« Partir, revenir »
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Entretien

« Partir, revenir »

Lenka Flory (République Tchèque)

Le 26 Juin 2000

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L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Pourquoi avez-vous décidé de quit­ter la Tché­coslo­vaquie en 1988 pré­cisé­ment ? 

Lenka Flo­ry : En Tché­coslo­vaquie, je n’ai jamais étudié la danse, mais je l’ai pra­tiquée depuis l’en­fance dans une com­pag­nie d’a­ma­teurs, la Cham­bre Dance Stu­dio. Cette com­pag­nie était plutôt recon­nue dans le pays. Il faut savoir qu’il n’y avait pas à pro­pre­ment par­ler d’é­cole de danse con­tem­po­raine : au Con­ser­va­toire, on étudie le bal­let clas­sique unique­ment et, à l’Académie des Arts Musi­caux, les cours pra­tiques de danse con­tem­po­raine sont rares. Mais, enfer­mée en Tché­coslo­vaquie, je ne pou­vais pas me ren­dre compte que d’autres choses exis­taient. Aus­si, jusqu’à mes vingt ans, je n’ai jamais ressen­ti de manque. Nous n’avions rien qui puisse nous don­ner une idée de l’Ouest. Il suf­fit de dire que j’ai vu mon pre­mier film de Walt Dis­ney avec ma fille, il y a trois ans seule­ment.
Tout ce qui entrait dans le pays était soigneuse­ment trié : les gens, les spec­ta­cles, les con­certs, les films, livres, cas­settes, etc. Ma curiosité est née d’un coup, lors de ma pre­mière ren­con­tre avec l’Alle­magne de l’Ouest. J’ai alors saisi au vol l’op­por­tu­nité qui s’offrait à moi d’aller y vivre. J’y ai vécu trois ans, dans la petite ville de Nurem­berg (600 000 habi­tants). J’ai tra­vail­lé dans quelques stu­dios privés et — ce qui était incon­cev­able en Tché­coslo­vaquie — j’ai gag­né ma vie en dansant. Puis j’ai été engagée dans le Czur­da Tanzthe­ater. C’é­tait une com­pag­nie typ­ique du Tanzthe­ater alle­mand mais qui, dans cette région de l’Alle­magne, avait son impor­tance. Non pas qu’elle soit célèbre, elle était seule­ment plus sérieuse que les autres. Par chance, la choré­graphe Jut­ta Czur­da qui dirigeait cette com­pag­nie avait besoin de rem­plac­er au pied levé une danseuse pour deux spec­ta­cles. Il se trou­ve qu’elle m’avait vue danser une semaine aupar­a­vant. Elle s’est sou­v­enue de moi. Ses spec­ta­cles ont un peu tourné. J’ai aus­si pris part à la nou­velle créa­tion du Czur­da Tanzthe­ater inti­t­ulée HYMNEN. Et puis un jour Wim Van­dekey­bus, venu jouer un spec­ta­cle à Nurem­berg, a organ­isé au dernier moment une audi­tion que j’ai présen­tée et réussie. Il m’a ensuite demandé de venir rejoin­dre sa com­pag­nie six mois plus tard à Brux­elles. J’y suis restée deux ans. 

A. T.: Que recher­chiez-vous en Europe de l’Ouest, en Alle­magne, en Bel­gique ? 

L. F.: En venant vivre à l’Ouest, je voulais sim­ple­ment vivre avec plus d’information, savoir ce qui se pas­sait vrai­ment. Et puis c’é­tait aus­si une ques­tion d’ambition : je voulais tout sim­ple­ment pro­gress­er. Arrivée en Alle­magne, j’ai réelle­ment éprou­vé un choc ; et un autre aux États-Unis que j’ai décou­verts peu après en touriste lors d’un périple de trois mois. J’ai pu alors pren­dre la mesure de ma naïveté. Tout était dif­férent. C’est tou­jours quand on arrive dans un nou­v­el endroit que l’on mesure l’abîme qui le sépare de l’en­droit où l’on vivait précédem­ment : de Prague à Nurem­berg, de Nurem­berg à Brux­elles !
C’est dif­fi­cile de se dépar­tir de sa naïveté, mais je ne peux m’empêcher de ressen­tir de la colère à l’é­gard de tous ces jeunes Tchèques qui ne sont pas poussés par le désir d’aller voir ailleurs, ni avides de décou­vrir com­ment on vit à l’é­tranger. Ils s’y ren­dent par­fois en vacances, mais ne cherchent pas à ren­con­tr­er ceux qui y vivent, ils se con­tentent sou­vent de regarder les couch­ers de soleil sur la mer. 

A. T.: Pourquoi dans ces con­di­tions êtes-vous rev­enue vivre à Prague ? 

L. F.: Après avoir vécu cinq ans à l’é­tranger, je ne désir­ais pas le moins du monde revenir à Prague. Sans con­trat, je n’avais plus le droit de rester en Bel­gique. Je ne savais où aller. C’est à ce moment qu’on m’a pro­posé de venir enseign­er au Dun­can Cen­tre Con­ser­va­to­ry nou­velle­ment créé à Prague. J’ai saisi cette oppor­tu­nité tout en me faisant la promesse intime de ne pas y rester vis­sée à jamais, d’un jour repar­tir. Ce que je viens d’ailleurs de faire : Simone et moi vivons désor­mais en Ital­ie. 

A. T.: Quelles ren­con­tres déci­sives avez-vous faites dans le monde la danse ?

L. F.: Le genre de danse que je fai­sais en Alle­magne ressem­blait beau­coup à ce que j’avais déjà fait à Prague. La dif­férence était qu’en Alle­magne je pou­vais pour la pre­mière fois vivre de la danse. C’est avec Wim Van­dekey­bus que ma con­cep­tion de la danse et ma façon de danser se sont com­plète­ment trans­for­mées. J’é­tais à Nurem­berg quand j’ai vu pour la pre­mière fois le tra­vail de la com­pag­nie Ulti­ma Vez avec LES PORTEUSES DE MAUVAISES NOUVELLES. Le spec­ta­cle m’a ravie, son énergie exci­tante et son humour aus­si. Le spec­ta­cle avait du sens et procu­rait du plaisir. Voilà qui était com­plète­ment nou­veau pour moi. 

A. T.: Avez-vous subi d’autres influ­ences ? 

L. F.: Il n’y a qu’un très petit nom­bre de spec­ta­cles choré­graphiques que j’ap­pré­cie réelle­ment. Les spec­ta­cles qui me plaisent sont ceux qui expri­ment d’abord leur hon­nêteté et leur human­ité. Voir un tra­vail qui reste per­son­nel, ouvert et hon­nête, me rend très heureuse. L’essen­tiel pour moi est de rechercher les moyens d’ex­primer ce que l’on ressent intime­ment. Les artistes qui m’in­téressent ne sont pas ceux qui créent une choré­gra­phie pour être con­sid­érés comme choré­graphes, mais ceux qui en éprou­vent le besoin pro­fond. Je ne suis pas de ceux qui cherchent avant tout à acquérir une image en col­lec­tion­nant les spec­ta­cles. 

A. T.: Dans quel état d’e­sprit êtes-vous retournée à Prague ? 

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