« COMME ÇA tu auras même un héritier, dit Könik. Oui, dit Avar s’étirant, il n’est pas dans les intentions de Dieu d’effacer ma famille de la surface de la terre. Et qui doit être le père d’un enfant importe peu. L’enfant est lui-même, s’il vit il devient l’être qu’il doit être. Un père ne crée pas l’enfant, il ne fait que l’aider à sortir de l’obscurité. Un père ne compte pas plus qu’un bédane, un crochet ou une paire de tenailles.
Disant cela, il posa ses deux mains devant son sexe, comme pour le cacher comme s’il avait soudain senti une douleur vive à cet endroit précis.
C’est étrange, néanmoins, dit König, comme il est fréquent que les enfants rappellent les pères.
Comme si on voyait les marques du bédane ou des tenailles. Ou du crochet.
Alors Avare resta silencieux.
Et il se souvint du prêtre. C’est pourquoi il dit :
Le prêtre disait souvent que les enfants ont le corps de la mère mais la moelle et l’âme du père.
S’il peut en aller ainsi. »
Extrait de LA LUMIÈRE de Torgny Lindgren.
Débuter ou être sur le « starting point », de tous temps, aujourd’hui comme hier, renvoie à la question du choix, de l’origine et de la loi.
Comment devenir sujet, sujet dans ses choix, le sujet de ses choix ? D’ailleurs l’est-on vraiment ? Jusqu’où sommes-nous déterminés dans notre chemin et responsables de nos actes les plus significatifs ?
Qu’est-ce qui fait que l’on devient ce que l’on est ?
Ne choisit-on pas que soi-même, ou ce qui après coup deviendra notre soi-même ? (Je ne parle pas bien sûr du chaos ou des programmes narcissiques ; se plaire, par le plaisir de plaire aux autres, offre peu d’intérêt).
Freud soulève la question de savoir ce qui fait qu’on « choisit » inconsciemment telle névrose plutôt que rien, celle-ci plutôt qu’une autre. On peut choisir de se tenir à son symptôme, de s’y accrocher et même de s’y conformer, tellement son cadre semble irréductible et rassurant, en ignorant totalement qu’il existe toute une gamme de jeux (de) possibles qui pourraient offrir, dans leur succession, de vrais choix. Ceux-là s’avéreront bons ou mauvais, peu importe. On peut aussi procéder par évitement, en oblitérant qu’un « premier » choix, un choix « décisif » ait existé. Du hasard qui n’en était peut être pas un. Une scène traumatique qui allait se transmuer, après un long apprentissage, en un jeu.
Du jeu
Picasso adolescent. Il fait la promesse d’arrêter de peindre si sa petite sœur, Conchita, gravement malade, guérit. Elle meurt. Il n’arrête jamais de peindre. Certes c’est un détail. Mais il est décisif.