TU REÇOIS UNE PIÈCE À LIRE, jamais jouée, dans laquelle on te propose un rôle. Lecture ! Le réflexe fait que, dès la première approche, tu classes cette pièce dans une certaine catégorie : comédie, tragédie …tu vois ce que je veux dire. Grave erreur, bien sûr ! Il faut toujours rester aux aguets. Rejeter les idées préconçues.
INACCESSIBLES AMOURS ?On n’avait pas monté de pièce de Paul Emond depuis LES PUPILLES DU TIGRE au Théâtre Varia. Un indice peut-être : il me semblait que les personnages étaient plus absurdes et pouvaient être plus drôles que ce qui m’était montré.
C’est à nous de le servir cette fois. Oh bien sûr, il ne s’agit que d’un essai prudent aux Midis du Rideau de Bruxelles. La mise en scène est de Roumen Tchakarov.
Pas de référents donc. C’est la grande première. Lire d’abord et relire et ainsi de suite. Impression : il n’y a pas à proprement parler d’histoire. Ce sont plutôt des personnages qui se retrouvent ensemble dans un lieu, mais qui ne cherchent pas à communiquer. Chacun reste branché sur ce qui le préoccupe et si tu réponds à l’autre, c’est pour mieux lui faire comprendre qu’il ne comprend rien à tes problèmes.
Essayer ensuite de trouver comment fonctionnent ces personnages. Intuitivement d’abord, mais aussi de l’extérieur en expérimentant différents rythmes, différentes humeurs, différentes énergies. Se rendre compte de facto qu’on est dans un univers à la fois dérisoire, ce ne sont pas des héros (mais qu’est-ce que ça veut dire un héros ?), ce ne sont pas de grands discours philosophiques (mais ça aussi, qu’est-ce que ça veut dire ?), on y parle d’un commerce à remettre, d’un boucher enfermé dans son frigo à cause du chat, d’un rendez-vous manqué, d’embouteillages… Pour l’homme blessé (le rôle qui m’est destiné) qui a un rendez-vous avec Gisèle, — laquelle vient de lui annoncer qu’elle s’est rasé le pubis —, la manifestation des agriculteurs européens bloquant sa voiture est évidemment une telle contrariété qu’il s’octroie Le droit de leur rentrer dedans et évidemment de se retrouver au poste de police etc., etc. Mais Œdipe ne tue-t-il pas l’homme qui lui bloque le chemin pour moins que ça ?
Anecdote : alors que j’allais au théâtre pour répéter la pièce, je me suis retrouvé coincé rue de la Loi par une manifestation similaire. Alors l’énervement gagne au fur et à mesure que les minutes s’égrènent et je me suis retrouvé hurlant, frappant mon volant, maudissant les manifestants. Et plus je m’énervais, plus il me semblait que le personnage de la pièce me regardait ahuri ; ma rage s’est doublée d’un fou rire et, quelque part, j’ai dû me dire : chapeau Emond, tu as vu juste !
Je n’ai plus eu qu’à partir de cette sensation-là pour construire le reste du personnage. Personnellement, je les trouve éminemment bruxellois ou tout simplement « de chez nous », ces personnages. Tout le monde peut les repérer, ils sont un peu ridicules certes mais touchants en même temps. Pour jouer ce genre de personnage, il faut être vraiment convaincu du sérieux et de l’importance de ce qu’il vit à ce moment-là, comme dans l’embouteillage. Le comique et l’intérêt dramatique d’une telle pièce reposent énormément là-dessus. L’acteur n’a pas le droit de se poser la moindre question à ce propos. Casse le rythme de la pensée, relâche-toi un instant et tu verras que ces histoires ne fonctionnent plus.
Il faut du punch et oser l’énormité, peu importe la psychologie des personnages, ils n’en ont pas. La version française de la même pièce inversait presque les tempéraments que nous leur avions donnés et cela fonctionnait très bien aussi, comme si Paul Emond nous donnait finalement un matériau très ouvert mais où il ne faut pas laisser son inventivité au vestiaire.
Donnez les plus belles balles du monde à un jongleur (les plus beaux mots à un acteur) si celui-ci n’en fait pas des prouesses, aucun spectateur ne trouvera que ces balles sont belles. Il faut apprendre à les manipuler avec adresse et virtuosité. Telles sont les pièces de Paul.
SI JE ME SOUVIENS BIEN, j'ai rencontré Paul Emond peu de temps après avoir vu sa pièce LES PUPILLES DU…

