Le public a raison de nous surtout lorsque nous estimons qu’il se trompe
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Le public a raison de nous surtout lorsque nous estimons qu’il se trompe

Le 25 Jan 1997
Patrick Ridremont etJean-Marie Pétiniot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI . Photo Denis Delcampe.
Patrick Ridremont etJean-Marie Pétiniot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI . Photo Denis Delcampe.
Patrick Ridremont etJean-Marie Pétiniot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI . Photo Denis Delcampe.
Patrick Ridremont etJean-Marie Pétiniot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI . Photo Denis Delcampe.
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Henry Bauchau-Couverture du Numéro 56 d'Alternatives ThéâtralesHenry Bauchau-Couverture du Numéro 56 d'Alternatives Théâtrales
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ALTERNATIVES THÉÂTRALES : L’Ate­lier théâ­tral de Lou­vain-la-Neuve que tu as fondé et que tu diriges s’in­scrit dans l’his­toire du théâtre pop­u­laire. Votre salle de spec­ta­cle s’ap­pelle le Théâtre Jean Vilar. Com­ment conçois-tu cette fil­i­a­tion et quelle est son actu­al­ité ?

Armand Del­campe : L’Ate­lier en sou­venir de Charles Dullin, l’ar­ti­san, l’artiste, le père.

Théâtre Jean Vilar en sou­venir du fon­da­teur d’Av­i­gnon et du T.N.P, celui qui ajou­ta « le pub­lic » aux notions mul­ti­sécu­laires du théâtre égale un tréteau, une pas­sion, un acteur. Vilar, le régis­seur, le piocheur social, le fils. Moi, je crois être l’éter­nel élève mais de ceux que ce statut n’empêche nulle­ment de boire dans leur verre. Et pourquoi l’élève, après tout, ne serait-il qu’un singe ?

L’élève peut fort bien, s’il n’est pas trop can­cre, ten­ter mod­este­ment de faire pour les gens de son temps le théâtre de son temps… Sim­ple­ment, il se sent le déposi­taire pro­vi­soire d’une tra­di­tion qui le dépasse, dont il hérite avec grat­i­tude, et qu’il trans­met, dans le meilleur des cas, bien mal­gré lui ?

L’élève un peu doué tente ain­si d’éviter les pièges de l’autisme « parthénogéné­tique », de l’autofécondation, les pièges de la méga­lo­manie « créa­trice », « inno­vante » ou « dévas­ta­trice » … L’élève inter­prète du mieux qu’il peut et se garde bien de créer. con­cept qu’il réserve à Shake­speare, à Mozart et à Dieu (quand il y croit).

A. T. : Le théâtre est-il un art minori­taire ? Com­ment intéress­er le pub­lic, l’élargir, et main­tenir une exi­gence artis­tique ? Quel réper­toire lui pro­pos­er aujour­d’hui ?

A. D. : On vit très bien sans théâtre. Mais des mil­lions de gens dans le monde (et depuis des siè­cles ) témoignent qu’ils vivent mieux encore quand ils le fréquentent et qu’ils l’ai­ment.

C’est un art de l’«ici et main­tenant ». Éviter de par­ler pour dans un siè­cle. Ne pas se tromper de « genre » … Nous ser­vons les poètes sans être des poètes, des pein­tres, des archi­tectes … Il nous faut con­va­in­cre, déranger et séduire tout de suite. Si nous faisons le « théâtre de demain » nous courons le risque que le pub­lic y vienne demain …

Or le pub­lic est la con­di­tion néces­saire (et insuff­isante) de la pra­tique de notre art d’in­ter­prètes.

Le pub­lic se crée à mesure et comme le poème dra­ma­tique …

C’est la néces­sité, le para­doxe, la dif­fi­culté, la ten­sion absolue …

Car le pub­lic paresse, il est indo­lent, facile, tou­jours en retard. Il faut lut­ter con­tre lui, aller « con­tre », haïr ses facil­ités, ses las­si­tudes, sa dém­a­gogie mais tou­jours savoir qu’il a rai­son de nous surtout lorsque nous esti­mons qu’il se trompe.

Le texte, si on le choisit avec dis­cerne­ment, est écrit par un poète et le poème char­rie tou­jours ce qui appar­tient au socle du pat­ri­moine humain …

Depuis la nuit des temps, en par­tant du poème, l’ac­teur trans­met à ses con­tem­po­rains un cer­tain nom­bre de sons humains fon­da­men­taux … Nous, gens de théâtre, ne sommes guère respon­s­ables d’autres choses.

Encore importe-t-il que ces vibra­tions et ces sons humains soient plutôt pleins que creux. Si ces sons humains, trans­mis aux spec­ta­teurs, se créent dans un espace trans­fig­uré et un temps réin­ven­té, nous quit­tons le ter­rain du « nat­u­ral­isme », du « réal­isme plat ou doc­u­men­taire », pour nous rap­procher d’un théâtre poé­tique qui, en cas de réus­site, peut touch­er au plus pro­fond le plus grand nom­bre… Il faut pour cela, à tout prix, quit­ter le ter­rain de l’anec­dote, de la mode, de la tranche de vie, de la com­mu­ni­ca­tion, de l’événe­men­tiel, de l’ac­tu­al­ité, de l’éphémère, de la marchan­dise et des besoins … pour prospecter, en l’in­ter­ro­geant, l’abîme des désirs et des ver­tiges humains.

A. T. : La con­cep­tion de « ser­vice pub­lic » est partout mise en ques­tion (on assiste en Europe Occi­den­tale, par exem­ple, à une pri­vati­sa­tion de plus en plus accélérée de grands dans de l’é­conomie « publique » ). Quel est le sens, aujour­d’hui, d’un théâtre « pub­lic » ? Quel doit être le rôle de l’E­tat par rap­port au théâtre ? Com­ment con­juguer aide de l’é­tat et indépen­dance ? À quoi doit être util­isée prin­ci­pale­ment l’aide de l’É­tat ?

A. D. : Il y a un siè­cle déjà, en Bel­gique, s’affrontaient Maeter­linck et Ver­haeren, sur les ques­tions de la fonc­tion sociale de l’art et des artistes, sur la con­cep­tion « céna­cle pour ini­tiés » opposée à l’é­d­u­ca­tion dans les « Maisons du Peu­ple»…

Jean-Marie Pétiniot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI de Bertolt Brecht. Mise en scène d’Armand Delcampe. (1997) Photo Denis Delcampe.
Jean-Marie Pétin­iot dans MAÎTRE PUNTILA ET SON VALET MATTI de Bertolt Brecht. Mise en scène d’Armand Del­campe. (1997) Pho­to Denis Del­campe.

L’É­tat mod­erne et civil­isé se doit de veiller à l’in­struc­tion publique, à l’é­d­u­ca­tion civique et à l’ini­ti­a­tion esthé­tique des citoyens qu’il pré­tend gou­vern­er via un grand Min­istère de l’É­d­u­ca­tion, de la Recherche, et des Beaux-Arts. et cela sans dém­a­gogie ni con­de­scen­dance.

L’É­tat doit éviter de « créer la nuit où toutes les vach­es sont gris­es » ou « trou­bler les eaux pour faire croire qu’ellessontprofondes»…

C’est sa pre­mière mis­sion vis-à-vis des jeunes, sa pre­mière mis­sion essen­tielle !

Il y a chez nous, dans ce vaste secteur, un grand chantier à ouvrir (ou, dans cer­tains cas, à raviv­er): écoles, uni­ver­sités, académies, enseigne­ments artis­tiques divers.

L’aide doit être accordée pri­or­i­tai- rement aux créa­teurs : auteurs, pein­tres, com­pos­i­teurs …

Dans le spec­ta­cle, elle doit être pri­or­i­taire­ment affec­tée à 4 mis­sion et pour l’essen­tiel faciliter le libre accès et le libre choix du pub­lic aux œuvres.

La ques­tion du « théâtre pub­lic » en ce sens n’a jamais été autant d’ac­tu­al­ité.

Trop de théâtres ne sont-ils pas sans pub­lic et trop de pub­lic sans théâtre ?

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Écrit par Armand Delcampe
Fon­da­teur — il y a près de 25ans— et directeur de l’Atelier Théâtral de Lou­vain-La-Neuve, Armand Del­campe a invité, et...Plus d'info
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