Alternatives Théâtrale : Dès les premiers spectacles du Créa théâtre, vous vous inscrivez dans une démarche qui accorde une grande importance aux objets et à la matière (voir Alternatives théâtrales no 5, octobre 80). Vous avez ensuite expérimenté dans vos spectacles, tant pour
les « adultes » que pour les enfants de nombreux types de marionnettes, mais le rapport avec l’acteur semble toujours fondamental dans votre travail. Qu’apporte la marionnette à votre langage scénique ?

Francis Houtteman : Le langage scénique s’enrichit de la densité d’images que l’on peut réaliser dépassant les capacités corporelles de l’acteur, même si, en même temps il y a un risque d’appauvrissement de la dimension psychologique qu’apporte l’acteur. La présence de la marionnette laisse surtout une virginité plus grande au texte pour le spectateur qui peut en faire une lecture plus ouverte et plus personnelle.
A. T. : Le travail avec des marionnettes modifie-t-il le mode de répétition ?
F. H. : Travailler avec des marionnettes modifie complètement le travail des répétitions, car tous les actants du spectacle, acteurs, metteurs en scène, éclairagistes, scénographes, musiciens, régisseurs, sont au service de la marionnette. Ce n’est que quand ce travail est prêt techniquement que le travail de jeu de l’acteur proprement dit commence. Il y a donc comme un renversement par rapport à l’utilisation de l’objet / accessoire souvent utilisé par l’acteur comme un signe supplémentaire pour le spectateur. Dans le théâtre de marionnette, c’est l’objet ou la marionnette qui sont le signe, l’acteur n’en n’étant que le manipulateur habile.
A. T. : La marionnette a‑t-elle influencé voire modifié votre conception du théâtre ?
F. H. : Je crois que cela nous rapproche de la danse et des chorégraphes ; les images que nous créons avec des marionnettes nous conduisent à pratiquer une écriture didascalique importante sur laquelle va se greffer le texte s’il y en a.
Parfois, et c’est une volonté affirmée de notre part, le texte dit est volontairement important pour contraindre en quelque sorte la marionnette à dire et c’est donc à l’acteur, dans son interprétation de livrer toute l’intériorité du personnage et au spectateur de combler ce « vide psychologique ».
Dans les manipulations à vue, les émotions de la marionnette transparaîtront sur le visage de l’acteur, comme une sorte de psychologie visible de la concentration de l’acteur et son prolongement dans la marionnette.
C’est un phénomène étrange car il faut se prolonger dans la marionnette pour que celle-ci soit vivante et de ce prolongement peut naître la distance. Se prolonger c’est ce que doit faire l’acteur par rapport à son personnage pour pouvoir le maîtriser, en jouer et ne pas se laisser déborder par lui. C’est pouvoir donner tout en dehors de soi, tout en le regardant.
A. T. : Vous considérez-vous comme un marionnettiste ?
F. H. : Non, je ne fabrique pas de marionnettes, je les utilise pour mes spectacles en les commandant à des artisans en fonction des images que je souhaite réaliser. Il me semble que le « marionnettiste » est cet artiste pluridimentionnel à la démarche très personnelle voire individualiste, à la fois acteur, manipulateur, artisan, metteur en scène, scénographe.
A. T. : Comment expliquez-vous le fait que de plus en plus de spectacles théâtraux utilisent la marionnette ?
F. H. : L’utilisation de la marionnette s’inscrit dans le développement au théâtre de l’univers des images qui laisse une liberté plus grande au spectateur, une place plus marquée à son imaginaire. Le théâtre n’a jamais été aussi multidisciplinaire qu’aujourd’hui et donc toutes les formes d’expression sont au service de la représentation. Mais la marionnette a ceci de particulier qu’elle est l’acteur le plus généreux qui existe car au lieu de contraindre le spectateur à s’identifier à elle comme le demandent souvent les acteurs, elle demande au spectateur d’accepter ses limites et de pallier intellectuellement, sensiblement et émotionnellement aux insuffisances liées à sa réalité d’objet. La marionnette voyage du théâtre pour l’enfance au théâtre pour les grands avec une facilité déconcertante comme seul
un art majeur proche du public (populaire!) peut le faire. Et c’est tant mieux..