ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Pourriez-vous définir le rapport que vous entretenez avec le théâtre contemporain ?
Alain Françon : J’ai fait des études d’Histoire de l’Art. Elles m’ont apporté une connaissance classique de la peinture. La littérature classique, je ne la connaissais pas. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, je me suis rapidement tourné vers le répertoire contemporain. Le premier spectacle que j’ai fait étaie cependant un travail collectif qui portait sur le procès des Basques intenté par Franco à Burgos. Dans le cadre de ce collectif, les fonctions n’éraient pas différenciées. La fonction de l’auteur ne l’étaie pas non plus. Il nous a fallu deux ou trois ans pour réaliser que la position de l’auteur, du cexre, devait sans doute être centrale, alors nous nous sommes mis à travailler à partir de Breche.
Mais j’ai aussi manqué des rencontres. La première avec Michel Vinaver, par exemple. Il m’avait donné à lire LA DEMANDE D’EMPLOI, et je ne comprenais pas la nécessité de s’attarder sur les problèmes d’un cadre à la recherche d’un emploi. J’ai relu la pièce ec j’ai compris qu’elle dépassait de loin le champ de l’anecdote.
Aussi le théâtre passe-t-il toujours, pour moi, par la confrontation avec ceux qui écrivent non pas hier et ailleurs, mais ici et maintenant. Le voisinage avec les auteurs contemporains me paraît naturel, beaucoup plus que le travail sur les pièces classiques.
A. T. : Vous mettez aussi en scène Tchékhov.
A. F.: Cela fait partie de tout un travail que je mène sur les auteurs qui one fait le passage du siècle. Je pense qu’il existe une dramaturgie appartenant spécifiquement au tournant du siècle et qui mérite d’être examinée de près : Tchékhov, Ibsen, ou O’Neill un peu plus tard. Quand je suis arrivé au Théâtre National de la Colline, j’ai insisté pour que le travail porte sur la totalité du siècle. Le théâtre contemporain ne me semble pas commencer après la guerre, comme cela est généralement admis, mais trouver ses origines dans les dramaturgies des années 1880. Les pièces écrites aujourd’hui ne peuvent pas se comprendre indépendamment de la dramaturgie des pièces écrites pendant le passage du siècle.
A. T.: Le théâtre contemporain ne se définit donc pas par le fait que les auteurs soient vivants.
A. F.: Non, mais la collaboration avec les auteurs vivants me paraît essentielle. Je viens, par exemple de travailler avec Michel Vinaver1. Il était naturel qu’il assiste aux répétitions. Le premier jour, il a lui-même lu sa pièce devant les acteurs ; trois semaines de travail à la table one suivi, essentiellement consacrées au matériau sonore — ses textes ressemblent en effet à des partitions ; les répétitions one continué avant qu’il ne revienne assister à cous les filages. Il a fait partie du groupe de travail.
Avec Edward Bond, la collaboration se construit à distance : nous correspondons par fax presque cous les jours ; il vient ponctuellement voir le travail des répétitions. Nous menons ensemble une réflexion plus globale en dehors même de son travail, sur une manière de théoriser la pratique. Nous parlons de Tchékhov, d’Ibsen, de Marlowe.
L’écriture d’Eugène Durif est, quant‑à elle, extrêmement fragmentaire, et la confronter au travail a permis de repérer ses lignes de force et aussi ses manques. Quand j’ai monté LES PETITES HEURES. Durif a assisté à un mois et demi de répétitions. Cette immersion lui a permis, je crois, de faire évoluer sa pratique, de vérifier que l’écriture fragmentaire n’étaie pas forcément la seule solution, et que la structure, la construction, la dramaturgie étaient nécessaires.
Je viens de terminer, à Théâtre Ouvert, un travail avec Christine Angor à partir de ses crois derniers romans. J’étais très intrigué par cette écriture qui faisait apparaître la nécessité de « prendre la parole avec ». C’est une écriture qui franchie un interdit — elle traite des gestes et des mots de l’inceste. Lorsque l’on sort de l’intimité de la lecture et que l’on décide de prendre la parole avec, les choses se complexifient. Le fait que Christine Angot aie pu assister à toutes les répétitions lui a sans douce fait prendre conscience de la spécificité de l’écriture théâtrale, de ce qui pouvait encore séparer son écriture du théâtre. Elle a pu, je pense, déceler les problèmes de scruccuces qui sont à l’œuvre dans une pièce.
La confrontation avec les auteurs esc essentielle. Au cours de certains filages, il m’est arrivé de laisser parler Vinaver aux acteurs avant de prendre moi-même la parole. Les indications qu’il donnait aux acteurs étaient d’une autre nature que les miennes. Elles n’empiétaient pas sur mon domaine, mais enrichissaient le travail.
A.T.: Qu’est-ce qui pourrait rassembler les auteurs que vous montez ?
A. F.: Je monte le théâtre d’Edward Bond parce que les fictions de ses pièces parviennent à m’expliquer le monde. Elles tournent toutes autour des questions : qu’est-ce que c’est qu’être humain ? les sociétés dans lesquelles nous vivons sont-elles encore des sociétés humaines ?