Tradition et oralité

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Tradition et oralité

Le 19 Déc 2001
Michelle Kokosowski et Sotiguy Kouyaté, à l'arrière-plan Ludwik Flaszen.
Michelle Kokosowski et Sotiguy Kouyaté, à l'arrière-plan Ludwik Flaszen. Photo Laure Vasconi.
Michelle Kokosowski et Sotiguy Kouyaté, à l'arrière-plan Ludwik Flaszen.
Michelle Kokosowski et Sotiguy Kouyaté, à l'arrière-plan Ludwik Flaszen. Photo Laure Vasconi.
Article publié pour le numéro
Les penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives ThéâtralesLes penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives Théâtrales
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SOTIGUI KOUYATÉ : Les com­mence­ments sont tou­jours dif­fi­ciles. Vous me voyez embar­rassé, et je me demande par quel bout com­mencer. Je pense que le plus sim­ple est de com­mencer par le début du com­mence­ment.

Il est d’usage chez moi que je m’adresse d’abord à vous pour vous dire mer­ci d’avoir con­sacré une par­tie de votre temps — com­bi­en pré­cieux ! — pour venir m’é­couter. M’é­couter, accepter de me ren­con­tr­er. C’est une ren­con­tre, et je crois à la ren­con­tre des hommes. Quelque part, cela cor­re­spond à une anci­enne vérité africaine, qui est qu’au Mali, en Guinée, au Burk­i­na et même au Séné­gal, l’é­tranger est sacré. On appelle l’é­tranger : l’homme riche. C’est la per­son­ne qui vient nous apporter ce qu’on ne sait pas. On doit appren­dre de lui. C’est une voie de l’en­seigne­ment. On s’in­stru­it, on s’é­duque à tra­vers les autres.

En français je peux dire « tiens, voilà une per­son­ne » (excusez moi, ce mon­sieur qui est à ma droite est mon deux­ième fils, Has­san. Il est infor­mati­cien, et comé­di­en con­teur — je l’ai éduqué à cela). On dit une per­son­ne mais dans ma langue africaine qui est le Bam­bara, qui peut être une autre langue qui est le Malinké, qui peut être une autre langue, le Kas­sonké, qui peut être une autre langue, le Dioula, dans ces qua­tre langues on dit « Môgô » pour dire « la per­son­ne ». Mais cela ne s’ar­rête pas là. Quand on dit la per­son­ne, après « la per­son­ne », qui est « Môgô », il y a « Môgôya ». « Môgôya », cela veut dire « les per­son­nes de la per­son­ne ». Ce qui veut dire que chaque être humain n’est pas sim­ple, ni dou­ble, mais mul­ti­ple. Et que l’ap­pren­tis­sage, l’in­struc­tion, l’en­seigne­ment dans la vie c’est chaque jour aller à la ren­con­tre d’une de ces per­son­nes afin de se con­naître mieux pour accéder au bien suprême qui est d’aller vers le meilleur de soi-même. On pense qu’on est cette per­son­ne, « Môgô », mais à l’in­térieur de ce Môgô il y a des mul­ti­tudes de Môgôs que je dois chercher chaque jour dans ma démarche, c’est-à-dire dans ma ren­con­tre avec les gens.

En cher­chant bien, je peux trou­ver une par­tie de moi dans cer­taines per­son­nes. Cer­taines per­son­nes ont une par­tie de moi en elles : ça, c’est la tra­di­tion africaine, les dif­férences ne sont pas des obsta­cles, les dif­férences per­me­t­tent la com­plé­men­tar­ité. C’est parce qu’on est dif­férent qu’on peut se com­pléter. Et c’est parce qu’il est fait d’une diver­sité de couleurs qu’un tapis est beau. C’est dans le même sens qu’on dit : « Quand tu regardes une per­son­ne, au lieu de te per­dre dans le regard de l’autre, recon­nais-toi dans son regard, et, si tu regardes bien, tu pour­ras même te voir ». Et cela, c’est vrai. Cela veut dire qu’en réal­ité ce qui rap­proche les êtres humains est beau­coup plus que ce qui les sépare.

Mais il y a une chose qu’on appelle la peur. La peur de l’autre, mais qui est en fait la peur de soi-même. Quand on a peur de l’autre, cela veut dire qu’on a peur de soi-même, parce que l’autre n’est qu’une par­tie de soi, ou une autre per­son­ne de soi. Et pour con­tin­uer sur ce sujet — parce que le thème me plaît beau­coup, « les penseurs de l’en­seigne­ment » … En Afrique le maître qui se promène avec son dis­ci­ple, quand il ren­con­tre du monde, présente son dis­ci­ple en dis­ant : « Je vous présente mon maître ». Ce n’est pas une sim­ple phrase ; si on réflé­chit bien, cela veut dire beau­coup. Parce qu’en fait le maître qui peut grimper au som­met d’une mon­tagne parce qu’il en a la capac­ité, s’il dit sim­ple­ment au dis­ci­ple « Grimpe me rejoin­dre au som­met de la mon­tagne », Celui-ci ne pour­ra jamais le faire. S’il veut réelle­ment l’amen­er au som­met de la mon­tagne, il faut qu’il vienne à lui, il faut qu’il trou­ve une voie pour venir à lui. Donc c’est l’élève, il rede­vient l’élève de son élève — c’est un des sens de cette phrase, mais il y en a plusieurs.

L’en­seigne­ment, en Afrique, est glob­al. L’en­seigne­ment moyen, l’en­seigne­ment supérieur, l’en­seigne­ment élé­men­taire se don­nent tous en même temps et quand l’op­por­tu­nité se présente. On saisit chaque occa­sion, exacte­ment comme le gri­ot se sert d’un bap­tême, d’un mariage et même de funérailles pour trans­met­tre tou­jours un mes­sage. Et un gri­ot peut trans­met­tre un mes­sage à l’oc­ca­sion d’une chan­son que les gens aiment chanter (un chant, ce qui veut dire que le jeu n’empêche pas le sérieux et que le sérieux n’empêche pas le jeu). Chaque occa­sion est prop­ice pour don­ner un enseigne­ment.

Un exem­ple : un ser­pent jail­lit d’un buis­son ; cela peut être une occa­sion pour le maître de don­ner tout de suite une leçon sur le ser­pent, mais cela dépend : si son audi­toire est com­posé d’adultes, il va par­ler des légen­des du ser­pent, il va par­ler des remèdes qui peu­vent guérir la mor­sure. Mais si son audi­toire est com­posé d’en­fants, il va chang­er de dis­cours : il par­lera plutôt des méfaits du ser­pent. Il trou­vera des choses qui fer­ont qu’ils s’en sou­vi­en­nent et qu’ils s’en méfieront.

De même quand ils ver­ront une car­a­vane de four­mis qui trim­bal­lent une sauterelle. C’est une occa­sion pour le maître ou pour l’ini­ti­a­teur de don­ner tout de suite plusieurs leçons : une leçon sur la sauterelle, une leçon sur la four­mi, et encore une leçon sur l’u­nion des petites forces. Donc chaque occa­sion est un enseigne­ment, toute la vie est un enseigne­ment. C’est ce qu’on appelle la grande école de la vie.

Je sai­sis cette occa­sion pour ren­dre hom­mage au regret­té Ham­pâté Bâ, grand sage et noble défenseur de l’o­ral­ité et des valeurs cul­turelles africaines.

Et je suis gri­ot — je ne vais pas vous don­ner toutes les déf­i­ni­tions du gri­ot. Gri­ot généal­o­giste, his­to­rien ou con­teur, devenu comé­di­en par la force des choses sans pass­er par aucune école de théâtre, ni de ciné­ma. De même mon fils, il a fait une école d’in­for­ma­tique, mais pas de comé­di­en, ni de con­teur, mais il est resté à côté de papa par la trans­mis­sion.

Mais la trans­mis­sion a mille voies. C’est comme un arbre. Plusieurs branch­es par­tent de l’ar­bre, par­tent dans des direc­tions dif­férentes, alors qu’elles sont nour­ries par les mêmes racines et par la même sève.

Donc, pour ce qui est de l’en­seigne­ment, en Afrique, tout le monde est élève et tout le monde est maître. L’en­fant (comme le dit d’ailleurs le regret­té Ham­pâté Bâ dans cer­tains de ses ouvrages), d’un an à sept ans, est à l’é­cole de sa mère : même si son père lui dit quelque chose, il va trou­ver sa mère : « Maman, papa a dit ça, est-ce que c’est vrai ? ». Puis, entre sept et qua­torze ans — ce sont tou­jours des péri­odes de sept ans — il est dans deux écoles : l’é­cole de la rue et celle de sa mère (il a quand même tou­jours besoin de véri­fi­er les choses auprès de sa mère). De qua­torze à vingt-et-un ans, il passe à l’é­cole des adultes. Et tout ce qu’il appro­fondi­ra pen­dant vingt-et-un ans encore, c’est ce qu’il aura appris de qua­torze à vingt-et-un ans : de vingt-et-un ans à quar­ante-deux ans, il doit appro­fondir ce qu’il a appris. Et à par­tir de quar­ante-deux ans (puisque quand on est à côté de per­son­nes âgées, quand on par­le on te demande ton âge, et quand tu dis « quar­ante et un ans » on te répond « Tais-toi, attend tes quar­ante-deux ans »), et à ce moment-là seule­ment, il est homme, et il peut par­ler quand on lui donne la parole — il ne peut pas la pren­dre. Mais à quar­ante-trois ans on est maître, aus­si, et on peut pren­dre la parole.

Tout le monde est élève et tout le monde est maître. À par­tir de ce moment, on a l’oblig­a­tion, le devoir, de rem­bours­er la dette qu’on a con­trac­tée. L’en­seigne­ment que l’on a reçu, on doit le don­ner, et cela pen­dant vingt et un ans. Pen­dant vingt-et-un ans, oblig­a­toire­ment, tu es enseignant, tu dois dis­penser. Et à soix­ante-trois ans on con­sid­ère que tu t’es acquit­té de ta dette. À par­tir de ce moment, tu n’es plus obligé d’en­seign­er — tu peux le faire, mais il n’y a plus aucune oblig­a­tion.

Je crois qu’il y a dans l’en­seigne­ment ce qu’on mon­tre aux enfants, ce qu’on leur dit et ce qu’on leur laisse entrevoir par nos actions. L’é­d­u­ca­tion, ce n’est donc pas sim­ple­ment dire à quelqu’un « Fais ceci, fais cela » pen­dant que soi-même on fait le con­traire. Vous voyez …

Tout est enseigne­ment. Même aller chercher de l’eau, c’est une école. Quand je dis cela, ce n’est pas par com­plexe, et je n’ai rien con­tre les écoles — au con­traire, je les adore. Peut-être que je regrette de n’être pas passé par là, mais quand je dis que je ne suis passé par aucune école, c’est vrai, et aucun de mes fils non plus, d’ailleurs. (Mon pre­mier fils devait me rejoin­dre ici, il n’a pas pu venir sinon, s’il était dans la salle, il serait venu quand même, il ne va pas se cacher !)

Et j’ai créé une com­pag­nie de théâtre, qui s’ap­pelait la troupe de la Vol­ta, en 1966. Ensuite, j’ai créé le pre­mier bal­let africain de mon pays, en 1973. Com­ment j’ai été mem­bre de la SACEM en tant qu’au­teur, com­pos­i­teur, chanteur et gui­tariste depuis 1965, alors que je n’ai jamais suivi le moin­dre appren­tis­sage de gui­tare, ni de chant, ni de son, je ne sais pas. Tout est pos­si­ble, il suf­fit de chercher et les voies sont nom­breuses.

Ce qui est mau­vais, c’est de penser qu’on est seul à pos­séder la vérité. Parce que — ça, c’est une anec­dote indi­enne — un jour on a mis dix aveu­gles dans une mai­son avec un ani­mal, et on leur a demandé de dire ce qu’ils voy­aient. Un a répon­du « une pat­te », un autre « une oreille », un autre « un oeil », un autre encore « une trompe » … Bon, c’é­tait un éléphant. Finale­ment, aucun ne s’é­tait trompé, vous voyez.

(Rires et applaud­isse­ments).

Has­sane Kas­si joue du tama.
Il récite Le cor­beau et le renard
Sotigui, son père, l’ar­rête.

Sotigui : Ce n’est pas ça.

Has­sane : Com­ment, ce n’est pas ça ? C’est comme cela que je l’ai appris à l’é­cole.

Sotigui : Oui, mais ça n’a pas de vie. Regarde. Nous ne sommes pas seuls : nos amis sont là. On s’adresse à eux.

« Le Cor­beau et le renard »

(Réac­tion du pub­lic)

Has­sane : Ah oui, je vois : ça marche bien !

Sotigui : « Maître cor­beau … » Où est-ce qu’il est ? Cher­chons le. Ah ! il est là, tu vois ? « … sur un arbre per­ché, tenait en son bec un fro­mage. Maître Renard, par l’odeur alléché, lui tint à peu près ce lan­gage ».

Lais­sons pass­er le renard.

« Eh, bon­jour Mon­sieur du Cor­beau, que vous êtes joli, que vous me sem­blez beau ! Sans men­tir, si votre ram­age se rap­porte à votre plumage, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois …

(Sotigui et Has­sane s’adressent directe­ment au pub­lic)

À ces mots le Cor­beau ne se sent pas de joie, et pour mon­tr­er sa belle voix, il ouvre un large bec et laisse tomber sa proie. Le Renard s’en saisit et dit : « Recu­lons, l’ar­bre est très haut ».

« Mon bon mon­sieur, apprenez que tout flat­teur vit aux dépends de celui qui l’é­coute. Cette leçon vaut bien un fro­mage, sans doute ».

Has­sane : Mais je con­nais la suite !

Sotigui : Attend, je regarde l’heure.

Has­sane : Attend !

Sotigui : Attend quoi ?

Has­sane : J’en con­nais une autre.

(Has­sane mon­tre le som­met de l’ar­bre imag­i­naire)

Sotigui : Qu’est-ce que tu cherch­es là-haut ?

Has­sane : Je cherche le héron !

Sotigui : Mais c’é­tait le cor­beau qui était sur l’ar­bre ! Qu’est-ce que le héron irait faire sur un arbre ? Le héron de Jean de la Fontaine n’est pas sur un arbre, mais au bord d’un lac ! (applaud­isse­ments)

Sotigui : Mer­ci, mer­ci. On n’ap­plau­dit jamais un Gri­ot, sinon il ne peut pas con­tin­uer. C’est à moi de vous dire mer­ci. Je vais vous racon­ter des his­toires.

La pre­mière : un mon­sieur (où es-tu ?) , qui s’é­tait mal réveil­lé, qui n’é­tait pas de bonne humeur, se prom­e­nait dans la forêt, et il ren­con­tra quelque chose qui ressem­blait à un homme et qui lui dit : « Je suis un génie, alors fais un voeu et ton voeu sera exaucé ». Il était telle­ment sur­pris qu’il en a per­du la langue. Alors le pré­ten­du génie, qui en était en effet un vrai, lui dit : « Mais tu n’as pas d’idée, tu ne veux rien ? », et là il se réveille et dit : « Ah si si si ! ». « Qu’est-ce que tu veux ? ». « Je veux être intel­li­gent ». Et le génie lui dit : « C’est tout ? », et il est devenu intel­li­gent. « Alors, ça va ? », deman­da le génie. « Ah oui, ça va, mer­ci, je suis intel­li­gent, c’est mieux. Mais si j’é­tais dix fois plus intel­li­gent, ça serait encore mieux ». Le Génie a claqué des doigts, et il est devenu dix fois plus intel­li­gent. « Alors, ça va, main­tenant ? », deman­da encore le génie. « Si je dis­ais que ça ne va pas, je serais un menteur. Mais si je suis cent fois plus intel­li­gent, je ne deman­derai plus rien ». « Bien, répon­dit le génie, tu l’auras voulu » : il claqua des doigts de nou­veau, l’homme s’en­dor­mit, et il se réveil­la femme.

(rires)

La dernière his­toire : Quar­ante africains, tous noirs comme moi, se prom­e­naient — ce n’é­tait pas dans une forêt, c’é­tait en Afrique, et c’é­tait la brousse. Alors ils ont ramassé une vieille lampe, et en la net­toy­ant un génie est apparu — pourquoi ? allez savoir … Et le génie leur dit : « Vous avez cha­cun droit à un seul voeu, alors décidez-vous ». Cha­cun voulait être pre­mier. Le génie s’est impa­tien­té et a dit : « Eh bien, si vous ne voulez rien, je m’en vais ! ». Finale­ment, ils se sont enten­dus, et ils se sont mis en colonne à la façon des mil­i­taires. Alors le pre­mier : « Toi, qu’est-ce que tu veux devenir ? ». « Moi je veux être un blanc » — et il est devenu blanc. Le deux­ième : « Et toi ? »; « Moi aus­si, blanc » : alors deux blancs. « Et toi ? ». Le troisième : « Blanc aus­si ». Alors il y a eu dix, vingt, trente, et finale­ment trente-neuf blancs. Alors le quar­an­tième, le dernier. Le génie se frot­tait les mains pour sa lib­erté, et il dit : « Alors, toi aus­si tu veux devenir un blanc ? ». Et le dernier vient avec un petit sourire nar­quois : « Eh bien moi je souhaite que tout le monde rede­vi­enne noir ».

(rires)

Je vais laiss­er Has­sane vous racon­ter quelque chose. Sinon il m’en voudra. C’est le maître qui se met au niveau de son élève.

Has­sane : C’est l’his­toire d’un jeune homme qui trou­vait qu’il n’avait pas de chance. Il s’est dit que, pour trou­ver sa chance, il n’avait qu’à aller voir Dieu lui-même et lui deman­der où était sa chance et qu’ain­si il était sûr de ne pas se tromper. Mais le prob­lème était de savoir où Dieu habite, ou de ren­con­tr­er quelqu’un qui était par­ti chez Dieu, qui en était revenu et qui avait eu la présence d’e­sprit de faire le plan de la route. Il a choisi la sec­onde solu­tion, il a marché longtemps, et il a ren­con­tré quelqu’un qui était par­ti, qui avait vu Dieu, qui était revenu et qui avait eu la présence d’e­sprit de faire le plan de la route. Et comme il avait vu Dieu, il était généreux, et lui a donc don­né le plan. Le jeune homme a alors entre­pris d’aller voir Dieu. Il marche très longtemps et il arrive dans une forêt. Arrivé dans la forêt, qu’est-ce qu’il voit ? Il voit un lion, et il prend peur. Le lion lui dit « N’aie pas peur, je ne te mangerai pas, je t’as­sure, je ne te mangerai pas. Regarde-moi, cela fait six mois que Je ne mange pas ».

Il a regardé le lion et, effec­tive­ment, le lion était très mai­gre, mais il s’est rap­pelé quelques proverbes. Il y en a un qui dit, par exem­ple, que « quand tu attach­es la chèvre à l’herbe ou quand tu attach­es l’herbe à la chèvre, c’est l’herbe qui est tou­jours mangée ». Un homme a beau être fort, il est petit devant un lion.

– Le lion lui dis­ait : « Mais je t’as­sure que je ne te mangerai pas … »

Il finit par dire au lion : « Ah bon, vous, les lions, vous avez des prob­lèmes alors ? ».

Le lion lui répond : « Tout ce qui vit à des prob­lèmes. Et comme les ani­maux vivent, les ani­maux aus­si ont des prob­lèmes ».

– Alors le jeune homme dit : « Ça tombe bien, parce que je vais voir Dieu pour lui deman­der où est ma chance, je peux deman­der à Dieu ce que tu dois faire pour retrou­ver ton appétit ».

– Le lion : « Tu ferais ça pour moi ? »

– Lui : « Bien sûr, je ferai ça pour toi, parce que, comme je serai chez Dieu, cela ne me coûtera rien ».

Le lion lui dit : « Je t’at­tendrai ici ». Le lion s’est assis et le jeune homme a con­tin­ué sa route.

Comme il était fatigué, il voit un arbre. Il s’as­soit à l’om­bre de l’ar­bre, s’a­dosse con­tre lui. À peine s’est-il adossé que l’ar­bre lui dit :

– « Hé, oh ! ne t’a­dosse pas à moi comme ça, tu vas me faire tomber ! » Le jeune homme regarde l’ar­bre et lui répond :

– « Mais tu es un arbre telle­ment solide ! »

– Mais l’ar­bre dit : « J’ai l’air solide. Vous, les êtres humains, l’ap­parence vous trompe telle­ment. Regarde bien mes feuilles. Si tu avais regardé, tu aurais vu que je suis malade ».

Il regarde les feuilles de l’ar­bre, et il dit : « Ah bon, vous aus­si, les plantes, vous avez des prob­lèmes alors ».

– L’ar­bre lui dit : « Tout ce qui vit à des prob­lèmes, et comme les plantes vivent, les plantes aus­si ont des prob­lèmes ».

– « Ça tombe bien, répond le jeune homme, je vais voir Dieu pour lui deman­der où se trou­ve ma chance, je peux deman­der à Dieu ce que tu dois faire pour guérir ».

– L’ar­bre : « Tu ferais ça pour moi ? »

– « Bien sûr que je ferai ça pour toi, puisque cela ne me coûtera rien ».

– L’ar­bre lui dit : « Je t’at­tendrai ici, de toutes les manières je n’ai pas le choix ».

Le jeune homme a con­tin­ué sa route. Il arrive près d’une grotte. Il entend des san­glots dans la grotte, et là il voit une femme très jolie, extrême­ment jolie.

Il lui dit : « Mais com­ment une aus­si jolie femme peut être aus­si triste que tu es ? » Elle répond : « Je suis jolie mais je suis seule. » « Ah bon, tu es seule et triste ? » Elle : « La preuve. » Lui : « Ça tombe bien, je vais voir Dieu pour lui deman­der où se trou­ve ma chance : je peux deman­der à Dieu ce que tu dois faire pour être heureuse ».

La femme : « Tu ferais ça pour moi ? » Lui : « Bien sûr que je ferai ça pour toi, puisque je serai chez Dieu, ça ne me coûtera rien ».

Il pour­suit son chemin, et comme prévu il arrive chez Dieu.

Arrivé chez Dieu, il frappe à la porte. Dieu dor­mait (rires). Oui, vous riez, mais quand on voit ce qui se passe sur la terre, des fois, on se dit qu’il dort même d’un som­meil pro­fond. Et Dieu se réveille enfin : « Qu’est-ce que tu veux ? »

– « Je suis venu pour chercher ma chance, mais sur la route j’ai ren­con­tré un lion qui n’avait pas d’ap­pétit, et ensuite j’ai vu un arbre qui était malade, et ensuite j’ai vu une femme qui était seule et triste ».

– Dieu répond : « On va com­mencer par la femme. Tu diras à la femme que pour qu’elle soit heureuse, elle n’a qu’à se mari­er avec le pre­mier homme qu’elle ren­con­tr­era : elle sera très, très heureuse, et l’homme sera très, très heureux. Et tu diras à l’ar­bre que c’est que quelqu’un a enter­ré une caisse pleine d’or en dessous de ses racines, et que c’est cette caisse d’or qui l’empêche de se nour­rir : si on enlève la caisse, il se nour­ri­ra et il guéri­ra. Et tu diras au lion que pour qu’il retrou­ve l’ap­pétit il n’a qu’à manger le pre­mier idiot qu’il ren­con­tr­era : alors il retrou­vera son appétit ».

Alors le jeune homme demande à Dieu : « Mais, et moi alors, qu’est-ce que vous me dites ? »

Dieu : « Mais pour toi, c’est encore plus sim­ple : cours, ta chance est devant toi ».

Alors il se met à courir : « Ma chance est devant moi, ma chance est devant moi, ma chance devant moi ! »

Il arrive auprès de la femme. La femme lui dit : « Alors, tu as vu Dieu ? » Il lui répond : « Tu n’as qu’à te mari­er avec le pre­mier homme que tu ren­con­tr­eras, tu seras très heureuse et l’homme sera très heureux ». La femme : « Tu es le pre­mier homme que je ren­con­tre, on n’a qu’à se mari­er tous les deux ». Mais lui : « Non, ma chance est devant moi … »

« Ma chance est devant moi, ma chance est devant moi ! » Il court, et il arrive auprès de l’ar­bre.

L’ar­bre lui dit “Alors, tu as ren­con­tré Dieu ?

– Oui. C’est quelqu’un qui a enter­ré une caisse pleine d’or dans tes racines, cette caisse d’or t’empêche de te nour­rir, il suf­fit qu’on enlève la caisse et tu te nour­ri­ras et tu guéri­ras ».

L’ar­bre lui dit : « Mais enlève la caisse et garde la avec son con­tenu.

– Tu crois que je suis fou ? Alors que ma chance est devant moi ? Je n’ai pas de temps à per­dre ! »

« Ma chance est devant moi ! Ma chance est devant moi ! Ma chance est devant moi ! Ma chance est devant moi ! » Et il arrive auprès du lion.

Le lion lui dit : « Alors tu as vu Dieu ?

– Oui, j’ai vu Dieu, mais pour toi ça va être plus com­pliqué ».

Le lion : « Pour moi ça va être com­pliqué ? Pourquoi cela va être com­pliqué ?

– Dieu a dit que, toi, tu n’as qu’à manger le pre­mier idiot que tu ren­con­tr­eras et tu retrou­veras ton appétit, mais cet idiot, où vas-tu le ren­con­tr­er ? … »

Et le lion a retrou­vé son appétit en le mangeant.

(rires et applaud­isse­ments)

Sotigui : Aujour­d’hui, l’a­vid­ité nous perd de plus en plus. De même, l’ig­no­rance de nos lim­ites.

« N’agis pas de manière à ce que ta rai­son devi­enne ton tort ».

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Sotigui Kouyaté
Sotigui Kouyaté est griot, metteur en scène et acteur au cinéma et au théâtre. Il...Plus d'info
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