« Une pièce naît quand deux voix inconciliables parlent en moi »

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« Une pièce naît quand deux voix inconciliables parlent en moi »

RencontreavecJean-Pierre Milovanoff

Le 17 Juil 1999
Zobeda, Robert Bouvier, Jérôme Kirscher, Anne Sée et Edwige Raffarin dans ANGEDES PEUPLIERS de Jean-Pierre Milovanoff, mise en scène de Laurence Mayor. Photo Laurencine Lot.
Zobeda, Robert Bouvier, Jérôme Kirscher, Anne Sée et Edwige Raffarin dans ANGEDES PEUPLIERS de Jean-Pierre Milovanoff, mise en scène de Laurence Mayor. Photo Laurencine Lot.
Zobeda, Robert Bouvier, Jérôme Kirscher, Anne Sée et Edwige Raffarin dans ANGEDES PEUPLIERS de Jean-Pierre Milovanoff, mise en scène de Laurence Mayor. Photo Laurencine Lot.
Zobeda, Robert Bouvier, Jérôme Kirscher, Anne Sée et Edwige Raffarin dans ANGEDES PEUPLIERS de Jean-Pierre Milovanoff, mise en scène de Laurence Mayor. Photo Laurencine Lot.
Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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ALTERNATIVE THÉÂTRALES : Com­ment s’est déclenchée chez vous l’écri­t­ure théâ­trale ?

Jean-Pierre Milo­vanoff : J’aime le théâtre depuis l’en­fance. J’ai tou­jours été fasciné par les lumières de la scène.

Je me sou­viens que j’al­lais voir des spec­ta­cles très pop­u­laires, des opérettes, du cirque, des numéros d’il­lu­sion­nis­res, des attrac­tions. Plus rard, dans l’ado­les­cence, ce fut la décou­verte du réper­toire et quelques représen­ta­tions de Vilar, dans la cour d’hon­neur du Palais des Papes.

Sans doute ai-je eu très tôt le désir d’écrire pour le théâtre. Ma pre­mière pièce SQUAT date de 1984. C’é­tait une sorte de défi à la mise en scène puisqu’on change par­fois de lieux d’une réplique à l’autre, elle était à mes yeux pra­tique­ment impos­si­ble à mon­ter.
J’en ai fait deux ver­sions, comme sou­vent par la suite : une ver­sion scénique d’abord puis une ver­sion radio­phonique. La ver­sion radio, avec Philippe Clévenot et Jean-Marc Bory, notam­ment, a été réal­isée par Jacques Taroni avec un pre­neur de son poète : Yann Par­en­toën. Tous deux one fait un très beau tra­vail. Ensuite j’ai pub­lié le texte aux édi­tions Com­p’act en pen­sant vrai­ment qu’il n’in­téresserait aucun met­teur en scène. Or c’est le seul texte de moi qui a été mon­té deux fois : par Gis­laine Drahy d’abord puis par Julien Bouffi­er.

Je sais que je vais écrire une pièce quand je sens qu’une divi­sion est
à l’œu­vre dans le texte que je com­mence. Une voix par­le et aus­sitôt j’en entends une autre qui dit les choses dif­férem­ment. Le théâtre s’in­stalle dans cette con­tra­dic­tion, il est l’e­space de ce con­flit. C’est pourquoi il m’im­porte que chaque per­son­nage ait une into­na­tion qui lui soit pro­pre. Cette sin­gu­lar­ité l’op­pose déjà, physique­ment à tous les autres. Les romans, eux, me sem­blent plus dic­tés par la mélan­col­ie du point de vue unique, celui d’un nar­ra­teur en perdi­tion qui réoc­cupe ou réor­gan­ise le monde en le racon­tant à sa façon.

Aujour­d’hui je fais remon­ter mon désir de théâtre à l’ex­péri­ence des voix inc­on­cil­i­ables que j’ai racon­tée en par­tie dans RUSSE BLANC. J’é­tais au gre­nier et j’en­tendais les mem­bres de ma famille. Il y avait d’un côté trois femmes langue­do­ci­ennes avec leur accent et leur sen­si­bil­ité, de l’autre mon père russe avec un autre accent, une autre voix et une autre façon de voir les choses. C’é­tait l’op­po­si­tion de deux civil­i­sa­tions, de deux mon­des qui étaient faits pour se mécon­naître. Mon père avait quit­té la Russie à dix-sept ans, il avait tout per­du, ses par­ents, ses frères, ses amis, le pays de ses sou­venirs, il avait changé de langue et de reli­gion. De son côté, il y avait donc une nos­tal­gie, une mélan­col­ie. Du côté des femmes, c’é­tait l’én­ergie, les tra­cas quo­ti­di­ens, un désir de libéra­tion et de réus­site. Je crois avoir vécu alors, de l’in­térieur, cette « irré­c­on­cil­i­a­tion » qui est pour moi le cœur du théâtre.

A. T. : Vous dites que le théâtre com­mence chez vous par les voix. Quand le corps entre-t-il en jeu ?

J.-P. M. : Le corps entre tout de suite en scène. La voix est comme une peau, elle est liée à un souf­fle, à une forme humaine. Quand j’écris une pièce, je marche, je par­le, je joue tous les per­son­nages, j’am­pli­fie leurs mou­ve­ments, je me mets en scène pour ain­si dire. Le pre­mier corps en jeu, c’est le mien. Puis vien­dra celui de l’ac­teur.
Et il aura mille apparences pos­si­bles, que je ne saurais prévoir. Un per­son­nage est une propo­si­tion qui appelle des incar­na­tions dif­férentes. Ain­si dans la mise en scène de Lau­rence May­or, l’ange des peu­pli­ers a d’abord été une femme (Hélène Alexan­dridis), puis un homme (Jérôme Kirsch­er).

A. T. : Vous dites que vous com­mencez à écrire à par­tir de l’op­po­si­tion irré­c­on­cil­i­able de deux voix. Est-ce le développe­ment de ce con­flit qui donne pièce à votre pièce sa struc­ture ?

J.-P.M. : Absol­u­ment. La struc­ture ne préex­iste pas au déroule­ment du con­flit, elle naît de lui et ne peut pas en être séparée. C’est l’op­po­si­tion de l’ange et du vieux servi­teur d’ANGE DES PEUPLIERS qui con­duit à la com­po­si­tion par­ti­c­ulière de cette pièce, avec un, deux­ième acte ou le temps est remon­té, et le troisième qui ramène à l’in­stant ou s’est achevé le pre­mier.

A.T. : Con­tin­uez-vous à écrire pour le théâtre ?

J.-P.M. : Pas en ce moment. Mais je compte y revenir dans quelques années. Et je crois que j’écrirai alors des pièces assez dif­férences, plus cru­elles prob­a­ble­ment.

A.T. : Le théâtre et le roman sont-ils pour vous deux gen­res par­faite­ment étanch­es ?

J.-P.M. : Cer­taine­ment pas. Il me sem­ble que dans les deux cas, je traite le per­son­nages de la même façon : jamais comme une fig­ure ou un type mai comme des per­son­nes sin­gulières, con­tra­dic­toires, soumis­es à toutes sortes d’il­lu­sions, donc dif­fi­ciles à saisir et capa­bles d’aller dans un sens ou dans l’autre, avec la même inno­cence, le même aveu­gle­ment.

A. T. : Les dia­logues dans vos romans ont-ils à voir avec ceux de votre théâtre ?

J.-P. M. : Au départ dans mes romans, il n’y a peu de dia­logues. Quand j’en mets un, c’est qu’il est le moyen le plus com­mode et le plus court de dire les choses. L’ex­péri­ence du théâtre m’a aidé cer­taine­ment à resser­rer le dia­logue dans le roman et à faire qu’il soit le con­traire d’un moment creux : un rac­cour­ci qui doit rester bien enten­du dans la tonal­ité des autres pages.

Pro­pos recueil­lis et retran­scrits par Julie Bir­mant.


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Jean-Pierre Milovanoff
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