ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Comment s’est déclenchée chez vous l’écriture théâtrale ?
Joël Jouanneau : La décision d’écrire, et ce fut une décision, je l’ai prise à Naplouse. En Cisjordanie où j’étais alors, un peu pour faire du journalisme, beaucoup pour fuir ma névrose personnelle. Je m’étais assis sur un trottoir humide, il neigeait, c’était l’hiver 83, et je ne voulais plus continuer. J’ai dû alors choisir, me semble-t-il aujourd’hui, entre m’effacer dans le paysage et l’écriture. Le chaos était tel dans ma tête que seule la page blanche me permettait de poursuivre ma route. La décision prise, je suis allé à Gaza et à mon retour j’ai écrit cette pièce : NUIT D’ORAGE SUR GAZA, et si je n’ai écrit la seconde que quatre années plus tard, c’est qu’il m’a alors fallu trois ans pour que la première soit lue et produite, en Suisse, grâce au Théâtre de Poche de Genève que dirigeait Martine Paschoud, grâce aussi à Marc Liebens et son Ensemble Théâtral Mobile qui l’ont coproduite. Je peux donc dire que c’est un « électrochoc » qui a déclenché l’écriture chez moi, j’avais trente-six ans et n’avais rien écrit avant.
A. T. : Écrivez-vous vos pièces pour les monter vous-même ? Comment vous situez-vous en tant que metteur en scène quand vous montez vos propres pièces ?
J. J. : Non, je n’écris pas mes pièces pour les mettre en scène. Les écrivant, je n’ai d’autre but qu’écrire. C’est l’oreille chez moi qui travaille, pas l’œil. Mais pour les raisons que j’ai dites, j’ai dû mettre en scène NUIT D’ORAGE SUR GAZA, sinon la pièce serait encore dans son tiroir. Lorsque j’écris mes textes, le plateau n’est pas là, jamais, et les didascalies ne sont alors que la continuité de l’écriture, elles nè sont pas des indications de mise en scène. Quand je passe au travail théâtral, je ne les suis jamais. Je dois dire que les acteurs qui m’ont accompagné, et sur des textes d’autres et sur l’un de mes textes, s’affirment que je suis bien plus mystérieux dans le second cas, plus rétif à l’analyse, bref, que je fais tout pour que ce qui constitue le secret originel demeure. C’est sans doute la conviction que j’ai que seul le mystère importe, et que le secret n’est qu’une coquille de noix, creuse à l’intérieur. Enfin écrire et mettre en scène sont pour moi deux activités opposées : écrire c’est noircir une page blanche ; mettre en scène, c’est éclairer une boite noire. Opposées donc, mais pas contradictoires.
A. T.: Quelle évolution percevez-vous dans votre écriture ?
J. J. : Elle est dans la musique. La polyphonie surtout. Les voix qui se dédoublent. Comme un compositeur qui passerait du lied à l’opéra. Mais il faut revenir au lied toujours. Après ALLEGRIA OPUS 147, œuvre pour piano, alto et homme seul, je suis passé aux DINGUES DE KNOXVILLE, comédie pour neuf acteurs. Cette alternance m’est essentielle. Et ce sont les rythmes, la composition qui, je l’espère, évoluent.
Pas le sens bien sûr. Je n’ai au fond que deux ou trois choses à dire et c’est probablement deux ou trois de trop.
Quand j’entreprends une pièce, je me perçois comme un mineur qui prend son piolet et tente de percer son labyrinthe intérieur ; je creuse donc une galerie souterraine, et le voyage est assez joyeux, puisque musical, mais à l’arrivée, au coeur du labyrinthe, quand approche le mot fin, c’est toujours la même momie enfermée dans le même sarcophage que je retrouve. Du moins, je me suis enlevé un masque que j’offre au lecteur/spectateur. Qui n’a donc de moi que la somme de mes mensonges.
C’est déjà beaucoup. Est-on jamais autre chose ?