Les hauts plateaux ont rendu la musique plus douce

Les hauts plateaux ont rendu la musique plus douce

Le 19 Avr 2001
Jean-Marie Muyango, Vincent Jacquemin, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
Jean-Marie Muyango, Vincent Jacquemin, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.

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Jean-Marie Muyango, Vincent Jacquemin, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
Jean-Marie Muyango, Vincent Jacquemin, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
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Bernard Debroux : Ton expéri­ence et ta pra­tique musi­cale sont extrême­ment diver­si­fiées ; tu sem­bles te mou­voir avec intérêt et plaisir dans la musique clas­sique ou con­tem­po­raine comme dans le free-jazz ou les formes répéti­tives et min­i­mal­istes, dans l’instrumentation tra­di­tion­nelle mais aus­si dans les sup­ports élec­tron­iques. Com­ment situer l’œuvre com­posée pour RWANDA 94 au sein de ton par­cours musi­cal ?
Gar­rett List : L’œuvre com­posée pour ce spec­ta­cle se situe dans le pro­longe­ment de mon tra­vail. J’ai tou­jours fait de la musique de cham­bre ; je com­pose pour ce genre d’ensemble depuis que j’ai com­mencé à écrire. Cette ques­tion m’est pour­tant sou­vent posée. Com­ment est-il pos­si­ble de faire autant de choses qui sem­blent si dif­férentes ? C’est sans doute l’éducation que j’ai reçue aux États-Unis qui ne me les fait pas con­sid­ér­er comme dif­férentes.
Je ne veux pas dire par là que les États-Unis sont un mod­èle « d’intégration » ; dans la for­ma­tion musi­cale, ce n’est pas le cas.
Mais, nous sommes beau­coup plus éduqués à pra­ti­quer des styles de musique dif­férents (quand je dis « nous », je veux par­ler spé­ciale­ment des « souf­fleurs » et en par­ti­c­uli­er des trom­bon­istes). J’ai donc eu très tôt l’occasion de jouer dans un orchestre sym­phonique comme dans un « big band » ou une grande har­monie, un ensem­ble « dix­ieland » ou « be-bop ». J’ai joué Wag­n­er et Glenn Miller dans la même journée. Cela tenait donc à mon état de trom­bon­iste parce que ce n’était pas le cas pour les vio­lonistes ou les clar­inet­tistes, par exem­ple.

B. D. : C’est donc l’instrument qui favorise ou non une plus grande capac­ité d’ouverture ou d’intégration ?

G. L. : En quelque sorte, oui. Je ne m’en suis pas aperçu au départ, ce n’était pas une volon­té délibérée. C’est par les ques­tions qui m’ont été posées au fil du temps que je me suis ren­du compte de l’influence de cette pra­tique ini­tiale sur l’évolution de mon par­cours.
La musique de RWANDA, c’est donc de la musique de cham­bre, une musique dont je me sens très proche. Lorsque j’étais à la Jul­liard School à New York, j’étais chargé de l’enseignement de la musique de cham­bre.

B. D. : À la vision et à l’écoute du spec­ta­cle, on est très impres­sion­né par ce que je nom­merais, faute de mieux, une « inté­gra­tion » de gen­res musi­caux dif­férents. Bien sûr on dis­tingue ce qui relève de la tra­di­tion musi­cale occi­den­tale (même si on sait que les racines du jazz se trou­vent évidem­ment en Afrique), et ce qui appar­tient à la musique africaine pro­pre­ment dite. Mais des ren­con­tres s’opèrent et on se retrou­ve en présence d’une œuvre dont se dégage finale­ment une grande cohérence.

Com­ment s’est déroulé le tra­vail de col­lab­o­ra­tion avec les musi­ciens africains et par­ti­c­ulière­ment Jean-Marie Muyan­go ? Le voy­age que le Groupov a organ­isé en 1998 sem­ble avoir eu une grande influ­ence aus­si sur la créa­tion musi­cale.

G. L. : On ne sait pas tou­jours com­ment la musique appa­raît.
La vis­ite au Rwan­da a été très impor­tante. Le fait d’arriver à Kam­pala et de pren­dre un minibus, de venir de l’Ouganda, d’entrer au Rwan­da et de mon­ter sur les hauts plateaux où se trou­vent les collines, c’était très impres­sion­nant. J’ai été très mar­qué, « géo­graphique­ment », par cette mon­tée, cette arrivée là-haut et puis voir ce peu­ple, si isolé dans cette con­trée (où Stan­ley n’avait pas voulu aller ; il a fal­lu atten­dre les Alle­mands et le début du XXe siè­cle pour que les Européens débar­quent là-bas). Cette prég­nance du paysage et des habi­tants a été très impor­tante pour moi. J’ai vu pas mal de pays dits « exo­tiques» ; j’ai passé par exem­ple trois étés aux îles Hawaï, qui sont très « civil­isées » main­tenant mais qui gar­dent une beauté physique extrême. Mais je n’ai rien vu d’aussi beau que ce pays du Rwan­da et je com­prends leur expres­sion : « Dieu par­court le monde entier durant toute la journée mais il revient chaque soir dormir au Rwan­da ».
Le con­traste entre cette beauté et cette hor­reur qu’ils se sont infligée, le trau­ma­tisme que tu ressens dans le peu­ple, cette impres­sion qu’ils don­nent de s’être coupé leurs pro­pres jambes, la vis­ite des sites où les grands mas­sacres du géno­cide se sont passés, voir les corps, sen­tir l’odeur dans ces lieux si beaux et essay­er de com­pren­dre com­ment tout cela a pu arriv­er… Je ne sais pas com­ment cela s’est traduit con­crète­ment dans la musique, mais cela a été une expéri­ence déter­mi­nante et je sais que cela aurait été très dif­férent si je n’avais pas été là-bas.
Au départ, je pen­sais à un sax­o­phone et une clar­inette. J’ai tout de suite com­posé le pre­mier prélude, celui qu’on entend au début de la pièce. Jacques me par­lait d’un grand son très bas, une sorte d’onde sub­lim­i­nale qui aurait envelop­pé le pub­lic pour le met­tre en con­di­tion de récep­tiv­ité du spec­ta­cle.
Je lui ai pro­posé d’essayer une autre approche basée sur des moments de silences qui en alter­nant avec les sons per­me­t­traient au spec­ta­teur de se con­cen­tr­er et de pren­dre con­science pro­gres­sive­ment de l’espace du théâtre.
Très vite, c’est devenu clair qu’il n’y avait pas de place pour le sax­o­phone qui a été aban­don­né.
Par ailleurs, Jacques avait tou­jours par­lé de voix chan­tées, il me fai­sait étouter du Gesu­al­do. Au départ, j’imaginais deux voix de femmes et une voix d’homme. Puis je me suis dit que deux voix, c’était déjà beau­coup puisque nous avions aus­si le trio à cordes, la clar­inette et le piano.

Garrett List, de dos dirigeant chanteurs et musiciens, Rwanda 94. Photo Lou Hérion.
Gar­rett List, de dos dirigeant chanteurs et musi­ciens, Rwan­da 94. Pho­to Lou Héri­on.

Je pen­sais à ce groupe d’instruments étant don­né la rela­tion qu’il y avait entre la musique roman­tique et la coloni­sa­tion. C’était un point de vue intel­lectuel que j’avais avant d’aller au Rwan­da. La musique de cham­bre de la fin du XIXe siè­cle (Brahms), mais aus­si tout cet art européen mon­u­men­tal (en archi­tec­ture, mais aus­si en musique par le développe­ment des orchestres sym­phoniques) ont pu être pro­duit grâce à l’argent gag­né par la coloni­sa­tion, ajouté bien évidem­ment aux richess­es obtenues par l’industrialisation en Europe sur le dos de la classe ouvrière. Je ne suis pas un marx­iste au sens strict mais je resssens cette sit­u­a­tion comme ça. Je n’avais pas l’intention de com­pos­er de la musique roman­tique, mais le choix de ce groupe d’instruments sym­bol­i­sait ça.

On s’est arrêté là ; 7 musi­ciens sur scène, c’est déjà beau­coup.
Après mon retour du Rwan­da, j’ai beau­coup écouté un disque1 d’un musi­cien rwandais : Rujindiri. Il est mort main­tenant. Il a vécu jusqu’à l’âge de 93 ans et était déten­teur des tra­di­tions musi­cales. Il était chanteur à la cour du roi et con­nais­sait les poèmes dynas­tiques mais aus­si beau­coup d’autres élé­ments de la cul­ture rwandaise. Il chan­tait à trois voix (en com­pag­nie de deux autres chanteurs), s’accompagnant de l’inanga (cithare africaine). J’ai écouté ce disque encore et encore et je m’en suis forte­ment imprégné.
Il sem­ble que cette musique rwandaise ait des affinités avec la musique éthiopi­enne.

B. D. : C’est à cette musique que tu attribues un art du con­tre­point si par­ti­c­uli­er ?

G. L. : Je n’ai jamais enten­du une musique comme ça.

Dans les musiques dites « extra-européennes », on entend surtout les tierces mineures. Dans la musique bali­naise ou chi­noise ou japon­aise, on n’entend pas sou­vent de tierce majeure. Dans la musique brésili­enne (sam­ba, bossa nova), oui, parce qu’elle est basée sur une har­monie européenne. Or dans la musique rwandaise on entend de façon impor­tante la tierce majeure. Cela sonne très clair, cela m’a sur­pris car cela se rap­proche de la musique européenne.

La musique rwandaise fait enten­dre un véri­ta­ble con­tre­point ; il y a vrai­ment des voix indépen­dantes comme dans la musique occi­den­tale et en plus avec une into­na­tion extra­or­di­naire.
La pre­mière fois que j’ai écouté cette musique, j’ai été très touché par la finesse de son exé­cu­tion, avec des inter­valles si dif­férents de notre gamme chro­ma­tique européenne. Ils arrivent pour­tant à pro­duire un accord majeur mais avec des inter­valles qui ne sont pas ceux que nous con­nais­sons.
Lorsque la musique rwandaise arrive dans le spec­ta­cle, je dois admet­tre que je ne com­prends pas com­ment ils font. Ça reste un mys­tère pour moi, et en même temps, c’est ter­ri­ble­ment beau.

B. D. : Ce sont donc ces inter­valles étranges où on trou­ve l’accord par­fait majeur qui ont per­mis la ren­con­tre avec ta pro­pre musique ?

G. L. : Oui, mais ce qui me touche encore davan­tage, c’est la mélan­col­ie qui s’en dégage. On dirait que les hauts plateaux et les mille collines ont ren­du la musique plus douce…
Je n’ai jamais com­posé de la musique dodé­ca­phonique ou atonale. J’ai depuis tou­jours com­posé de la musique tonale (sauf quand j’étais jeune et qu’il fal­lait le faire, mais j’ai très vite aban­don­né); c’est sans doute dû à mon expéri­ence avec le jazz et la chan­son.
Mais le con­tre­point qu’ils dévelop­pent me touche par­ti­c­ulière­ment car j’aime le con­tre­point, mais pas celui qu’on enseigne dans « les règles de l’art ». J’aime quand les voix dif­férentes bougent, se chas­sent, se pour­suiv­ent. Il y avait donc une con­nivence très grande entre cette forme musi­cale et la mienne. Est-ce un hasard ? Je ne crois pas au hasard…

Jean-Marie Muyango, Vincent Jacquemin, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
Jean-Marie Muyan­go, Vin­cent Jacquemin, RWANDA 94. Pho­to Lou Héri­on.

B. D. : Cette écoute de Rujindiri t’a donc con­duit vers une nou­velle forme de com­po­si­tion.

G. L. : Lorsque j’ai com­posé le deux­ième prélude, Car­ole Kare­mera, actrice du spec­ta­cle, a recon­nu, en l’écoutant, des thèmes de la musique rwandaise et m’a incité à ren­con­tr­er son oncle, Jean-Marie Muyan­go.
Dès que je l’ai ren­con­tré, j’ai su que nous allions tra­vailler ensem­ble, je n’avais aucun doute. Je me suis trou­vé musi­cien en face d’un autre musi­cien.
Je ne suis pas pour la « world music » ; je trou­ve choquant d’aller piller la cul­ture des autres pour enrichir la nôtre.
Quand je vois l’obélisque à Paris, ce n’est pas un cadeau don­né par les Égyp­tiens aux Français ; c’est plutôt Napoléon qui a gag­né la guerre et qui a pris ce mon­u­ment (ce qu’il n’aurait pas pu faire s’il n’avait pas gag­né la guerre). Même remar­que pour les fresques du Parthénon au British muse­um de Lon­dres. Il s’agit bien de pil­lage.
Je ne voulais pas par­ticiper à cela. Au début du troisième mil­lé­naire, j’estime qu’on ne peut plus faire ça. Nous avons assez pil­lé un peu partout sur la planète. Stop.

Comme lorsque je tra­vaille avec des musi­ciens d’autres cul­tures, lorsque je tra­vail­lais avec Muyan­go, j’étais très sen­si­ble et très atten­tif à cela. Mon souhait le plus fort était que l’on ressente qu’il il y a deux cul­tures qui se ren­con­trent, et non l’une qui utilise l’autre. Deux univers musi­caux qui se com­plè­tent, se par­lent, dia­loguent. Je pense que nous avons réus­si.

B. D. : Com­ment cela se pas­sait-il car les Rwandais ne dis­posent que de tra­di­tion orale ? Il n’y a ni par­ti­tions, ni traités…

G. L. : Nous nous écoutions… Je l’écoutais pour com­pren­dre com­ment il jouait. Il me don­nait des cas­settes. Je les tra­vail­lais, nous nous revoyions, je l’écoutais chanter encore. Il chan­tait, je tapais des notes de piano…

B. D. : Il y a dans le spec­ta­cle des moments musi­caux qui leur appar­ti­en­nent entière­ment, d’autres qui t’appartiennent et d’autres enfin, d’un troisième ordre, con­sti­tués du pro­duit orig­i­nal de cette ren­con­tre.

G. L. : Cette troisième démarche est réal­isée de la manière la plus impor­tante dans « la litanie des ques­tions » où une mélodie de Muyan­go revient régulière­ment (refrain et cou­plet). Une fois que j’ai eu com­pris son fonc­tion­nement musi­cal, j’ai com­posé un accom­pa­g­ne­ment pour lui. Inverse­ment, à un autre moment, ce sont les per­cus­sions rwandais­es qui « accom­pa­g­nent » la mélodie que j’ai com­posée ; en même temps le piano essaye de trou­ver le tem­po induit par la per­cus­sion et celle-ci devient par­tie inté­grante de l’orchestre. On voy­age ain­si de sa chan­son à ma musique ; sa chan­son, ma musique, sa chan­son, ma musique… mais l’une n’existera pas sans l’autre.
Il y a aus­si un rap­port étroit avec le sens, parce qu’au départ, ce sont les cordes qu’on entend sur un mode rel­a­tive­ment léger, et c’est le développe­ment des ques­tions et la chan­son de Muyan­go qui vont entraîn­er l’orchestre vers de la grav­ité. Il y a vrai­ment les ques­tions et les répons­es, et comme une prise de con­science de la musique qui doit se situer par rap­port à elles.
« On a le droit de faire ce genre de choses » ou « on n’a pas le droit de faire ce genre de choses ».

B. D. : Y a‑t-il place pour l’improvisation musi­cale durant le spec­ta­cle ?

G. L. : Il y a des moments impro­visés dans le spec­ta­cle. Dans le Chœur des Morts il y a cer­tains endroits où, à l’intérieur d’un cadre très strict et avec des règles très pré­cis­es, les musi­ciens peu­vent impro­vis­er. Dans ce que nous appelons le ritor­nel­lo, à la fin de la can­tate, lorsqu’arrive la litanie des noms des dis­parus, il y a aus­si une impro­vi­sa­tion au sein du cadre strict du ritor­nel­lo. Comme dans le jazz, le tem­po est inscrit, le rythme est inscrit, les accords sont inscrits, cer­taines notions mélodiques sont inscrites mais à part cela, on peut inven­ter.
J’ai un solo de trom­bone totale­ment impro­visé au moment de la séquence des hyènes.

B. D. : La col­lab­o­ra­tion Del­cu­vel­lerie-List s’apparente-t-elle à la col­lab­o­ra­tion Brecht-Weill ou Brecht-Eisler ? Com­ment qual­i­fierais-tu cette forme de spec­ta­cle. Théâtre musi­cal ? Opéra ? Ora­to­rio ?

G. L. : J’ai l’impression que l’on se trou­ve en présence d’une forme nou­velle et l’envie de vouloir la décrire par des formes passées ne con­vient pas…
Bien sûr les artistes que tu cites m’ont beau­coup influ­encé. Mais ma rela­tion avec Jacques n’a rien à voir avec la rela­tion qui existe entre Brecht et Weill.
Moi je me sens d’abord dans une rela­tion d’amitié avec Jacques avant de me retrou­ver dans une rela­tion intel­lectuelle.
Ensuite, Jacques est un pas­sion­né de musique, de toutes les musiques. Pour pren­dre le trom­bone, nous pou­vons par­ler aus­si bien de Kid Ory que de Grachan Mon­cur III ou Vinko Globokar… Ça aide beau­coup pour définir les direc­tions de tra­vail
Plus fon­da­men­tale­ment, où j’ai une grande admi­ra­tion pour Jacques, c’est que le cadre pro­posé était telle­ment solide que nous avons pu, sans être bridés, fon­cer à l’intérieur et don­ner tout ce que nous pou­vions don­ner à tout moment ; même si cer­taines choses ont fait l’objet de dis­cus­sions fortes, il n’y eut jamais de con­tentieux sur le fond. Jacques est un for­mi­da­ble meneur d’hommes.

Je me sen­tais tout à fait libre de faire ce que je voulais pour faire avancer le pro­jet.
L’autre chose fon­da­men­tale est que cette pièce n’est pas écrite par une per­son­ne, non seule­ment au niveau du texte, mais aus­si musi­cale­ment. La notion d’opéra ne con­vient donc pas non plus. La notion que je préfère, si je devais met­tre un mot, c’est le mot « œuvre », mais une œuvre « col­lec­tive ».
Une notion impor­tante est celle de « cathar­sis » au sens grec du terme (je pense à Agamem­non qui a lais­sé pleur­er les Grecs pour com­pren­dre le sac­ri­fice d’Iphigénie). La notion de cathar­sis per­met de dépass­er cette ten­sion dialec­tique qui depuis au moins 500 ans, peut-être même davan­tage, oppose clas­si­cisme et roman­tisme dans l’art européen. La rai­son pour laque­lle Brecht ne voulait pas avoir de cathar­sis dans ses pièces, c’est qu’il ne voulait pas qu’elles devi­en­nent « a dis­play of emo­tion », qu’on répande les émo­tions ; ce qui est le signe pro­pre du roman­tisme. En ce sens Brecht est davan­tage un « clas­si­ciste », par­ti­san de formes claires qui aident les gens à sor­tir d’eux-mêmes et à agir.
Dans ce spec­ta­cle, la notion de cathar­sis est sor­tie de cette ten­sion entre clas­si­cisme et roman­tisme.

B. D. : Est-ce cette com­bi­nai­son nou­velle qui fait que la majorité des gens ne trou­vent pas long un spec­ta­cle de six heures, réflex­ion et émo­tion se con­juguant dans un chem­ine­ment de « vig­i­lance calme » ?

G. L. : Oui, on ne reste pas figé dans une forme de tristesse, on sort du spec­ta­cle en se dis­ant qu’il faut avancer, qu’on doit faire mieux, qu’on ne peut plus agir comme ça. Et à côté de cela la cathar­sis est indis­pens­able. On peut pleur­er, les gens ont mal, mal, mal comme ce n’est pas pos­si­ble d’avoir mal !
On ne peut ni ne doit résis­ter à cette com­pas­sion qui nous envahit. Donc la cathar­sis fonc­tionne, mais ce n’est plus une tension/opposition entre émo­tion et réflex­ion, ces deux démarch­es se rejoignent. C’est là que j’ai l’impression que nous avons touché une nou­velle forme. Je ne sais pas com­ment l’appeler ni pourquoi ça a marché. J’en suis très heureux.

B. D. : Le spec­ta­cle évolue-t-il encore dans sa forme ?

G. L. : Le spec­ta­cle évolue encore dans son inter­pré­ta­tion bien sûr mais surtout dans la com­préhen­sion que nous en avons. C’est seule­ment lors des représen­ta­tions à Paris (jan­vi­er 2001) que cette nou­velle approche de la fonc­tion cathar­tique du spec­ta­cle
s’est imposée à moi.

  1. RUJINDIRI, MAÎTRE DE L’INANGA. Musique anci­enne de la cour rwandaise. Édi­tions Fonti musi­cali, FMD 186. ↩︎

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