« J’ai laissé la marionnette prendre possession de mon corps »

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« J’ai laissé la marionnette prendre possession de mon corps »

Le 8 Nov 2000
Ilka Schönbein. Photo Marinette Delanné
Ilka Schönbein. Photo Marinette Delanné
Ilka Schönbein. Photo Marinette Delanné
Ilka Schönbein. Photo Marinette Delanné
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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La pre­mière fois que j’ai ren­con­tré la mar­i­on­nette, je devais avoir deux ou trois ans. Elle pou­vait fer­mer les yeux et por­tait la même jupe à car­reaux que moi ; je lui ai don­né mon pro­pre prénom : Ilka.

La sec­onde ren­con­tre eut lieu quelques années plus tard, dans une rue pié­tonne four­mil­lante à Paris : un vio­loniste minus­cule, mais extrême­ment pré­cis, jouait un morceau avec la grâce et la con­science d’un vir­tu­ose.

Cette ren­con­tre m’a pro­fondé­ment mar­quée, mais n’a pas eu de suites dans un pre­mier temps du moins, car à cette époque j’étais plongée dans des études d’eurythmie. Après avoir ter­miné ma for­ma­tion, j’ai exer­cé mon méti­er d’eurythmiste dans dif­férentes com­pag­nies pen­dant plusieurs années.

C’est à Stuttgart que je fis ma troisième ren­con­tre : avec Albrecht Ros­er (alias Gus­tav) et sa troupe assidue ; un peu plus tard avec les per­son­nages de Frank Soehn­le.

Le moment était venu et j’écoutais alors mes désirs de « con­créti­sa­tion » et décidais d’en finir avec mon tra­vail d’eurythmie qui ne me fai­sait plus avancer. Je me suis présen­tée à Albrecht Ros­er, et il m’a ini­tiée à la tech­nique de la mar­i­on­nette à fils. Com­mença alors une péri­ode mer­veilleuse (et bien enten­du tout autant ter­ri­fi­ante) d’apprentissage et de décou­vertes.

J’ai tout de suite su que j’avais là trou­vé un lan­gage qui me cor­re­spondait. Je pou­vais tout être en même temps : créa­trice de masques, de cos­tumes, de décors, met­teur en scène, actrice, tech­ni­cien, danseuse ! J’étais entrée dans le pays aux pos­si­bles sans fron­tières.

Mais j’ai com­pris en même temps qu’une vie de mar­i­on­net­tiste ne suf­fit pas pour explor­er tout le ter­ri­toire de ces pos­si­bles. C’est pourquoi j’ai fait ma devise de ce seul mot : « lim­i­ta­tion », me con­cen­tr­er sur une seule route – qu’est-ce qui m’importe au plus pro­fond de moi ?

Il me faut aban­don­ner beau­coup de choses en chemin, beau­coup, pour d’autres…

Je n’ai pas gardé les fils entre les mains. J’ai lais­sé la mar­i­on­nette pren­dre pos­ses­sion de moi, de mes mains, puis de mes jambes, de mon vis­age, de mes fess­es, de mon ven­tre, et de mon âme. Il n’y a que la voix que je ne lui ai pas (encore) livrée. Je n’ai pas sup­porté la dis­tance, et par­fois sa prox­im­ité m’est insup­port­able.

C’est de la pas­sion et de l’obsession – est-ce aus­si de l’amour ?

Si la mar­i­on­nette joue bien, elle attire toute l’attention et la faveur du pub­lic ; si elle joue mal, c’est l’acteur/l’actrice que l’on regarde, il/elle est respon­s­able quand la mar­i­on­nette se tait. La mar­i­on­nette reste intacte et, mal­gré son évi­dente dépen­dance, tou­jours elle-même.

Quel homme peut-il en dire autant de lui même ?

En dehors de la sphère théâ­trale, le mot « mar­i­on­net- tiste » fait poindre en moi un sourire à la fois nos­tal­gique (enfant, j’ai ri au spec­ta­cle de Kasper) et, en même temps, quelque peu éton­né (est-ce un méti­er?). Ce mot qui a le pou­voir de ren­dre soudain humain, même le vis­age du polici­er le plus sévère…

Ilka Schönbein. Photo Reinhard Wissgott.
Ilka Schönbein. Pho­to Rein­hard Wiss­gott.

Mais la sphère théâ­trale, le mot mar­i­on­net­tiste ravive une imagerie à laque­lle je ne m’identifie pas. Pour­tant je préfère le mot « mar­i­on­nette » riche d’évocations et de trans­for­ma­tions pos­si­bles à celui de « fig­ure », telle­ment rigide.

Cer­tains met­teurs en scène de théâtre utilisent la mar­i­on­nette, faisant – grâce à elle – pass­er d’une dimen­sion physique à une dimen­sion méta­physique, et pro­duisant par­fois de très beaux moments de théâtre, mais cet estom­page des fron­tières du ghet­to n’est pas durable. C’est prob­a­ble­ment du monde de la mar­i­on­nette lui-même que le change­ment doit venir ; l’élan doit sur­gir de l’intérieur. Alors pour­ront se pro­duire des ren­con­tres essen­tielles avec le théâtre con­tem­po­rain.

Texte traduit de l’allemand par Julie Bir­mant.

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Ilka Schönbein
Ilka Schönbein est marionnettiste et metteur en scène. Elle a créé et dirige la compagnie...Plus d'info
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