Participer à une forme de responsabilité historique du théâtre
Entretien
Théâtre

Participer à une forme de responsabilité historique du théâtre

Le 17 Avr 2001
Carole Karemara, Jeanne Kayitesi, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
Carole Karemara, Jeanne Kayitesi, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.

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Carole Karemara, Jeanne Kayitesi, RWANDA 94. Photo Lou Hérion.
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Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives ThéâtralesRwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68

BERNARD DEBROUX : Alors que depuis une douzaine d’années tu écris au théâtre une œuvre sin­gulière, pour le pro­jet RWANDA 94 tu as tra­vail­lé à par­tir d’un cadre « imposé ». Il ne s’agissait pas d’une « com­mande » au sens habituel du terme mais de pro­duc­tion de textes demandés par Jacques Del­cu­vel­lerie à des auteurs autour de sujets pro­posés mais traités en toute lib­erté, dans la forme qui leur con­ve­nait. Con­crète­ment, com­ment cela s’est-il passé pour toi ?

Jean-Marie Piemme : Il faut dire tout d’abord que c’est ma pre­mière col­lab­o­ra­tion avec le Groupov et Jacques Del­cu­vel­lerie. J’ai un long tra­jet de com­pagnon­nage avec eux, j’ai vu beau­coup leurs spec­ta­cles, mais je n’avais jamais tra­vail­lé directe­ment avec eux. Très con­crète­ment, les choses se sont passées de la façon suiv­ante : Jacques et des acteurs du Groupov, acteurs qui ne devaient pas néces­saire­ment se retrou­ver dans le spec­ta­cle et qui ne s’y sont d’ailleurs pas tous retrou­vés, ont com­mencé à tra­vailler sur la matière du géno­cide, et en cours de route, rel­a­tive­ment tôt dans le proces­sus d’élaboration mais en cours de route néan­moins, Jacques m’a con­tac­té en me deman­dant de col­la­bor­er au pro­jet, me dis­ant qu’il ne s’agissait pas d’une com­mande au sens habituel du terme, mais d’une mise en com­mun de forces de tra­vail, qu’il y aurait d’autres auteurs qui seraient sol­lic­ités ; qu’eux-mêmes au Groupov écriraient des choses. Donc lorsque j’ai com­mencé le tra­vail, c’était dans un sché­ma tout à fait autre que celui dans lequel j’évolue habituelle­ment.

Il a fal­lu tout d’abord que je me mette au courant de la matière. Si j’en avais une per­cep­tion glob­ale, je n’en avais cer­taine­ment pas une per­cep­tion détail­lée, encore moins une vision his­torique claire et pré­cise. Le doc­u­ment que Jacques avait déjà rédigé (Note d’intention, 1997), que je trou­ve remar­quable, m’a beau­coup aidé.

Ensuite nous avons eu beau­coup de réu­nions col­lec­tives où nous appre­nions énor­mé­ment de choses, nous réfléchis­sions ensem­ble à la manière de faire un spec­ta­cle sur un géno­cide ; ce qui, bien sûr, n’est évi­dent pour per­son­ne.
Jacques avait bien des idées direc­tri­ces dans la tête mais il y avait une grande part de lib­erté par rap­port aux direc­tions qu’on pou­vait pren­dre. Comme nous avons un peu les mêmes orig­ines théâ­trales, les mêmes références, cela a facil­ité les choses. On partage les mêmes points de vue sur le théâtre et la fonc­tion du théâtre. Cette prox­im­ité a sans doute aidé à ce que l’amalgame prenne facile­ment.
Il a donc fal­lu chercher à résoudre cette ques­tion cen­trale, « com­ment fait-on un spec­ta­cle sur un géno­cide ? » dès l’instant où on veut ren­con­tr­er l’émotion et la douleur que ça sus­cite, le faire dans le respect que ça mérite, tout en y mêlant un point de vue his­torique, un point de vue cri­tique, un point de vue ana­ly­tique, absol­u­ment indis­pens­ables.

Donc trou­ver quelque chose qui fasse que le spec­ta­cle ne soit pas une messe con­so­la­trice, mais un acte vivant, à la fois un acte de témoignage sur ce qui s’est passé et un regard qu’il faut pro­jeter dans l’avenir, une mise en garde, un sig­nal qui per­me­tte d’attirer l’attention sur ce qu’on avait dit qui n’arriverait plus jamais, à savoir le géno­cide. Telles étaient les direc­tions dans lesquelles on a tra­vail­lé. Il s’agissait aus­si de rechercher des formes et là, il y avait en référence d’autres auteurs qui avaient déjà abor­dé le sujet du géno­cide, en par­ti­c­uli­er par exem­ple Peter Weiss avec L’INSTRUCTION.

B. D. : On trou­ve effec­tive­ment dans la « Note d’intention » les dra­matur­gies de référence (y com­pris d’ailleurs tes pro­pres pièces) : les tragédies grec­ques, Shake­speare, Brecht, Genet, Weiss, Claudel, Müller, Maïakovs­ki, etc. T’es-tu, toi aus­si, inscrit dans ces fil­i­a­tions ? Une des trois visions de la jour­nal­iste Bee Bee Bee, celle de la ren­con­tre du fan­tôme de François Mit­terand avec son fils Jean-Christophe, fait directe­ment référence à Ham­let lorsqu’apparaît le fan­tôme de son père. On retrou­ve presque mot pour mot le début de la pièce.

J.-M. P. : Je ne suis pas arrivé tout de suite à ces visions. J’ai fait des approches qui n’ont pas trou­vé leur per­ti­nence. Par exem­ple, on savait qu’on démar­rait par une émis­sion de télévi­sion. J’ai donc fait du texte pour un faux débat télévi­suel, comme si on avait un pan­el avec des gens qui dévelop­pent des points de vue et expliquent des choses, etc.
On s’est vite ren­du compte des lim­ites de cette ten­ta­tive : on ne don­nait pas une infor­ma­tion très sig­ni­fica­tive ; en même temps on était dans une forme théâ­trale ter­ri­ble­ment molle parce qu’à force de ressem­bler à un pan­el télévi­suel, elle n’était qu’un pan­el télévi­suel. Voilà déjà une chose qui a été écartée.

Puis, on s’est dit qu’on pour­rait avoir recours à une forme de procès. Le procès est une forme canon­ique du théâtre. On pense à L’INSTRUCTION bien sûr, et si on remonte plus loin, Athé­na dans L’ORESTIE fait un procès pour savoir si la vengeance doit pour­suiv­re Oreste ou si on doit au con­traire instau­r­er un tri­bunal qui arrête les vendet­tas. J’ai donc écrit quelques scènes autour d’un procès fic­tif du colonel Logi­est, un pro­tag­o­niste impor­tant dans l’histoire de la présence belge récente au Rwan­da. Là aus­si les lim­ites sont rapi­de­ment apparues. Le tra­vail se révélait inadéquat au pro­jet dans sa total­ité, j’en étais d’ailleurs le pre­mier con­va­in­cu.
Alors est venue l’idée que dans un univers de témoignages, dans un univers d’explications où il y avait la con­férence, le témoignage de Yolande, peut-être fal­lait-il
une part de fic­tion. Pourquoi la fic­tion n’aurait-elle rien à dire sur le réel ?

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Écrit par Jean-Marie Piemme
Auteur, dra­maturge. www.jeanmariepiemme.bePlus d'info
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