DANS LA NUIT CETTE FEMME ET MOI d’après LE FAISEUR D’HISTOIRES
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DANS LA NUIT CETTE FEMME ET MOI d’après LE FAISEUR D’HISTOIRES

Le 12 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
72
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La Juge : Qu’en pensez-vous ?

Mon­sieur le Pro­fesseur : Tout à l’heure. Je penserai tout à l’heure. Pour­suiv­ez, s’il vous plaît, Madame la Juge.

La Juge : Vous êtes accusé de faire des his­toires.

L’observateur étranger : Et de jeter le doute sur…

Le pro­fesseur : Sachez, mon­sieur, que le doute n’est pas fait pour être jeté sur…

La Juge : Or, vous êtes accusé d’en jeter sur…

La Juge : Vous avouez donc que vous êtes un faiseur d’histoires.

Les trois : Il a avoué.

L’observateur étranger : Nous pou­vons observ­er que l’accusé, s’étant présen­té sous son vrai nom, a avoué ce matin le crime hor­ri­ble dont il est accusé. Il a dit, ouvrez les guillemets, « toutes ces his­toires ont com­mencé ». En con­séquence de quoi nous obser­vons que l’accusé a avoué être un faiseur d’histoires.

Jan : Je m’appelle Jan et je suis inno­cent. Je m’appelle Jan et je suis inno­cent. Avant j’étais sans soucis. Mais depuis que toutes ces his­toires ont com­mencé… Depuis que toutes ces his­toires ont com­mencé… Je n’ai rien avoué. Je n’ai rien fait. Avant j’étais tran­quille. Je n’ai jamais fait d’histoires. Ce sont des his­toires qui me sont arrivées.
La scène représente un trot­toir, l’entrée d’une boîte de nuit, la scène représente une enseigne lumineuse. Il y est écrit : Au pro­gramme ce soir, la danseuse aux lunettes noires… Ce n’est pas le soir. La nuit s’achève. C’est le petit matin. La scène représente un trot­toir. J’attends sur le trot­toir la danseuse aux lunettes noires. Dans quelques instants nous serons en face, à l’hôtel d’en face, l’hôtel du Ven­dre­di. La scène représente une cham­bre. Une cham­bre d’hôtel. L’hôtel du Ven­dre­di, juste en face. Dans quelques instants, je vais sor­tir de la cham­bre en courant. Dans quelques instants je déboule sur le trot­toir d’en face. Atten­tion.

Je cours. Je cours encore. Et cette femme-chose qui me pour­suit. Et je cours en ce moment même. En ce moment pré­cis ? Je vois le taxi arriv­er. Le taxi arriv­er. Je veux lever le bras. Un signe de la main. Je ne sens pas mon bras. Jamais sen­ti mon bras de cette façon-là. Man­quer à l’appel de cette façon-là. Bras, lev­ez-vous ! Main, lev­ez-vous ! Quelqu’un hurle des ordres dans ma tête. Le taxi qui se rap­proche. Mon bras qui ne répond pas. Qui a mangé mes artic­u­la­tions ? Qui a soudé… tous mes os soudés ? Le taxi arrive droit sur moi. Moi qui court. Femme-chose qui me pour­suit, cette femme-chose qui se rap­proche. De plus en plus. Moi qui lance mes jambes. Et tu as beau lancer une jambe devant l’autre. Et j’ai beau… Et j’ai beau… Moi qui n’avance pas. La route, une route qui colle à la plante de mes pieds. Je lance une jambe en avant, la route rat­trape mon pied et le rejette vers l’arrière. Et je lance l’autre jambe. Et la route, cette colle, cette colle, rat­trape mon pied et le rejette vers l’arrière. Moi qui cours. Qui n’avance pas. Et mes bras soudés, col­lés, mes bras qui refusent le sim­ple geste de se lever — TAXI -, je suis un homme tronc en lévi­ta­tion immo­bile. Et mes jambes fan­tômes imi­tent mal le geste de courir, et mes bras fan­tômes refusent d’imiter le sim­ple geste de se lever — TAXI -, je mets tout dans la voix : TA … AAA … TA … AAA. Cette femme-chose qui se rap­proche. Je mets tout dans… AAA … AAA … AAA … XL freine au moment pré­cis où cette femme-chose allait… Allait je ne sais quoi. Allait je ne sais com­ment allait si vite. Je ne sais où ni pourquoi. Pourquoi moi ?
Dans la nuit, j’ai bu avec cette femme. Elle avait des lunettes noires. Elle m’a dit : « Dans la nuit, je n’enlève pas mes lunettes noires pour boire ». Dans la nuit, j’ai dan­sé avec cette femme. Elle avait tou­jours ses lunettes noires. Elle m’a dit : « Dans la nuit, je n’enlève pas mes lunettes noires pour danser ». Dans la nuit, cette femme et moi, vous voyez ?… Cette femme et moi couchés, touchés, tourneboulés, col­lés, ser­rés, dessous, dessus, niqués-niqués : cette femme et moi en haut en bas, vous voyez ? Elle m’a dit : « Dans la nuit, je n’enlève pas mes lunettes noires pour couch­er-touch­er-tournebouler-coller-ser­rer-dessus-dessus-niquer-niquer ». Elle n’enlève pas ses lunettes noires. Alors j’arrache ses lunettes noires. Alors rien. Elle n’avait pas les yeux en face des trous. Elle n’avait ni un œil, ni deux. Elle avait des trous à la place des yeux. Rien. Deux trous, deux trous comme ça à la place des yeux.
Depuis je ne sais plus. Je ne sais plus qui est ma mère. Non. Non. Et depuis je ne sais plus qui est mon père. Et depuis, je ne sais plus qui est mon père. Et depuis… depuis… depuis… Et depuis, je ne sais plus qui est mon frère, qui est ma sœur. Et depuis, depuis… qui, je ne sais ?… Je change de trot­toir, je tra­verse la rue. Et depuis je tra­verse. Je tra­verse. Je tra­verse. Je tra­verse. Je depuis tra­verse et… tra­verse depuis je tra­verse-tra­verse-tra­verse et tra­verse…

Nom : Jan
Prénom : Jan
Prénom usuel : Jan

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Écrit par Kossi Efoui
Kos­si Efoui est d’origine togo­laise. Il vit et tra­vaille en France depuis 1990. Il a pub­lié des pièces...Plus d'info
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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

Voix d’auteurs et marionnettes

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