

De toute évi­dence, les frag­ments d’existence con­vo­qués dans l’écheveau nad­jien appar­ti­en­nent à un monde révolu. La litanie des cos­tumes som­bres, fracs et redin­gotes, égrène un temps d’avant la couleur, comme ces cartes postales de l’âge du noir et blanc qui épin­g­lent accou­trements désuets, pre­mières voitures à chevaux­mo­teur, places de vil­lages igno­rantes du goudron. 

Josef Nadj donne lui-même quelques repères tan­gi­bles : les sapeurs bénév­oles de Kanisza rem­portèrent le cham­pi­onnat du monde des pom­piers à Turin en 1911 ; les acteurs ama­teurs qui rêvaient d’Extrême-Orient jouèrent leur pièce au début du siè­cle ; Geza Csath, auteur d’un con­te dont il s’est inspiré pour COMEDIA TEMPIO, était un auteur con­tem­po­rain de Freud. Dans un entre­tien, le choré­graphe fait claire­ment allu­sion à « l’esprit de moder­nité du début du XXᵉ siè­cle » : « Je ressens la grande néces­sité de revenir aux ques­tions essen­tielles qui agi­taient cette époque, à cette atti­tude d’hypersensibilité qui per­me­t­tra de capter le bon chemin parce qu’elle nous main­tient disponibles pour toutes les ouver­tures ». 

CANARD PÉKINOIS chorégraphie de Josef Nadj Photos Tristan Valès Enguerand
CANARD PÉKINOIS choré­gra­phie de Josef Nadj Pho­tos Tris­tan Valès Enguerand

Evidem­ment, il ne s’agit pas pour Nadj d’entreprendre la recon­sti­tu­tion muséale d’une quel­conque his­toric­ité, mais de faire tra­vailler un matéri­au lais­sé en jachère, de ramen­er à la sur­face des corps un dépôt d’étrangeté, et d’en faire fruc­ti­fi­er les poten­tial­ités, par un jeu de libre asso­ci­a­tion. La mémoire n’est pas don­née une fois pour toutes ; elle est en per­ma­nence à inven­ter. Peu importe, au fond, que les événe­ments relatés par Nadj dans le pré-texte de ses choré­gra­phies aient eu réelle­ment lieu ou non. Ils pren­nent lieu dans le con­texte d’une dra­maturgie en mou­ve­ment qui dis­sout les con­tours du réel et de la fan­taisie. 

CANARD PÉKINOIS chorégraphie de Josef Nadj Photos Tristan Valès Enguerand
CANARD PÉKINOIS choré­gra­phie de Josef Nadj Pho­tos Tris­tan Valès Enguerand

« Le drame plane dans l’espace », écrit Kaf­ka dans son JOURNAL, « mais non pas comme un toit porté par la tem­pête, comme un édi­fice entier dont les soubasse­ments ont été arrachés de terre, avec une force aujourd’hui encore très proche de la folie. » Cette force inquié­tante, qui désagrège les apparences aus­si sûre­ment qu’une tem­pête déracine un édi­fice, est la ligne de fuite qui per­met à Nadj d’outrepasser le temps, de ne pas com­pos­er un strict devoir de mémoire

La logique interne du devenir scénique 

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Écrit par Jean-Marc Adolphe
Jean-Marc Adolphe est rédacteur en chef de la revue Move­ment. Il a été con­seiller artis­tique au Théâtre de...Plus d'info
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