PAUL DOIT ÊTRE TRÈS EMBOUTEILLÉ, je le crains. Où va-t-il ?.… Il observe, suppute et scrute. Le monde. La dure réalité du monde. Il y va.
Il lâche alors ou se libère littéralement de personnages qui, tout en rêvant d’un « destin », s’accrochent à leur vie lamentable. Au mur de leurs obsessions familières dramatiquement fixés, hantés d’ordinaire. et théâtraux, anthéâtralisés d’ordinaire. hanthéatreaux ! oui ! (bondit l’exégète et spécialiste au moins d’HAMLET) chez Emond (qui l’émeut) l’entêté théâtral supplante l’antique hanté astral.
Oui ! Paul hanthéâtralise, oui, Paul entarte ses personnages aussitôt sortis. Les voilà qui se font un monde du souvenir de la voix de maman, des phrases ou des frasques de la tante Ginette et du génie supposé de leur meilleur copain. (Sans compter l’idée très haute qu’ils ont eue autrefois d’eux-mêmes). Ils ne parlent que d’eux quand ils font la converse, ça raisonne de toutes ces vies d’en-dedans.
Comment s’y retrouvent-ils ? (comment s’y retrouve-t-il ?) Comment cette génoise d’individus dans une même tête s’y retrouve. Ils cherchent d’autres paumés dans la pièce, voir s’il pourrait se trouver ratage plus glorieux. Dans la pièce qu’ils occupent. Ou qu’ils jouent. Ça n’a pas d’importance. C’est la vie. Un coup, deux coups. Deux coups, dix coups, et ils tiennent debout. Capables d’anéantir un parterre aux heures de pointe, à contre-sens. « Minable est le mot juste »… Leur dérision fait drôlement mal.
Et l’auteur alors ? La morale ? et la casquette du capitaine. Mystère. Rien ne flotte au dehors. On ne voit que Paul serein, bouddhiste et droit, qui peaufne sa calme posture de grand lapin au regard fou.
Vu d’un Caracala
voire d’un cas dramatique
ou d’un cacadrama…*
Un drôle de jour à Paul j’ai dit
C’était à coup sûr un jeudi
À moins qu’un peu tard dans la nuit
Nous ne soyons plus très précis.
J’y ai dit ceci :
Tes personnages n’ont pas besoin de toit, ils semblent habiter leur discours, l’envers du théâtre, une économie de déco appréciable, je rêve de monter une de tes pièces au verso d’un décor de théâtre, là où la vie est de passage. On se constitue une existence en faisant des rencontres, on peuple le vide par des extrapolations, des mensonges. Les mots s’attaquent à la réalité des banquettes, à la dureté des tables. plus besoin de tous ces meubles, on s’assoit dans les vies qu’on rêve, on affabule. Et comme on n’est pas du Sud, alors on se vante à l’envers, un peu lamentable.
Il est arrivé tout souriant à Marseille, l’Emond, ramasser ses filets et voir une fois le bon tour qu’il nous avait fait, pauvre petit banc d’acteurs, avec ses amours inaccessibles. C’était en 1995, tu m’arrêtes si je me trompe, dans la mise en scène d’Abbès Zahmani. Tout souriant, timidifié sous ces cieux phocéens, bleus, de se voir jouer. Accessible donc. On aurait voulu le prendre dans les bras, n’étaient le respect de l’auteur et nos bras lourds de crampes bistrotières, redites et répétées. Trois névrosés de comptoir à têtes farcies, Marinette, Caracala, l’Homme Ensanglanté et le pianiste, qui font trois donc, aussi vrai que la bière est la bière.
On s’est appuyé cette triste bande de trois-quatre sous divers climats sans jamais la sortir du succès des premières ni du ruisseau qui l’emportait, soir après soir. L’émotion, Paul… Popaul Emond.… Emond Paulo ! tu nous en auras fait boire !
D’un premier inoubliable souvenir de bouillabaisse au bord des Calanques, bleues, nous sommes passés à un inoubliable dernier service, chez Arthur, roi de la moule (et de la frite) su’l place d’armes à Douai.
Inoubliables « inaccessibles », abandonnés aux spectateurs chavirés, ou copieusement cuits, d’un vrai bistrot, un trade, un vrai. Ah qu’il était grand ce quai de gare, qu’il était beau ce dernier départ ! Oui quel beau bar… Qu’ils nous emportent tous ces ruisseaux ! C’était trop beau. (Ça pouvait pas durer). Bonsoir.
*CF INACCESSIBLES AMOURS, voir Marinette si affinités.

