Un territoire entre vampires et loups-garous

Un territoire entre vampires et loups-garous

République Tchèque

Le 17 Juin 2000

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L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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LE MOT « paysage » est peut-être la dénom­i­na­tion qui con­vient pour désign­er les activ­ités théâ­trales var­iées et très peu homogènes qui ani­ment Le bassin tchèque. Car la langue nationale et la lit­téra­ture ne suff­isent plus pour iden­ti­fi­er le théâtre.
Les fron­tières du théâtre en Bohème, comme ailleurs, sont impal­pa­bles : jamais la langue ni la lit­téra­ture n’au­ront suf­fi à les étabir, ni même les fron­tières géo­graphiques. La fron­tière du théâtre passe ailleurs, au-dessus des langues et des États. Nous avons en vérité la même esthé­tique théâ­trale, le même lan­gage, la même vision que tous ceux qui vivent dans le bassin et les mon­tagnes d’Eu­rope cen­trale et ori­en­tale. Quelles dif­férences essen­tielles pour­raient sur­gir entre les pro­duc­tions théâ­trales de Bohème et celles d’une région voi­sine ? Des dif­férences de dialectes, certes. Mais encore ?
Le paysage théâ­tral tchèque a par­tie liée avec un plus vaste ter­ri­toire qui s’é­tend depuis la région des vam­pires carpa­tiques jusqu’à celle des loups-garous sudètes. Les change­ments cli­ma­tiques qui s’y pro­duisent, lents et tout à fait inaperçus, affectent égale­ment tout le paysage théâ­tral de ce ter­ri­toire. Ces change­ments sont-ils posi­tifs ou négat­ifs ? Je n’ose me pronon­cer. Dis­ons qu’ils sont réels et inévita­bles.
Le théâtre tra­di­tion­nel, « de pierre », comme on dit chez nous, ce théâtre posthour­geois se désagrège peu à peu. Leurs failles sont sou­vent rem­plies par l’eau trou­ble des spec­ta­cles com­mer­ci­aux, mais par­fois aus­si par une eau de roche, toute claire et fraîche. L’évo­lu­tion pos­i­tive la plus évi­dente est sans doute celle qui se Lit dans la sphère indépen­dante du théâtre-danse. Cette nou­velle forme, se répand avec une vitesse éton­nante. Ni les normes offi­cielles, ni les cou­tumes, ni l’impératif économique ne vien­nent les frein­er. La danse ne con­naît pas de bar­rières lin­guis­tiques, elle n’en fran­chit que plus aisé­ment le seuil de l’Europe. Ce qui La rend encore plus atti­rante auprès des jeunes.
Son lan­gage inter­na­tion­al et sa lib­erté en fait le genre le plus sou­ple, le plus apte à s’adapter aux change­ments qui affectent l’Europe tout entière. Les plaques tec­toniques des anciens gen­res entrent en vio­lente col­li­sion. Elle en sort enrichie, maîtresse d’un nou­veau con­ti­nent où les préju­dices cul­turels ou soci­aux n’ont pas cours.
Par l’in­ter­mé­di­aire de tout récents fes­ti­vals, comme Danse Prague, 4+4 jours en mou­ve­ment ou celui de Lenka Flo­ry, grâce aus­si à de nou­veaux lieux comme le théâtre Archa, et leurs liens avec des réseaux de pro­gram­ma­tion inter­na­tionaux, les jeunes danseurs et choré­graphes ont la pos­si­bil­ité d’entrer rapi­de­ment sur la scène inter­na­tionale. C’est ce qui est arrivé à Cti­bor Tur­ba et à ses élèves dont le spec­ta­cle, HANGING MAN, a été copro­duit avec suc­cès par le Hebbel-The­ater de Berlin. HANGING MAN est une étude « de lab­o­ra­toire » autour de la fig­ure de trois pen­dus. On entend le fer­raille­ment des chaînes et des mous­que­tons avec lesquels les trois jeunes « per­form­ers », deux jeunes hommes dénudés et chauves et une fille aux cheveux longs s’attachent aux cro­chets du pla­fond. Ils ten­tent, en cette posi­tion dif­fi­cile, un rap­proche­ment sen­ti­men­tal, ou bien, au con­traire, un éloigne­ment dés­espéré, refu­sant l’acte arbi­traire du des­tin qui les a rassem­blés en une intim­ité for­cée, se retrou­vant alors seuls, à pendiller. On n’ou­blie pas cette atmo­sphère qui par­le de survie et de roulette russe : le cli­quet­te­ment des objets de métal, le demi-jour, Le noir des chaus­sures et des culottes de sport, les efforts dés­espérés ; ni cette image :la fille charge ses cheveux longs de grandes pier­res et se bal­ance, tête pen­due, au dessus d’un grand ton­neau rem­pli d’eau jusqu’au bord.
Les spec­ta­cles de « clowner­ie-danse » con­nais­sent eux aus­si une cer­taine vogue. Surtout auprès des plus jeunes choréo­graphes issus du Con­ser­va­toire de Danse Con­tem­po­raine, le Dun­can Cen­tre, ressus­cité après le change­ment de régime poli­tique. Leurs spec­ta­cles mêlent théâ­tral­ité, lyrisme, et grotesque. Assiste-t-on aujourd’hui à la nais­sance d’une école tchèque de danse mod­erne ? Dix ans de lib­erté et de lev­ée de cen­sure ont per­mis au théâtre indépen­dant d’ex­is­ter. C’est en son sein que se trou­vent les réelles forces de renou­velle­ment. Car il faut bien recon­naître que les théâtres publics tchèques souf­frent de l’inertie qui immo­bilise Le pays à tous les niveaux. 

Les eaux stag­nantes

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Écrit par Nina Vangeli
Nina Van­geli est met­teur en scène et cri­tique de théâtre en République ‘Ichèque. Elle col­la­bore régulière­ment à la...Plus d'info
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