L’AUTEUR DE CES LIGNES a un rapport particulier avec les halles de Schaerbeek. Sentimental, peut-être, comme toute personne qui, un jour ou l’autre, a été amenée à pénétrer dans ce lieu, surtout lorsqu’il est vide et éclairé par la lumière du jour. De voisinage aussi car, depuis vingt ans, il vit à quelques centaines de mètres de là. Professionnel enfin car le dossier « Halles des Schaerbeek. Projet d’aménagement du marché couvert » fut en 1973 le premier qu’il eut à traiter comme fonctionnaire de la Commission française de la Culture, institution aujourd’hui disparue qui racheta peu après l’immeuble à la Commune de Schaerbeek avant de le céder dix ans plus tard à la Communauté française.
Ce projet était l’initiative d’une poignée d’individus parmi lesquelsJo Dekmine qui se sentait de plus en plus à l’étroit au Théâtre 140 qu’il dirigeait. Dekmine voyait les halles tout à la fois comme une tente berbère, une gare de triage ou une place publique couverte où s’organiseraient des fêtes, où l’on pourrait manger des oranges en pleine nuit, où des chanteurs se produiraient à l’improviste pendant que se cuiraient des omelettes ou des grillades. Bref, un « espace polyvalent » avec la poésie en plus. C’était le temps où la culture mourait à petit feu à force de se contempler en vase clos dans des fauteuils de velours numérotés et rivés au sol. La rapprocher de la vie et des gens semblait urgent à tous ceux qui redoutaient son naufrage.
L’auteur de ces lignes raconta sa première visite des halles en ces termes : «…il y a des choses dont on se souvient comme si c’était hier.Je vous fais grâce de la nomenclature de ces événements dont le caractère privé… cadre mal avec un texte qui est celui d’un fonctionnaire. Mais ce que je peux dire avec certitude, c’est que le moment précis où je suis entré dans les halles fait partie de cette liste. Tout s’est passé comme si le caractère public de ma fonction (instruire un dossier) rejoignait le caractère privé de son exercice (ressentir des émotions) dans une osmose parfaite. Ce que je retiens, c’est précisément l’espace.Je parle d’espace en terme d’étendue, comme quand on se trouve au milieu d’un désert et qu’on éprouve cette impression d’immensité sans limites… Probablement en raison de la lumière dans laquelle baignaient les halles ce jour-là. Les rayons de soleil traversaient la verrière et éclaboussaient le sol. La structure métallique et les vitres brisées se dressaient comme un décor qu’on aurait oublié de démonter pendant des années après le spectacle. Il y avait un vieux camion de pompier Minerva, une voiture hors d’usage et quelques constructions parasites qui avaient dû abriter des bureaux. On évoluait dans ce décor comme sous des projecteurs animés par la conscience d’une mission à remplir : sauver ce bâtiment et y faire quelque chose qui rencontre sa vocation première…»
Des années de négociations et de palabres institutionnelles, durant lesquelles se succédèrent des ministres remettant en cause les options de leurs prédécesseurs, s’écoulèrent alors avant qu’une première rénovation des halles voit le jour le 26 octobre 1985. De 1973 à cette date, cet ancien marché couvert conçu en 1865, détruit par le feu en 1898, reconstruit en 1901, désaffecté en 1920 et reconverti en entrepôt communal, vaste chapiteau de fer, de verre et de pierre, joyau de l’architecture industrielle, fut, en quelque sorte, « squattérisé » par des créateurs ou des associations culturelles multiples allant de groupements immigrés aux théâtres d’avant-garde en passant par des cirques, des forums ou des ateliers créatifs pour enfants du quartier. Cette occupation n’avait de sauvage que l’apparence puisque, se déroulant dans l’inconfort de lieux où s’engouffraient tout à la fois le soleil et le vent, elle était régie par une équipe d’animation menée par Philippe Grombeer, directeur, agissant ellemême sous la férule du conseil d’administration de l’asbl Halles de Schaerbeek.
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