Henry Bauchau Une écriture de la plus haute théâtralité
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Henry Bauchau Une écriture de la plus haute théâtralité

Un témoignage de Gisèle Salin, metteure en scène

Le 29 Jan 1997
Véronique Mermoud dans DIOTIME ET LES LIONS d'Henry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Photo Mario Del Curto.
Véronique Mermoud dans DIOTIME ET LES LIONS d'Henry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Photo Mario Del Curto.
Véronique Mermoud dans DIOTIME ET LES LIONS d'Henry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Photo Mario Del Curto.
Véronique Mermoud dans DIOTIME ET LES LIONS d'Henry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Photo Mario Del Curto.
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Le choc de la ren­con­tre

LORSQUE J’ai refer­mé ŒDIPE SUR LA ROUTE, j’ai voulu par­ler à Hen­ry Bauchau :dire tout de suite à cet écrivain, qui m’é­tait incon­nu, que je venais de lire le plus beau livre de ma vie.

Je ne me doutais pas que je rejoindrais grâce à lui un voy­age per­son­nel enfoui en moi, qui avait com­mencé en pro­fondeur, mais pour lequel il me man­quait un com­pagnon. Comme Œdipe j’avais mon Antigone mais il me man­quait mon Clios. C’est Bauchau qui a été mon Clios.

ŒDIPE SUR LA ROUTE provo­quait les mêmes mou­ve­ments pro­fonds et jouis­sifs que ANTIGONE de Sopho­cle que j’avais mis en scène en 1988, puis en 1989. Le texte de Sopho­cle n’est pas seule­ment un écrit, il est aus­si un « dit » qui agit sur le lecteur, sur l’acteur et sur le spec­ta­teur.

L’écri­t­ure de Bauchau comme celle de Sopho­cle pos­sède un pou­voir. Non pas un pou­voir mag­ique mais incisif. Il agit directe­ment sur nos désirs enfouis et nous amène à ne plus désir­er autre chose que d’être nous-mêmes. Avec tout le cortège fab­uleux des tragédies intimes et publiques qui nous con­stitue.

Le « dit » des chaos, lié à la quête de l’ex­ac­ti­tude de ce « dit », nous plonge tou­jours dans le même décor : le lieu de la vérité. Non pas une vérité objec­tive ou morale mais la vérité des pul­sions pro­fondes ; celles qui, avant même d’être admis­es ou com­pris­es, peu­vent sur­gir libres de toutes entrav­es.

Ce « dit » dès lors qu’il a un nom devient un acte. Il obtient sa légitim­ité avant l’in­ter­ven­tion mas­sacrante de nos cen­sures. Et même s’il met au jour des pul­sions mortelles, ce « dit » nous pro­cure un soulage­ment et une jouis­sance inou­bli­ables.

Or, qu’est-ce que le théâtre sinon la place de la mise en jeu publique, le lieu prévu pour libér­er les lan­gages enfouis, le « dit » ? Le lieu de vérité pour nos pul­sions ban­nies. Enfin le lieu où nos vio­lences, per­mis­es par une réelle fic­tion, ne tuent pas mais nous font vivre.

Dio­time et les lions

« J’ai repris aujourd’hui le réc­it de Dio­time, il y a moins de coupures à faire que je ne le croy­ais. Ce qui est lourd par­fois, ce qui a des pré­ten­tions à la pen­sée, c’est ce qui vient de moi et non d’elle. L. m’in­ter­roge sur l’o­rig­ine du per­son­nage de Dio­time. Il y a cer­taine­ment dans le choix de son nom des réson­nances de Pla­ton et de Hôlderin. Il y a aus­si une présence du paysage de ce pays aux con­fins de la Touraine et de l’An­jou où nous pas­sons nos vacances depuis trois ans. Ses légères collines, ses hori­zons cer­clés de bois, l’har­monieux mélange des riv­ières, des vig­no­bles et des vil­lages entourés d’ar­bres, c’est Dio­time, telle que la ren­con­tre Antigone, mais, aupar­a­vant, il y à sa jeunesse ardente de la couleur des fauves. Qui n’é­tait pas en moi, qui n’a existé, qui n’ex­iste que dans l’écri­t­ure. »
9 août 19881.

« Je suis très attaché, trop sans doute, à « L’his­toire de Dio­time », il me sem­ble que c’est un de mes meilleurs écrits et un des plus inspirés. »
26 août 19892.

 Véronique Mermoud dans DIOTIME ET LES LIONS de Henry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Photo Mario Del Curto.
Véronique Mer­moud dans DIOTIME ET LES LIONS de Hen­ry Bauchau, mise en scène de Gisèle Sallin. Pho­to Mario Del Cur­to.

Après avoir lu DIOTIME ET LES LIONS, j’ai demandé à Hen­ry Bauchau de pou­voir représen­ter ce texte au théâtre. Je voulais pra­ti­quer son écri­t­ure, me plonger dans les ques­tions qu’elle soulève. Je ne voulais pas « adapter » le texte. Il me sem­blait que l’écri­t­ure de Bauchau, sans avoir l’apparence d’une écri­t­ure théâ­trale, inter­ro­geait le théâtre con­tem­po­rain. L’écri­t­ure théâ­trale actuelle, lorsqu’elle pra­tique des lan­gages fausse­ment intel­lectuels, banal­isés et banal­isant, rompt avec les lan­gages archaïques et plus com­plex­es. Croy­ant se rap­procher du pub­lic cette écri­t­ure engen­dre en réal­ité une dis­tance en étant trop empreinte de « com­men­taire » et d’«anecdote ». Je voulais donc met­tre en scène le réc­it de DIOTIME ET LES LIONS, tel quel, dans son inté­gral­ité.

Jean-Claude De Bemels, scéno­graphe, m’a pro­posé un grand objet fait de bar­res de bois ron­des et de cordes. Le tout attaché à des poulies et à des treuils manuels. Cet objet pou­vait être un ciel, une prison, un chemin ini­ti­a­tique, un Jardin japon­ais ou une jument alezane. Un objet archaïque, manip­ulé en couliss­es par Nico­las Bridel, qui l’en­trete­nait comme un pêcheur répare ses filets. Un objet théâ­tral capa­ble de génér­er un lan­gage visuel dans l’espace, lan­gage libre­ment inter­prété ou traduit par l’imag­i­naire du spec­ta­teur.

Le mot scéno­gra­phie « écrire sur la scène » pre­nait tout son sens.

Dans le rôle de Dio­time, Véronique Mer­moud, douée d’une grande maîtrise de la langue, est dev­enue au cours des représen­ta­tions une inter­prète dépouil­lée, tra­ver­sée par l’œu­vre, libérée de toutes van­ités, met­tant à dis­po­si­tion des lan­gages pro­fonds, son corps, ses palettes vocales et émo­tion­nelles, son intel­li­gence, ses pul­sions et ses instincts.

Le réc­it de Dio­time, son enfance, son ado­les­cence, sa ren­con­tre avec Arsès est une his­toire très sim­ple. Mais écrite de telle façon que le « dit » de Bauchau agit sur le spec­ta­teur et déclenche en lui un théâtre par­al­lèle à celui qui se déroule devant ses yeux. La guerre des lions dans laque­lle est engagée Dio­time, âgée de 15 ans, devient le sup­port de rêve qui per­met au spec­ta­teur de revivre son pro­pre com­bat : les feux, il les allume, les cris, il les entend et il les pousse.

Les deux joy­aux de la couronne

L’héritage de Sopho­cle nous laisse trois pièces sur l’his­toire d’Œdipe. Une couronne d’or à trois ramures : ŒDIPER­oOI, ŒDIPE À COLONE, ANTIGONE. Elles font par­tie des œuvres essen­tielles de l’his­toire de l’hu­man­ité.

2 400 ans plus tard, Hen­ry Bauchau vient orner cette couronne de deux joy­aux en rompant le silence sur la vie d’Œdipe entre Thèbes et Colone (ŒDIPE SUR LA ROUTE) et sur la vie d’‘Antigone entre Colone et Thèbes (ANTIGONE). Deux œuvres, à la fois dépen­dantes et indépen­dantes l’une de l’autre comme chez Sopho­cle, avec le même souf­fle, la même inspi­ra­tion, la même lib­erté que lui.

Bauchau rejoint Sopho­cle parce qu’il touche les sources de toutes les paroles. Ces deux joy­aux fer­ont par­tie de la poésie pour les poètes, de la philoso­phie pour les philosophes, de la psy­ch­analyse pour les psy­ch­an­a­lystes, de la pein­ture et de la sculp­ture pour les pein­tres et les sculp­teurs, de la musique et de la danse pour les musi­ciens et les danseurs, et du théâtre pour tous les publics.

C’est en cela que ses deux joy­aux sont de la plus haute théâ­tral­ité. Ils con­ti­en­nent et révè­lent les actions pro­fondes issues de toutes les créa­tions. Hen­ry Bauchau m’a con­fié qu’il s’é­tait tou­jours sen­ti en périphérie du théâtre : c’est faux. Il est en plein théâtre. C’est le théâtre qui s’acharne à être à la périphérie de lui-même.

  1. Hen­ry Bauchau. JOUR APRÈS JOUR. Jour­nal 1983 – 1989, Brux­elles, Les Éper­on­niers, 1992. ↩︎
  2. Hen­ry Bauchau. JOUR APRÈS JOUR. Jour­nal 1983 – 1989, Brux­elles, Les Éper­on­niers, 1992. ↩︎
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Écrit par Gisèle Sallin
Gisèle Sallin, comédienne et met­teure en scène, enseigne au Con­ser­va­toire de Fri­bourg (Suisse). Elle a fondé en 1979,...Plus d'info
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