IL Y A DES RENCONTRES PRÉVISIBLES. Et d’autres plus inattendues… Quand au lendemain d’une deuxième tournée sur les marchés de Normandie avec la Famille Magnifique, nous évoquions Le projet de partager cette aventure un peu folle avec quelques amis auteurs, le nom de Paul Emond était vraiment loin de nos pensées.
Certes, nous avions déjà lu quelques-unes de ses pièces ainsi que ses deux adaptations de Shakespeare … Mais l’univers de Paul Emond nous paraissait bien éloigné de ce public des marchés qui était devenu le nôtre et du théâtre forain que nous lui présentions sur notre camion-théâtre avec notre HISTOIRE DU THÉÂTRE racontée en courtes pièces de quinze à vingt minutes.
Une pièce de Paul Emond pour le théâtre des Magnifique, une pièce de Paul Emond à déguster en un quart d’heure, dans les clameurs des poissonnières et des marchands de melon : je suis certain que cette perspective en surprendra plus d’un. Comme elle nous surprenait nous-mêmes … Et à la vérité, il fallait toute la perspicacité d’un Émile Lansman pour oser y songer et toute sa tranquille détermination pour obtenir la conviction de l’auteur. De même qu’il a fallu à Paul une sacrée dose d’humour, de modestie et de confiance.
Toujours est-il qu’en compagnie de dix auteurs1 Paul Emond acceptait de faire le voyage à Caen afin d’y rencontrer la Famille Magnifique dans ses lieux de répétition et de tenter d’intégrer sa proposition farfelue. Laquelle proposition pouvait se résumer en trois termes : un camion, trois acteurs et un quart d’heure de texte pas plus. Une autre visite de Paul retrouvait les Magnifique en action sur le marché de Namur, dans le cadre de « Namur en mai », le festival des arts forains. Et quelques semaines plus tard, il nous adressait CHANTE PETIT HOMME.
Donc Monsieur Singe rentre chez lui avec un bien étrange cadeau en laisse. « C’est un homme domestique », explique-t-il à Madame : animal rare et cher qui se prénomme Oscar, qui n’arrête pas de parler (mais on ne comprend pas son langage) et qui pourra aider Madame Singe aux nombreuses tâches de la maison. Mais Madame Singe est une guenon moderne et avisée. Elle n’apprécie pas à son prix le soi-disant cadeau de son époux : cet animal bruyant (et à coup sûr malodorant !) qu’il lui faudra nourrir, entretenir et bichonner sans réelle garantie d’efficacité ménagère. Bref ! La soirée d’anniversaire s’annonce sous le signe de la discorde et de la polémique conjugale et tous les arguments s’épuisent laissant les époux dos à dos.
Sauf que l’homme domestique a une vertu cachée : il est capable de chanter. De chanter des chansons d’amour. Or de mémoire de singe, ni Madame, ni Monsieur n’ont jamais entendu chanter.
L’intérêt change alors de camp. Madame Singe tombe sous le charme de ce petit homme « dont le chant est si beau qu’il en devient beau lui-même ». Tandis que Monsieur Singe, éclairé par la jalousie, sent venir le danger. « Ce chant est beau et dangereux. Il est dangereux parce qu’il est beau. » Et la querelle inverse les rôles jusqu’à une nouvelle empoignade dont le petit homme profitera pour fausser compagnie au couple. L’intrigue rebondira encore avec un dénouement parfaitement inattendu jetant un trouble définitif sur les certitudes établies.
Sur le registre de ce qu’il appelle lui-même « une bouffonnerie zoologique » et sur le thème ambitieux du racisme et de la xénophobie, Paul Emond a écrit une très jolie comédie simple et très efficace. Tout à la fois drôle et sensible, féroce et tendre. Pas de démonstration laborieuse, pas de tentation d’enfoncer le clou. La situation parle d’elle-même.
À chaque extrémité de la laisse qui lie Oscar à Monsieur Singe comme Pozzo à Lucky, s’exprime le grand écart de nos comportements. D’un côté la bêtise, la violence et la tyrannie ordinaires. De l’autre, un chant d’amour. Entre l’oppresseur et l’opprimé, il y a Madame singe, un personnage ludion, tour à tour soumise et rebelle, victime et complice de la tyrannie maritale. Transformée par cette soudaine fascination pour le chant « si beau » du petit homme qui lui révèle soudain le continent inexploré de ses sentiments.
Un chant d’amour nous sauvera-t-il de notre propre barbarie ?
Cette pièce de Paul Emond nous l’avons jouée plus de vingt fois sur les marchés de Normandie, de Bretagne et d’ailleurs. En compagnie des cinq autres œuvres contemporaines 2 créées pour cette tournée 1998 de la Famille Magnifique, elle a ainsi pu rencontrer un très vaste public de plusieurs milliers de spectateurs qui, dans leur large majorité, ne connaissaient ni Paul Emond ni le théâtre d’aujourd’hui.
CHANTE PETIT HOMME est d’une grande simplicité dramatique, d’une pertinence, d’une drôlerie, d’une facétieuse fausse naïveté qui rappelle l’esprit allégorique du théâtre de foire du dix-huitième siècle.
La pièce ne manquait pas de réconcilier ce qu’il est convenu d’appeler le public populaire (les enfants, chalands, les familles en vacances) et Le public plus savant de « ceux qui vont déjà au théâtre ». Mais à quelle autre destination se fabrique le théâtre, s’écrit la poésie, sinon de s’adresser à tous ?
Il y a des rencontres prévisibles et d’autres plus inattendues. Il y en a qui manquent à l’appel et d’autres qui s’imposent, après coup, comme une évidence. Aujourd’hui il nous paraît clair que Paul Emond est proche de nous. Qu’il a bien rencontré la Famille Magnifique, cette troupe mythique de saltimbanques qui donne son théâtre sut les places entre Les étals de poireaux et les clameurs des poissonnières… Ça ne l’a pas empêché de rester Paul Emond, l’auteur que l’on connaît. L Y A DES RENCONTRES PRÉVISIBLES. Et d’autres plus inattendues… Quand au lendemain d’une deuxième tournée sur les marchés de Normandie avec la Famille Magnifique, nous évoquions Le projet de partager cette aventure un peu folle avec quelques amis auteurs, le nom de Paul Emond était vraiment loin de nos pensées.

