L’un e(s)t l’autre
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L’un e(s)t l’autre

Le 20 Jan 2001
Albert Delpy dans JACOB SEUL, mise en scène Nabil El Azan. Photo Marcel Vanhulst.
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Albert Delpy dans JACOB SEUL, mise en scène Nabil El Azan. Photo Marcel Vanhulst.
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Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
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L’AMÉNAGEMENT et JACOB SEUL. Ce sont les deux pièces de Jean Lou­vet que j’ai mis­es en scène à Paris, respec­tive­ment début et fin 1990. Avec le recul, je m’aperçois qu’en mon­tant ces deux pièces coup sur coup je pre­nais un rac­cour­ci énorme dans le temps, lui faisant en quelque sorte out­rage. Je ne savais pas alors que le temps était pré­cisé­ment au cœur de l’œu­vre de Lou­vet, la façon­nant et la mod­i­fi­ant sans cesse, la pul­sant et la cor­ro­dant à la fois. Com­ment imag­in­er par exem­ple que JACOB SEUL allait inau­gur­er d’un nou­v­el axe dra­maturgique qui ignore superbe­ment celui de L’AMÉNAGEMENT et lui tourne résol­u­ment le dos ? 

Revenir sur ces deux lieux de drame per­me­t­trait peut-être de com­pren­dre, onze ans après, pourquoi des spec­ta­teurs et des cri­tiques qui ont porté aux nues un spec­ta­cle comme 

L’AMÉNAGEMENT ne s’y sont pas retrou­vés devant JACOB SEUL. Par ric­o­chet, cela per­me­t­trait de voir un peu plus clair dans cette dra­maturgie qui n’a qu’une seule obses­sion : l’homme, et qui n’hésite pas à arpen­ter tous les chemins qui y con­duisent. L’AMÉNAGEMENT, écrit au début des années 70, appar­tient à ce qu’il était con­venu d’ap­pel­er le Théâtre du quo­ti­di­en — ce théâtre-là donne à voir et à enten­dre com­ment l’idéolo­gie dom­i­nante tra­verse le lan­gage et les com­porte­ments. On y voit un homme et une femme (prob­a­ble­ment l’u­nique « his­toire d’amour » dans le théâtre de Lou­vet) s’aimer et se déchir­er ; elle bour­geoise, lui genre intel­lo de gauche, tous les deux engoncés dans les désirs con­tra­dic­toires de leur appar­te­nance sociale. Lou­vet Les traque dans l’in­tim­ité de leur corps comme de leur lan­gage et quand il laisse Jo, son héros, pra­tique­ment exsangue, c’est comme pour mon­tr­er les effets alié­nants et dévas­ta­teurs de la fas­ci­na­tion qu’exerce l’idéolo­gie dom­i­nante sur les pro­lé­taires et les class­es moyennes. Dans cette pièce, l’auteur engagé du TRAIN DU BON DIEU, réc­on­cilie en quelque sorte Brecht avec l’impensé de sa théorie : la mise en rela­tion du psy­chisme des indi­vidus avec la struc­ture sociale. Et la petite his­toire de Jo et Hilde de se dévoil­er à la lumière de la grande. Tout cela, cepen­dant, Jean Lou­vet l’opère sur la scène tra­di­tion­nelle du théâtre. C’est-à-dire avec des per­son­nages iden­ti­fi­ables, des décors référen­tiels et une fic­tion dra­ma­tique. À charge du seul « sens » de faire pren­dre con­science et de tout tor­piller, éventuelle­ment. 

La théâ­tral­ité pro­posée par le texte devrait donc con­duire à la prise de con­science par le biais de l’il­lu­sion. Ici, la représen­ta­tion devrait être à son comble. Je n’ai pas hésité d’ailleurs en met­tant en scène cette pièce. Même les écarts devaient par­ticiper à l’«identification », au rap­proche­ment. Ceci par exem­ple : j’avais choisi de faire jouer la pièce en flash back, com­mençant par la fin, juste avant que Jo ne se tire une balle dans le sexe. Comme s’il déroulait lui-même le film des événe­ments qui l’ont amené là. Comme le jeu, tous les élé­ments du spec­ta­cle, cos­tumes, musique et mobili­er, étaient « nat­u­ral­istes » et référaient au début des années soix­ante dix. C’é­tait une façon comme une autre de met­tre à dis­tance cette fic­tion afin de mieux la regarder. Ou encore ceci : la mise en scène avait dis­tribué les spec­ta­teurs dans l’espace même du cou­ple — comme Jo, ils étaient eux aus­si amé­nagés

Le théâtre comme espace de recon­nais­sance et de démon­stra­tion. 

Jacob est seul dans une forêt où un arbre vient de mourir. Il s’oc­cupe à répar­er des écrans qui ne fonc­tion­nent plus et. par­le, s’adres­sant à un autre, imag­i­naire. Sur lui-même il ne racon­te pas grand-chose. On apprend qu’il a une femme et une fille avec lesquelles il regarde la télé, qu’il est un expert, qu’il fait ses cours­es dans un super­marché — donc il y a une ville pas loin où il y a aus­si un bureau de poste. C’est à peu près tout. Et encore, ces infor­ma­tions Jacob les énonce au détour d’une phrase sans s’y attarder. Et pourquoi est-il là, isolé du reste du monde ?On ne le saura jamais. 

La théâ­tral­ité, ici, sur­git d’une parole qui avance nue, mal assurée, délestée du poids d’un passé, d’une fic­tion ou d’une quel­conque appar­te­nance psy­chologique ou sociale. Une parole en creux. Dès lors, elle sem­ble se charg­er de sa pro­pre proféra­tion, et à l’instant même où elle est proférée. D’où son besoin vital de l’Autre quand bien même serait-il fic­tif. C’est l’u­nique « drame » de Jacob d’ailleurs : il n’est que parce qu’il par­le, il n’est que tant qu’il par­le. Drame de l’hu­man­ité ! Drame de l’ac­teur ! 

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Écrit par Nabil El Azan
Nabil El Azan est met­teur en scènedi­recteur de la Com­pag­nie La Bar­ra­ca avec laque­lle il pro­duit et encour­age...Plus d'info
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