Une manière politique de faire du théâtre
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Une manière politique de faire du théâtre

Entretien avec Marc Liebens

Le 28 Jan 2001
Philippe Sireuil, Guy Pion, Philippe van Kessel, Gilles Lagae, Nicolas Donato et Jean-Luc Debattice dans LE TRAIN DU BON DIEU, mise en scène Marc Liebens. Photo Raymond Saublains.
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Philippe Sireuil, Guy Pion, Philippe van Kessel, Gilles Lagae, Nicolas Donato et Jean-Luc Debattice dans LE TRAIN DU BON DIEU, mise en scène Marc Liebens. Photo Raymond Saublains.
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Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
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NANCY DELHALLE : En 1970, vous ren­con­trez Jean Lou­vet qui a déjà un passé de mil­i­tant, a fondé le Théâtre Pro­lé­tarien, et dont une pièce, L’AN I a été créée au Théâtre Nation­al de Bel­gique. Dans quelles cir­con­stances l’avez-vous con­nu ? 

Marc Liebens : J’ai ren­con­tré Lou­vet pour la pre­mière fois au Théâtre-Poème lors d’un débat sur le théâtre ani­mé par Jacques De Deck­er et qui rassem­blait André Ernotte, Jean Sigrid et Jean Lou­vet. La manière dont Lou­vet par­lait du théâtre m’a plu. En out­re, sa per­son­nal­ité m’avait mar­qué. Ensuite, très rapi­de­ment, j’ai beau­coup enten­du par­ler de lui notam­ment par Jacques Bredael qui me sug­gérait de met­tre en scène le théâtre de Lou­vet. Je ne con­nais­sais pas alors sa vie de mil­i­tant ni son activ­ité au Théâtre Pro­lé­tarien. 

N. D.: Vous mon­tez donc À BIENTÔT MONSIEUR LANG (en 1972), LE TRAIN DU BON DIEU (en 1975), CONVERSATION EN WALLONIE (en 1977), UN FAUST (en 1985). Quel type de col­lab­o­ra­tion s’est instal­lée entre vous ? 

M. L.: Nous avons tou­jours eu beau­coup de dis­cus­sions et de débats. Comme il a beau­coup retra­vail­lé le texte, Lou­vet me four­nit dif­férentes ver­sions de À BIENTÔT MONSIEUR LANG. Nous en étab­lis­sons la dra­maturgie ensem­ble et le texte con­naît quelques mod­i­fi­ca­tions au cours du tra­vail théâ­tral. Ain­si, la ver­sion pub­liée chez Labor, celle du spec­ta­cle, est-elle un peu dif­férente de celle pub­liée aux édi­tions du Seuil. 

Je suis sen­si­ble aux auteurs qui se posent des ques­tions sur l’en­droit où ils sont et qui en ren­dent compte dans leur écri­t­ure. Ain­si, j’ai pas mal tra­vail­lé égale­ment sur les textes de Pierre Mertens. Chez Lou­vet comme chez Mertens, m’in­téressent à la fois le type de ques­tions et les formes. Lou­vet se situe dans un espace brechtien où je me retrou­ve égale­ment bien que je n’aie jamais mon­té Brecht. Je me suis aus­si intéressé à Kalisky dont les prob­lé­ma­tiques et le posi­tion­nement par rap­port à l’écri­t­ure théâ­trale sont dif­férents. 

N. D.: Pour­riez-vous cern­er les trans­for­ma­tions qui se sont opérées dans l’écri­t­ure de Lou­vet au con­tact de votre pra­tique théâ­trale ? 

M. L.: Les change­ments qui se sont effec­tués sont min­imes : ils ne touchent ni à la struc­ture de la pièce ni à ce qu’elle racon­te. Par con­tre, chaque fois que les met­teurs en scène ont voulu trans­former l’écri­t­ure de Lou­vet, ils se sont trompés. Ils ont mal lu cette écri­t­ure. Je pense par exem­ple à la ver­sion de L’HOMME QUI AVAIT LE SOLEIL DANS SA POCHE établie par Sireuil et Piemme en accord avec Lou­vet et que je trou­ve inférieure à la ver­sion ini­tiale. De la même manière, pour LE TRAIN DU BON DIEU, nous avons fait quelques mod­i­fi­ca­tions idiotes. Lorsque je monte CONVERSATION EN WALLONIE, je n’ai pas les moyens néces­saires pour quinze à vingt comé­di­ens. Dès lors, je monte une ver­sion scénique pour une plus petite dis­tri­b­u­tion. Il s’agit là d’une véri­ta­ble trans­for­ma­tion mais avec l’ac­cord de Lou­vet. Cette lec­ture était plus vio­lente et con­sti­tu­ait la pièce autrement. Comme met­teur en scène, j’opère soit des mis­es en abîme, soit des recon­struc­tions car je trou­ve intéres­sant de remon­ter le temps, de com­mencer par la pièce finie. Je préfère le savoir du comé­di­en sur une his­toire qui a eu lieu plutôt que de jouer l’histoire. Pour CONVERSATION EN WALLONIE, j’ai opéré une recon­struc­tion, non une remé­mora­tion. Dans la ver­sion que nous avons jouée le point de vue et l’ar­tic­u­la­tion sont dif­férents. 

N. D.: À BIENTÔT MONSIEUR LANG est une pièce sur le dépasse­ment des com­bats col­lec­tifs, des utopies et sur la recherche d’autres moyens d’action, d’autres rap­ports de l’in­di­vidu au col­lec­tif. S’agis­sait-il d’un con­stat d’au­teur ou d’une recherche ani­mant le Jeune Théâtre ? 

M. L.: Les ques­tions poli­tiques que pose cette pièce par le biais d’un per­son­nage d’intellectuel, je me les pose égale­ment. J’ai beau­coup tra­vail­lé sur des per­son­nages d’intellectuels con­fron­tés aux prob­lèmes poli­tiques de la société dans laque­lle ils vivent, notam­ment avec HAMLET-MACHINE de Hein­er Müller ou avec le théâtre de Thomas Berhnard… Cepen­dant, À BIENTÔT MONSIEUR LANG est une pièce jouis­sive. Elle témoigne d’un plaisir d’écri­t­ure et de la puis­sance d’un désir d’ex­is­ter. Au-delà des prob­lèmes poli­tiques, Lang con­sid­ère le Grec Vas­sili comme un com­pagnon des plaisirs de la vie. Lang veut créer le bon­heur. Il pose la ques­tion du désir qu’il se passe quelque chose, qu’un pro­jet « pas for­cé­ment social ou poli­tique » aboutisse. Un pro­jet per­son­nel, indi­vidu­el. C’est l’u­topie du plaisir de vivre. Évidem­ment, il y a l’échec mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une pièce sur la soli­tude d’un intel­lectuel de gauche qui se retrou­ve coincé parce que l’histoire a l’air de s’ar­rêter. 

N. D.: En 1975, vous mon­tez LE TRAIN DU BON DIEU en Avi­gnon. Directe­ment issue des grèves de GO, la pièce pointe des proces­sus comme la trahi­son des struc­tures syn­di­cales, l’at­ti­rance du pro­lé­tari­at pour la petite bour­geoisie. Quels sens cela avait-il de mon­ter la pièce quinze ans après ?

M. L.: Per­son­ne ne savait ce qui s’é­tait passé en 1960. Lou­vet, lui, en avait par­lé et cette pièce écrite à chaud est d’une totale justesse. Pour nous, il était impor­tant de racon­ter une grève et de mon­tr­er com­ment fonc­tion­naient les mécan­ismes de la social-démoc­ra­tie. Il ne faut pas oubli­er que nous sommes alors, en pleine société de con­som­ma­tion qui tente de domes­ti­quer l’Europe, et là, survient cette grève de type insur­rec­tion­nel. C’é­tait aus­si para­dox­al de mon­ter la pièce en France où le Par­ti Com­mu­niste était très fort. Les Français d’ailleurs n’ont pas bien com­pris la pièce. Cette grève mas­sive, vio­lente mais qui ne trou­ve pas sa forme, ne trou­ve pas ses lead­ers, cet éclate­ment, cet échec leur parais­sait incroy­able. Nous auri­ons souhaité la mon­ter en Bel­gique mais nous n’en avions pas les moyens. Ce serait bien qu’elle soit mon­tée à nou­veau aujourd’hui avec un autre recul, d’autres lec­tures…

N. D.: Dans votre tra­vail, vous vous attachiez à met­tre à jour les effets des idéolo­gies. Quel est aujourd’hui, à vos yeux, Le statut de l’idéologie ?

M. L.: Il faut se resituer dans le cli­mat de l’époque qui était totale­ment dif­férent de celui dans lequel nous vivons main­tenant. À l’époque, nous sommes intime­ment con­va­in­cus qu’une trans­for­ma­tion du monde est pos­si­ble. Le Por­tu­gal change, la Grèce change, les par­tis com­mu­nistes français et ital­ien sont impor­tants. Donc, à nos yeux, la classe ouvrière a mis en place un proces­sus qui abouti­ra, peu importe le temps néces­saire. On s’intéressait à Cuba, à Mao : nous étions con­va­in­cus que nous pou­vions trans­former le monde. C’est mon his­toire. J’ai aus­si cru que je pou­vais lire le monde dans lequel je vivais à tra­vers le marx­isme, en me ser­vant de cet out­il. Toute­fois, je n’ai jamais été mil­i­tant sauf de la pra­tique théâ­trale. Je ne suis poli­tique que là où je fais mon tra­vail. Je pense que tout spec­ta­cle est une affaire de morale, d’éthique poli­tique. Il y a une manière de faire du théâtre qui est poli­tique. 

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Écrit par Nancy Delhalle
Nan­cy Del­halle est pro­fesseure à l’Université de Liège où elle dirige le Cen­tre d’Etudes et de Recherch­es sur...Plus d'info
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