METTRE EN SCÈNE une pièce de Paul Emond, c’est prendre en charge son humour et son univers tout à fait particuliers. Ses personnages se confrontent dans des situations loufoques qui ont souvent pour point de départ une pulsion, un mouvement, une passion incontrôlée. Chaque créature de Paul Emond a quelque chose à cacher, sait que son vis-à-vis a lui aussi quelque chose de dissimulé et essaie de le découvrir. Pour y parvenir, tous les moyens verbaux sont bons. Les affrontements entre les hommes et les femmes charrient d’incroyables morceaux de haine, souvent soudaine et brève qu’il convient ensuite d’enfouir aux côtés de tout ce qui « ne peut être montré ».
Paul Emond cultive la tautologie, il fait dire à tous ses personnages leur inquiétude face à l’existence, l’amour, le retard des trains, les canards domestiques, le prix de la viande, les traites impayées, les vacances aux Baléares, et surtout face à papa et maman.
Paul Emond décrit des êtres humains totalement intégrés dans une existence petite bourgeoise dont personne ne veut changer le fonctionnement ou modifier ce qui l’entoure. Ils ne peuvent rien faire, ils sont comme ça. Lorsque l’on place ces créatures sur une scène de théâtre, les rôles prennent très rapidement de l’ampleur et de l’autonomie, ils commencent à échapper aux créateurs (comédiens, metteur en scène, auteur…). Dès lors, nous vivons dans une immense inquiétude : qui sont ces petits bonhommes qui nous ressemblent tellement qu’ils nous font peur ?qui sont ces miroirs, ces alter ego que nous refusons de reconnaître ?qui sont les fantômes auxquels nous avons toujours refusé de croire ? Les hommes et les femmes de Paul Emond cherchent une raison d’être, de vivre, à donner un but à leur existence et en appellent au personnage absent. Ils vont toujours s’adresser à l’autre en rappelant l’existence d’un troisième personnage qu’eux seuls connaissent. Leur vie se situe par rapport à un spectre qui continue à hanter leurs jours. Comme chacun sait que fantôme et fantasme ont la même origine, il est permis de dire que tous les personnages emondiens cherchent la réalité du présent dans le passé, la force du verbe dans la parole perdue.
Toutes les situations du théâtre de Paul Emond sont drôles, souvent matière à « grincements » mais parfois redoutablement inquiétantes quand les protagonistes font émerger leur propre « autre », le double enfoui au plus profond, ectoplasme soudain surgi pour rappeler la vanité de l’existence, la vacuité de l’espoir de laisser derrière soi autre chose qu’UNE FORME DU BONHEUR. Les personnages emondiens ne seront jamais libres, jamais libérés ni de la société qui les aliène, ni d’eux-mêmes. et c’est ça qui est le plus drôle.
Après l'avoir été au Théâtre National de Strasbourg auprès de Jacques Lassalle, ainsi qu'auprès de Philippe van Kessel au Théâtre…

