Sonorités alternatives à propos de MALCOLM X de et par Mohamed Rouabhi
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Sonorités alternatives à propos de MALCOLM X de et par Mohamed Rouabhi

Le 11 Jan 2001
Mohamed Rouabhi dans MALCOLM X. Photo Pierluigi Zolli.
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Mohamed Rouabhi dans MALCOLM X. Photo Pierluigi Zolli.
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Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
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… « Le libéral­isme économique extrémiste rétablit la lutte pour la vie comme forme idéale de jus­tice. Le noir du ghet­to devint rapi­de­ment le pro­to­type du raté. Ce revire­ment de sit­u­a­tion par­ti­c­ulière­ment cru­el créa une prise de con­science, dont le rap est une des man­i­fes­ta­tions. Désor­mais, les textes décriront la vie du ghet­to, et repren­dront le com­bat inachevé de Mar­tin Luther King et des Black Mus­lims. En 1982, le rap devint un mes­sage. D’abord dance-music, il wuta en protest-song. »

Georges Lapas­sade et Philippe Rous­selor,
LE RAP OU LA FUREUR DE DIRE
(Loris Tal­mart, 1998)

IL AURAIT PU, Mohamed, se retrou­vant sans le sou après la scis­sion de sa com­pag­nie Les Acharnés, rebondir avec pru­dence et timid­ité, comme le font la plu­part de ses con­frères dans les moments d’adversité, par un mod­este solo d’acteur pour petite salle ou petite jauge, un de ces « seul-en-scène » de plus par­mi ceux qui se mul­ti­plient dans nos théâtres, tout à la fois pour de mau­vais­es raisons économiques, mais aus­si, par­fois, pour quelques bonnes moti­va­tions liées à l’exploration intro­spec­tive du « je » (du jeu ?), ain­si qu’à la rela­tion de con­fi­dence, d’in­tim­ité et de prox­im­ité sou­vent aujourd’hui recher­chée par l’ac­teur auprès de son des­ti­nataire. Pour ce faire, il avait tout sous la main. Un bon acteur : lui-même. Un dra­maturge de tal­ent : encore lui-même, auteur désor­mais con­fir­mé de plusieurs pièces par­mi lesquelles LES ACHARNÉS (à l’origine du nom de la com­pag­nie), LES FRAGMENTS DE KAPOSI ou LES NOUVEAUX BÂTISSEURS, toutes pub­liées chez Actes Sud Papiers. Une idée forte : réu­nir quelques extraits des harangues les plus per­cu­tantes de Mal­colm X, mil­i­tant noir afro-améri­cain assas­s­iné en 1965 ; oppos­er implicite­ment, sans même y faire allu­sion, l’image du méchant Mal­colm, musul­man vin­di­catif et « prédi­ca­teur de la haine » (c’est-à-dire de la lutte des class­es) à celle du bon chré­tien, le pas­teur Mar­tin Luther King, paci­fique, inté­gra­tionniste et con­sen­suel ; met­tre en per­spec­tive Le dis­cours très améri­cain et daté « années ‘60 » de Mal­colm avec ce qui aujourd’hui en France n’a pas (beau­coup) changé : les flam­bées de racisme et de xéno­pho­bie, la colère des ban­lieues, l’insoluble héritage esclavagiste et colo­nial. 

Dans cette pre­mière approche déjà, cer­tains choix de texte et de tra­duc­tion font mouche : les mots « basané », « voleur », « pyro­mane », « taux de crim­i­nal­ité » ou encore « délit de faciès » et « sauvageon », se por­tent garants de la moder­nité du pro­pos et sem­blent établir par-delà l’At­lan­tique et les décen­nies une passerelle explicite entre la fable his­torique et l’ac­tu­al­ité. Si l’on ajoute à cela que la phy­s­ionomie de Mohamed, comme ses nom et prénom, véhicule les signes eth­niques et cul­turels sinon de l’Al­gérie et de l’Is­lam, du moins du Maghreb et de la com­mu­nauté arabe, il n’est pas très dif­fi­cile de faire jouer entre le « nègre » et le « beur », l’Amérique et l’Europe, les six­ties et aujourd’hui, le dou­ble mou­ve­ment de rela­tion et de dis­tance, de rap­proche­ment et d’éloignement dont le pro­jet dra­maturgique est por­teur. 

Pour con­forter cette idée, mais aus­si pour ajouter une valeur de plaisir et de sens à une inten­tion déjà très per­ti­nente en soi, Mohamed Rouab­hi a donc élar­gi le mono­logue ora­toire de Mal­colm — qui demeure l’épine dor­sale de son pro­pos — à un spec­ta­cle « total » ou, plus mod­este­ment, « pluriel », inclu­ant plusieurs dis­ci­plines — la musique, la voix, la choré­gra­phie et les images —, et faisant appel à qua­tre, voire cinq parte­naires scéniques : un DJ, deux rappeurs, une chanteuse, ain­si qu’un pro­jec­tion­niste « à vue » instal­lé au pre­mier rang. 

Le rouge et le noir 

Toute maquil­lée de noir, la cage de scène dit non seule­ment l’étymologie de la négri­tude et la couleur de la peau, mais aus­si le deuil, lié aux exé­cu­tions, aux vio­lences des rues, aux expédi­tions puni­tives, au crime organ­isé. Le tréteau s’y fait alors catafalque, et le cos­tume-noir-cra­vate-noire (genre en in black) des deux rappeurs annonce l’ordonnateur des pom­pes funèbres en même temps qu’il dit l’uniforme pro­to­co­laire du garde du corps. Tout l’en­jeu trag­ique du spec­ta­cle est con­tenu dans la mono­chromie de cette cam­era obscu­ra qui, aux deux bouts de la chaîne, réu­nit, dans un même vol­ume cubique, la boîte pho­tographique et/ou ciné­matographique où se fab­rique une infor­ma­tion truquée, manip­ulée, et la salle de spec­ta­cle — théâtre, ciné­ma, music-hall, salle des fêtes —, celle-là même où se dif­fusent toutes les idéolo­gies, dom­i­nantes et dom­inées, alié­nantes ou éman­ci­patri­ces, depuis les films racistes et impéri­al­istes issus de la pro­duc­tion hol­ly­woo­d­i­enne la plus grossière, jusqu’aux meet­ings révo­lu­tion­naires des prédi­ca­teurs de l’e­spoir et de la dig­nité retrou­vés. Seules tach­es de couleur vive dans cette salle obscure : quelques rangées de sièges tapis­sés de tis­su écar­late, rabat­tus sur leurs dossiers, désig­nent par métonymie, à cour comme à jardin, la présence-absence de corps humains for­mant une assis­tance où un audi­toire. Couleur du sang ver­sé, com­mun à toutes les races. Couleur aus­si du dra­peau rouge de la lutte des class­es et de la révo­lu­tion. 

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Écrit par Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre Nation­al de Stras­bourg puis au Théâtre Nation­al de Bel­gique, Yan­nic Man­cel est depuis...Plus d'info
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mai 2025

Jean Louvet

12 Jan 2001 — Durant les répétitions et représentations des AMBASSADEURS DE L'OMBRE, la présence au Théâtre National de familles du quart monde, participantes…

Durant les répéti­tions et représen­ta­tions des AMBASSADEURS DE L’OMBRE, la présence au Théâtre Nation­al de familles du quart…

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