« Le moment de la transmission, c’est quand je me transmets moi-même au travail »

Entretien

« Le moment de la transmission, c’est quand je me transmets moi-même au travail »

Entretien avec Isabelle Pousseur

Le 16 Déc 2001
Isabelle Pousseur.
Isabelle Pousseur. Photo Danièle Pierre.
Isabelle Pousseur.
Isabelle Pousseur. Photo Danièle Pierre.
Article publié pour le numéro
Les penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives ThéâtralesLes penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives Théâtrales
70 – 71
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FABIENNE VERSTRAETEN : Dans son intro­duc­tion à ce numéro d’Al­ter­na­tives Théâ­trales sur « Les penseurs de l’en­seigne­ment », Georges Banu reprend une phrase de Jacques Copeau dis­ant que l’idée de la mise en scène et l’idée de l’é­cole ne sont qu’une seule et même chose, que l’en­seigne­ment du théâtre naît en même temps que la mise en scène. Dans ton par­cours per­son­nel, puisque tu as com­mencé à enseign­er très jeune, peut-on par­ler d’une nais­sance simul­tanée de ces deux pra­tiques, mise en scène et enseigne­ment ? Et de quel enseigne­ment as-tu béné­fi­cié pour dévelop­per ensuite toi-même ces deux pra­tiques ?

I. P.: Mon père qui est com­pos­i­teur et pro­fesseur de musique con­tem­po­raine a beau­coup comp­té dans ma pro­pre for­ma­tion. Enfant, puis ado­les­cente, j’ai été très tôt con­fron­tée à l’é­cart qu’il y avait entre la com­plex­ité de sa musique et la grande clarté avec laque­lle il l’ex­pli­quait. Il a un jour don­né une con­férence à l’Ate­lier Sainte Anne — j’avais 17 ou 18 ans — devant un pub­lic com­posé de vieilles dames, et ce pub­lic qui n’é­tait pas fam­i­li­er de la musique con­tem­po­raine était extrême­ment récep­tif. Mon père arrivait donc à ren­dre acces­si­ble cet objet dif­fi­cile qu’est la musique con­tem­po­raine. À l’âge de 12 ou 13 ans, j’ai dü faire un exposé sur la musique à l’é­cole. Nous avons tra­vail­lé ensem­ble lui et moi, et ce moment a agi comme une révéla­tion : il m’a expliqué com­ment l’his­toire de la musique était liée à l’his­toire tout court, en quoi la musique roman­tique était con­tem­po­raine de l’avène­ment de la bour­geoisie, de l’in­di­vidu, qu’un orchestre de quar­ante musi­ciens n’é­tait plus que l’ac­com­pa­g­ne­ment d’un seul inter­prète … Et quand j’ai don­né cet exposé à l’é­cole, je me suis moi aus­si retrou­vée pour la pre­mière fois en posi­tion de trans­mis­sion. Plus tard, en troisième année à l’IN­SAS, j’ai fait un exposé sur SHAKESPEARE NOTRE CONTEMPORAIN, de Jan Kott. À l’is­sue de cet exposé, René Hain­aux1 m’a dit que je devrais enseign­er. À cette époque, j’é­tais plutôt partagée entre le jeu et la mise en scène, la ques­tion de l’en­seigne­ment ne se posait pas. L’an­née suiv­ante, j’ai écrit mon mémoire de fin d’é­tudes, « Jouer ensem­ble » : il s’agis­sait d’un réper­toire d’ex­er­ci­ces nour­ri d’ex­péri­ences per­son­nelles, de lec­tures divers­es. Ce mémoire m’a ouvert les portes de l’en­seigne­ment. René Hain­aux m’a demandé d’en­seign­er au Con­ser­va­toire de Liège et Paul Anrieux m’a pro­posé de don­ner cours à l’IN­SAS.

F. V.: Tu achèves tes études et tu com­mences donc aus­sitôt à enseign­er sans être passée par la pra­tique ? À l’in­verse de beau­coup qui devi­en­nent enseignants en pra­ti­quant la mise en scène, toi tu deviens met­teure en scène à l’in­térieur de l’é­cole à tra­vers ta pra­tique de l’en­seigne­ment.

I. P.: Lorsque je débute au Con­ser­va­toire de Liège, je n’ai encore réal­isé aucune mise en scène, sauf en troisième année à l’IN­SAS : pour le 15e anniver­saire de l’é­cole, nous avions obtenu de réalis­er un spec­ta­cle ET MAINTENANT, MONSIEUR BRECHT, QUELLE EST VOTRE OCCUPATION ?, d’après les min­utes de l’in­ter­roga­toire de Brecht devant la Com­mis­sion des activ­ités anti­améri­caines. C’é­tait un tra­vail col­lec­tif où j’ai très vite pris la place du regard extérieur. Au Con­ser­va­toire de Liège, René Hain­aux m’a demandé de met­tre en pra­tique les exer­ci­ces rassem­blés dans mon mémoire, mais je me suis retrou­vée face à une classe qui refu­sait cette démarche — le Con­ser­va­toire avait con­nu un grève longue de qua­tre mois, les élèves voulaient pass­er à la scène. J’ai donc choisi SCÈNES DE CHASSE EN BAVIÈRE de Mar­tin Sperr, une pièce plutôt réal­iste qui com­porte de beaux per­son­nages et des sit­u­a­tions intéres­santes. Au cours de ce tra­vail, je n’ai pas arrêté de me dire que je ne con­tin­uerais pas ce méti­er. J’é­tais assez inquiète, les étu­di­ants étaient faibles, mais j’ai énor­mé­ment tra­vail­lé et au bout du compte, le résul­tat était probant. À l’is­sue de ces deux mois et demi de tra­vail, j’ai été vrai­ment inté­grée à l’é­cole. Au Con­ser­va­toire de Liège, les chargés de cours doivent pro­pos­er un pro­jet mais aus­si répon­dre aux deman­des des étu­di­ants. Des étu­di­ants en cours supérieur ou en dernière année m’ont demandé de diriger leur tra­vail : Francine Landrain m’a demandé de suiv­re un tra­vail sur LE SILENCE de Bergman, Alain Legros et Monique Ghyssens des scènes de W OYZECK… C’est ain­si que j’ai décou­vert le réper­toire. À l’IN­SAS, l’en­seigne­ment por­tait sur l’im­pro­vi­sa­tion, l’écri­t­ure, le mon­tage, les grands spec­ta­cles des années sep­tante n’é­taient pas des spec­ta­cles de texte, de réper­toire, mais plutôt du théâtre de pure créa­tion : Pina Bausch, Kan­tor, Bob Wil­son… En sor­tant de l’é­cole, les met­teurs en scène n’ont presque aucun rap­port à la pra­tique : en général, ils atten­dent un an ou deux avant de pou­voir mon­ter un pre­mier spec­ta­cle. C’est donc l’en­seigne­ment qui m’a apporté la pra­tique. À cette époque, au Con­ser­va­toire de Liège, la for­ma­tion était cen­trée sur l’ac­teur et le texte : obtenir un pro­jecteur ou un cos­tume étaient choses qua­si impos­si­bles. Cela a déter­miné mon rap­port au théâtre, l’idée que le théâtre c’est d’abord un texte et des acteurs et que donc même sans argent on peut tou­jours tra­vailler.
L’en­seigne­ment a donc tou­jours été le lieu de mon appren­tis­sage, puisque j’y ai tout appris, notam­ment dans la direc­tion d’ac­teurs : le fait d’être con­fron­té à de très jeunes acteurs oblige à chercher en soi-même, alors que si on fait ses pre­mières expéri­ences avec des acteurs plus expéri­men­tés, on ose en général moins inter­venir ou diriger, et on cherche peut-être moins en soi.

F. V.: Quand as-tu fait le choix de l’IN­SAS comme lieu d’en­seigne­ment ?

I. P.: Durant plusieurs années j’ai été chargée de cours dans les deux insti­tu­tions, le Con­ser­va­toire de Liège et l’IN­SAS. Paul Anrieu m’avait égale­ment demandé de tra­vailler à par­tir des exer­ci­ces de mon mémoire, en sec­tion de mise en scène à l’IN­SAS. Ensuite Michel Dezo­teux2 a repris la direc­tion de la sec­tion d’In­ter­pré­ta­tion dra­ma­tique et il m’a engagée. Durant plusieurs années, j’ai donc enseigné dans les deux écoles, puis j’ai aban­don­né le Con­ser­va­toire. J’ai con­tin­ué à enseign­er à l’IN­SAS, en Inter­pré­ta­tion dra­ma­tique et en Théâtre et Ani­ma­tion cul­turelle, la sec­tion de mise en scène, tout en con­tin­u­ant de suiv­re ce qui se passe à Liège en par­tic­i­pant aux jurys.

F. V.: Pour Georges Banu, le « Penseur de l’en­seigne­ment » artic­ule la notion de savoir et de recherche, il refonde l’en­seigne­ment dans sa struc­ture insti­tu­tion­nelle, il renou­velle les con­di­tions de son exer­ci­ce et éla­bore des proces­sus inédits. Tu enseignes depuis des années à l’IN­SAS et, depuis l’in­stal­la­tion du Théâtre Océan Nord à Schaer­beek, tu développes une péd­a­gogie par­al­lèle. Quelle est la néces­sité de ce tra­vail péd­a­gogique au sein du théâtre ? Vient-il d’une insat­is­fac­tion face aux lim­ites de l’in­sti­tu­tion sco­laire ? Et pourquoi ce mou­ve­ment se développe-t-il par­al­lèle­ment, dans le théâtre, et non à l’in­térieur de l’é­cole ?

I. P.: Il y a dix ans, en 1991, j’ai tra­ver­sé une crise impor­tante, au moment où j’ai réal­isé mon dyp­tique sur le rêve, LE SONGE de Strind­berg et SI L’ÉTÉ REVENAIT d’Adamov. C’é­tait un spec­ta­cle d’en­ver­gure, créé à Mar­seille, accueil­li en Avi­gnon et qui a con­nu une belle dif­fu­sion. La dis­tri­b­u­tion était con­séquente et j’ai eu l’im­pres­sion d’aller au bout de quelque chose, d’un mou­ve­ment de réus­site per­son­nelle. Avec ce dyp­tique, je prou­vais que je pou­vais mon­ter des pièces dites dif­fi­ciles. Et j’éprou­ve en effet du plaisir à démêler les con­struc­tions com­plex­es, à m’at­ta­quer à des textes qui décè­lent un théâtre « caché ». Ce spec­ta­cle était une grosse machine et j’ai eu l’im­pres­sion de per­dre, surtout dans la mise en scène du SONGE, le rap­port humain à mon équipe. LE SONGE, com­porte qua­tre grands rôles et quan­tité de petits rôles, ce qui a déséquili­bré le tra­vail : nous étions tout le temps à cinq, les autres comé­di­ens venaient de temps en temps. Au même moment, l’Ate­lier Ste Anne à Brux­elles et Le Théâtre des Bernar­dines à Mar­seille m’ont pro­posé un parte­nar­i­at à plus long terme, au-delà de l’idée de pro­duc­tion. Je me posais des ques­tions : où en suis-je dans mon par­cours théâ­tral ? Vers où aller ? J’avais 34 ou 35 ans et l’idée de la trans­mis­sion m’est venue très naturelle­ment, comme un manque, quelque chose que je ne pra­ti­quais pas suff­isam­ment même si j’en­seignais.

F. V.: Enseign­er, ce n’é­tait donc pas trans­met­tre ?

I. P.: Si, mais il fal­lait aller plus loin. Après cette crise, j’ai élaboré le pro­jet de « À ceux qui naîtront après nous », sur les thèmes de la trans­mis­sion, de l’héritage. Lorsque j’ai réfléchi à cette thé­ma­tique, je me suis dit que je n’avais pas d’en­fant, que je n’en aurais peut-être jamais, et que cette ques­tion pou­vait inspir­er mon tra­vail. Moins d’un an après j’é­tais enceinte et je mon­tais ce spec­ta­cle en par­tie enceinte, en par­tie en por­tant un bébé de qua­tre semaines dans mes bras… J’é­tais préoc­cupée par la ques­tion du futur, de ce qui vient après : com­ment ne pas arrêter le mou­ve­ment à soi-même, com­ment se met­tre en cir­cu­la­tion dans une énergie plus vaste que soi ? Le théâtre devait être cir­cu­la­tion, et non pas objet, final­ité. Le rôle du met­teur en scène est de per­me­t­tre cette cir­cu­la­tion, de la ren­dre la plus énergique, rigoureuse et riche pos­si­ble, par­tant de l’au­teur jusqu’au pub­lic. J’ai alors dirigé mon pre­mier ate­lier pour acteurs pro­fes­sion­nels à Mar­seille, à la demande d’Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernar­dines, un ate­lier qui a duré 4 mois, avec 30 comé­di­ens ! Et j’ai décou­vert que je pou­vais tra­vailler avec 30 per­son­nes dans la mesure où ce que j’en­clen­chais, c’é­tait une cir­cu­la­tion, des mou­ve­ments qui rebondis­sent, rejail­lis­sent entre les dif­férents inter­prètes. Ce tra­vail m’a procuré un immense plaisir, il n’y avait pas de résul­tat, l’ate­lier a été présen­té durant un week-end. J’ai eu ain­si l’im­pres­sion d’avoir franchi un cap : ma péri­ode nar­cis­sique était ter­minée, il n’y avait plus de fan­tasme de « pro­grès per­son­nel ». Et l’idée de cir­cu­la­tion est dev­enue fon­da­men­tale. « À ceux qui naîtront après nous » a été la pre­mière réponse à cette prob­lé­ma­tique et deux ans plus tard je me suis dit qu’il fal­lait aus­si trou­ver un moyen spé­ci­fique en dehors des pro­duc­tions. C’est à ce moment là, pour répon­dre à ces ques­tions de la trans­mis­sion et de la cir­cu­la­tion, que ma com­pag­nie s’est implan­tée à Schaer­beek. Chose dif­fi­cile à faire enten­dre aux pou­voirs publics encore aujour­d’hui : pourquoi, alors qu’il y a une dizaine d’an­nées, je me trou­vais dans des insti­tu­tions de grande vis­i­bil­ité, les lieux de la réus­site, suis-je allée m’en­ter­rer dans un garage à Schaer­beek ?

F. V.: Il y a donc d’un côté l’é­cole, l’IN­SAS et de l’autre côté le Théâtre Océan Nord où tu développes une pra­tique axée sur la trans­mis­sion, tout en con­tin­u­ant à réalis­er des spec­ta­cles. Com­ment se fait-il que ce mou­ve­ment de trans­mis­sion se passe unique­ment au Théâtre Océan Nord ? Ne débor­de-t-il pas un peu sur l’é­cole ?

I. P.: À l’é­cole, je n’ai pas de respon­s­abil­ité, j’es­saie sim­ple­ment d’en­seign­er et de répon­dre à des deman­des pré­cis­es. Mais je ne peux pas penser la péd­a­gogie, je ne peux donc avoir un pro­jet pour l’é­cole. D’où l’ou­ver­ture du théâtre à Schaer­beek : afin de réalis­er quelque chose de cohérent, un pro­jet glob­al. Je con­tin­ue à enseign­er à l’IN­SAS, je m’y implique beau­coup mais c’est une insti­tu­tion dotée de règles strictes, qui ne per­met pas une grande mobil­ité.

Isabelle Pousseur.
Isabelle Pousseur. Pho­to Danièle Pierre.

F. V.: Et tu ne peux chang­er cette insti­tu­tion de l’in­térieur ?

I. P.: Il y a eu des ten­ta­tives de change­ment, qui se sont avérées très dif­fi­ciles. Nous étions plusieurs à rêver de nou­velles écoles, notam­ment avec Thier­ry Salmon3. La sit­u­a­tion poli­tique actuelle en matière d’en­seigne­ment artis­tique ne per­met aucune ouver­ture. C’est peut-être pour cela que j’ai ini­tié cette pra­tique de la trans­mis­sion au Théâtre Océan Nord. Mais en tra­vail­lant avec des acteurs pro­fes­sion­nels, je ne vise pas le même pub­lic qu’à l’é­cole.

F. V.: Un ate­lier heb­do­madaire est en cours au Théâtre Océan Nord, le « Stu­dio », que tu mènes avec une quin­zaine de comé­di­ens et prati­ciens. Com­ment cet ate­lier s’in­scrit-il dans ton par­cours de trans­mis­sion, à la suite des ate­liers pour comé­di­ens pro­fes­sion­nels qui se sont don­nés à deux repris­es durant l’été, 1997 et en 1999 – 2000.

I. P.: Ces deux ate­liers s’in­scrivaient dans la con­tin­u­a­tion de l’ex­péri­ence entamée à Mar­seille. Pour moi, trans­met­tre n’a rien à voir avec le savoir ni avec l’idée du « maître ». Si j’en­seigne depuis très longtemps et si l’en­seigne­ment a tou­jours été présent dans ma vie, je ne me défi­nis pas pour autant comme « pro­fesseur », au sens de celui qui sait, qui attribue des notes, qui juge et fait pass­er des exa­m­ens. Je ressors tou­jours des exa­m­ens d’en­trée à l’IN­SAS, emplie de doute. Pour moi, le moment de la trans­mis­sion c’est lorsque je me trans­mets moi-même au tra­vail, je me mets en tra­vail. C’est aus­si pourquoi j’aime pro­pos­er à mes étu­di­ants des textes que je ne con­nais pas. J’aime arriv­er avec un matéri­au que je ne maîtrise pas, mais ce que j’amène, c’est ma curiosité, ma fas­ci­na­tion, mon éton­nement, ma non-con­nais­sance. Et cette non-con­nais­sance pro­duit du tra­vail, de l’én­ergie, de la pas­sion, elle est au coeur de la trans­mis­sion. Enseign­er ou éla­bor­er un spec­ta­cle, c’est la même chose, seule la final­ité est dif­férente. Face à des acteurs, l’élé­ment pre­mier de la cir­cu­la­tion est tou­jours ma pro­pre mise en tra­vail. À l’é­cole, il faut pou­voir se don­ner en « mod­èle » de pas­sion par rap­port au théâtre, au texte, aux autres avec lesquels on tra­vaille. Le théâtre est l’art de l’altérité absolue, il faut trans­met­tre la rigueur, la pen­sée, et l’au­tonomie. Ce que j’ai expéri­men­té dans l’Ate­lier Quai-Ouest il y a dix ans, à Mar­seille, c’est qu’en­seign­er, c’est aller vers l’au­tonomie de l’autre, tout comme dans l’é­d­u­ca­tion d’un enfant, trou­ver l’en­droit où agir afin que l’autre ne dépende plus de soi… Et donc l’axe de tra­vail de ces ate­liers pour les acteurs pro­fes­sion­nels, c’est l’au­tonomie : jusqu’où l’ac­teur peut-il porter une parole, une pra­tique en n’é­tant pas dépen­dant ? Bien sür, il faut que je sois là, mais trente per­son­nes peu­vent tra­vailler sans que je ne sois omniprésente. Le « Stu­dio » qui est en cours cette sai­son, représente le point d’aboutisse­ment de ce tra­vail mais plus encore, le lieu même de l’aller-retour : je pro­pose une inter­ro­ga­tion, je la nour­ris, j’en fais part aux comé­di­ens mais ce faisant, je sais que ce ques­tion­nement va rebondir chez eux et je le leur pro­pose dans l’at­tente de leur réponse. Trans­met­tre, c’est aus­si recevoir et ce qui m’in­téresse, c’est ce mou­ve­ment dou­ble, d’échanges. Le « Stu­dio » par­ticipe peut-être d’une deux­ième crise en rap­port à la créa­tion et à la réal­i­sa­tion spec­tac­u­laire : j’ai l’im­pres­sion que dans mes spec­ta­cles, je n’ar­rive pas à faire le lien avec cette prob­lé­ma­tique, je n’ar­rive pas à « inven­ter un nou­veau théâtre », à nour­rir mes pro­duc­tions des cir­cu­la­tions que j’ini­tie dans les ate­liers. C’est pour cela que le « Stu­dio » s’adresse à des comé­di­ens pro­fes­sion­nels. À l’é­cole ou dans les ate­liers pour ama­teurs, j’ap­porte des out­ils qui peu­vent être enseignés. Mais avec les quinze acteurs pro­fes­sion­nel du « Stu­dio », il s’ag­it au con­traire de recevoir aus­si, de s’aider les uns les autres. J’ai du mal à dire ce que nous cher­chons, je ne sais pas ce que nous allons trou­ver. Je sais que le besoin est là, il a suf­fi d’une seule séance pour le savoir et cette néces­sité est le ciment du « Stu­dio ». Pour le moment nous n’avons que de tout petits bouts de répons­es. Mais l’idée de cir­cu­la­tion est fon­da­men­tale.

Entre­tien réal­isé et retran­scrit par Fabi­enne Ver­straeten, octo­bre 2001.

  1. René Hain­aux : comé­di­en, enseignant à l’IN­SAS et au Con­ser­va­toire de Liège. ↩︎
  2. Michel Dezo­teux : met­teur en scène et co-directeur avec Michel Del­val du Théâtre Varia à Brux­elles. Il dirige la sec­tion « comé­di­ens » à l’IN­SAS. Il a mis en scène cette sai­son LA CERISAIE de Tchekhov. ↩︎
  3. Thier­ry Salmon : met­teur en scène décédé en 1999. Ini­ti­a­teur et met­teur en scène de vastes pro­jets théâ­traux sou­vent issus de grands romans du XIX’ siè­cle et élaborés en plusieurs étapes clans le temps : DES PASSIONS d’après Dos­toïevs­ki ↩︎
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Isabelle Pousseur
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