ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Comment est née la manifestation « Du monde entier » que tu as organisée au début de l’été 1998 ?
Valérie Lang : Nous sommes arrivés au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis avec deux priorités : faire un travail de proximité avec les habitants de la ville de Saine-Denis, et poursuivre notre travail sur l’écriture contemporaine. La coupe du monde de football 1998 nous a permis de les marier : à cette occasion, la ville de Saint-Denis organisait un vaste projet culturel et désirait nous y faire participer ; nous avons décidé d’utiliser l’argent qu’elle nous allouait pour organiser autre chose qu’une manifestation de circonstance. L’idée était de réaliser une manifestation qui soit un événement fore mais qui ait aussi des répercussions sur le plus long terme. C’est ainsi que Stanislas Nordey a imaginé le projet « Du monde entier ». Un projet un peu fou, à réaliser en six mois ; et comme j’aime les défis, je me suis dit : allons‑y. Trente-deux pays participent à la coupe du monde, nous trouverons trente-deux jeunes auteurs, un par pays, nous les traduirons, nous les publierons, et nous les donnerons à entendre pendant la coupe du monde. Par jeunes auteurs nous entendions des auteurs qui interrogent
et réinventent des langues, c’est-à-dire des poètes. Car nous importent avant tout les écritures, la façon donc les histoires se racontent plus que les histoires en elles-mêmes. Dans J’ÉTAIS DANS MA MAIS ON ET J’ATTENDAIS QUE LA PLUIE VIENNE, par exemple, Lagarce décrit des situations quotidiennes, conventionnelles presque. C’est son écriture qui donne à la pièce sa singularité, et de ce fait son universalité.
A. T. : Comment se sont déroulées les recherches dans les trente-deux pays ?
V.L.: Nous avions six mois pour trouver des auteurs de préférence inédits ; parce que nous pensons que seule l’édition permet à un auteur de ne pas rester dans le tiroir, nous voulions le plus possible leur donner cette opportunité-là. Dans ce projet, l’auteur était roi : il était au centre absolu de notre travail. Il fallait d’abord inventer des pistes pour trouver des textes théâtraux inédits et de qualité, puis dans un deuxième temps les lire, les choisir, les traduire, puis les confier à François Berreur, le directeur des éditions des Solitaires Intempestifs auquel nous étions associés. Dans un troisième temps, il a fallu organiser les lectures, l’accueil des auteurs et du public. Et je dois dire que les lecteurs, les traducteurs, l’éditeur, et toute l’équipe du théâtre Gérard Philippe ont fait un travail formidable sans lequel cette manifestation n’aurait pas existé.
Le premier travail de recherche, je l’ai mené avec mon intuition ; je suis . passée bien sûr par toutes les institutions existantes, par les ambassades, j’ai rebondi le plus souvent de personne en personne pour enfin trouver le texte que je cherchais. Pour chaque pays ou presque, j’ai dû inventer une nouvelle façon de procéder.
Cet événement et nos partenaires m’ont permis d’aller chercher des textes . dans des pays où nous n’allons que rarement : au Japon, en Corée du Sud, en Arabie Saoudite par exemple1.
Quand je recevais des textes, nous avions à peine dix jours pour les lire. Les membres du comité de lecture, Éric Didry, Sarah Chaumette, Valentina Fago, Rebecca Pauly, Serge Tranvouez, Stanislas Nordey, Josée Schuller, Robert Cantarella, Elisheva Marciano, Françoise Thomas, Gérard Watkins ; lisaient avec une grande rigueur une quantité impressionnante de textes : Éric Didry a lu cent trente textes en un mois, Robert Cantarella avalait trois quatre textes en une nuit. Je ne les remercierai jamais assez. Le comité de lecture était également composé de lecteurs bilingues . qui nous traduisaient dix pages des textes jugés intéressants pour que nous puissions en sentir l’écriture. Je faisais ensuite circuler ces dix pages de traduction aux autres membres du comité qui donnaient leur avis. En fin de parcours, s’il fallait trancher entre plusieurs textes, c’est en général Stanislas Nordey qui s’en chargeait. Ce qui guidait nos choix était le désir. Le désir des lecteurs, le désir des personnes desquelles nous nous sentons proches. Pour l’Allemagne et l’Autriche par exemple, je me suis fiée au traducteur Maurice Taszman ; à Mike Sens pour les Pays-Bas ; à Terje Sinding pour le Danemark ; à Jacques Alvarez-Péreire et à Jean-Pierre Richard pour l’Afrique du sud : grâce à eux, nous avons trouvé une pièce non pas sur l’apartheid, mais sur la réconciliation, EKHAYA de M. Manaka (qui a trouvé la more dans un accident à son retour de France, deux semaines après que nous l’ayons rencontré). En ce qui concerne l’Espagne, c’est à Sarah Chaumette, que je dois d’avoir découvert Rodrigo Garcia. Nous avions reçu une trentaine de textes de l’ambassade, elle les a tous lus et n’était enthousiaste pour aucun ; j’ai dit notre déception à l’ambassade, qui me rappelle quelques jours plus tard en la personne de Yolande Padillat. Celle-ci me parle d’un auteur-metteur en scène formidable : il donnait une performance à Madrid, il fallait absolument aller la voir. Nous ne pouvions pas. Mais nous pouvions lire les textes, si elle voulait bien nous les envoyer. Nous les avons reçu et Sarah Chaumette a eu le coup de foudre. L’auteur s’appelait Rodrigo Garcia. Il était inconnu en Europe, sauf en Suisse par la compagnie d’Oscar Gomez qui m’a d’ailleurs fourni des morceaux de traduction. Il faut dire que mes recherches m’ont permis de tisser des liens incroyables, de rencontrer des gens passionnés qui font un travail admirable de recherche de textes et d’auteurs, et ce, souvent au sein d’ambassades et de grandes institutions. J’ai beaucoup travaillé avec la Maison Antoine Vitez — ils nous one fournis tous les textes traduits des trente deux pays concernés -, avec l’Institut International du Théâtre qui m’a menée, encre autres, à l’auteur jamaïquain Jean Small ; j’ai contacté en Italie toutes les structures alternatives et reçu des centaines de textes ; pour l’Écosse, j’ai découvert Kate Atkinson, Janice Galloway, Duncan McLean grâce au Traverse Theatre ; l’auteur roumais Savian Stanescu, je l’ai trouvé grâce au Royal Coure de Londres (les Roumains voulaient nous à tout prix nous imposer leur auteur officiel!); on a aussi envoyé des gens en mission, en Tunisie, au Maroc, en Écosse, en Bulgarie, au Cameroun et au Nigeria ; Claire David qui dirige Actes Sud- Papiers m’a aidée pour les pays où j’avais de gros problèmes : la Corée, l’Arabie Saoudite, l’Afrique noire. Les réseaux étaient différents selon chaque pays et les rencontres marquantes.