LONGTELPS J’AI CRU que la marionnette était une sorte de poupée qui bouge, qui chante, qui pleure, qui rit, qui nous fait rire, qui nous fait pleurer, qui nous enchante, qui fait battre plus fort notre cœur. Une sorte d’accessoire animé qui se détache de la me du comédien pour accéder à une autonomie scénique de plus en plus grande.
Longtemps j’ai cru que la marionnette était la partie autiste du comédien qui s’envole, qui ose s’exprimer, s’ouvrir, se matérialiser. Devant les couches profondes de la candeur, nous sommes tous des autistes ; on ne sait pas mettre en page, en parole, en émotion la partie obscure de la simplicité. Un comédien qui marche n’est qu’un comédien qui marche, mais une marionnette qui marche est un miracle. La marionnette est donc un révélateur, elle sait extraire le miracle de tout ce qui apparaît comme quotidien et ordinaire. Si le comédien n’arrive plus à forer dans la simplicité pour y décanter la magie, alors c’est la marionnette qui s’en charge.
Longtemps j’ai vu dans toute marionnette qui bouge, qui chante, qui pleure, qui rit une équation extrêmement délicate entre la force et la fragilité. Fragilité, parce que la marionnette n’est qu’un objet dans les mains du manipulateur. Force, parce que la terrible demoiselle finit par manipuler le manipulateur, par lui dicter les mouvements, par le forcer dans une voie de recherche artistique…
J’ai toujours cru que la marionnette puisait sa force de fascination dans sa dimension sacrée. A l’origine, elle était peut-être totem, masque mortuaire, objet fétiche, amulette…
C’est depuis peu de temps que la marionnette a refait irruption dans ma vie. Ça a été, d’abord, les sorties au théâtre avec ma fille. Ce qui me fascine chez les enfants qui sont fascinés par les marionnettes c’est qu’ils ignorent ou bien ils ne voient jamais le manipulateur. Il n’y a que la marionnette qui existe, qui leur parle, qui les fait rêver. Le manipulateur est la partie tolérée de la marionnette. D’ailleurs, j’ai compris grâce à ma fille qu’un spectacle de marionnettes est mauvais lorsque le comédien-manipulateur ne se satisfait pas de ce statut.
C’est pareil, je pense, avec les spectacles de marionnettes pour adultes. Dès que le comédien veut être le personnage principal, dès que le comédien étouffe la marionnette, c’est fini, on tombe dans le ridicule de la confusion.
Si ma fille m’a appris à revisiter le monde de la marionnette, la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon m’a offert l’occasion rare de rencontrer le monde des marionnettistes et des inventeurs d’objets théâtraux associés d’une façon ou d’une autre à l’idée de manipulation. Et l’auteur que je suis a savouré avec gourmandise la diversité d’approches artistiques proposées au nom de la marionnette (même celles qui frisaient la naïveté).
C’est comme ça que j’ai pu avoir de nouvelles révélations. Par exemple, le fait que la marionnette est aussi l’émanation d’un désir humain de se dédoubler, de faire dialoguer l’être avec ses multiples miroirs (tout objet mis dans une relation inquiétante avec l’être humain devient miroir et mise en abîme, donc marionnette).
Le nouveau territoire conquis de la marionnette se situe, aujourd’hui, à la frontière entre les arts plastiques (notamment la sculpture et les installations) et les arts du spectacle… Et il y aura sûrement d’autres frontières à franchir demain.
C’est dans ce contexte où les vieux concepts artistiques sont mis à rude épreuve que l’univers obsessionnel de mon « théâtre décomposé » est devenu tout de suite soluble dans l’univers morcelé du « théâtre de papier », dans la mise en magie d’Alain Lecucq.
Depuis, je ne cesse d’imaginer mes pièces « mises en marionnettes » (par exemple, je suis fasciné par le côté grotesque des marionnettes géantes, un univers cher à François Lazaro). Et je découvre de plus en plus que certains de mes textes n’attendent que ça, épouser cette tendre et énigmatique marionnette, capable de se métamorphoser à l’infini.
Mais en même temps je deviens de plus en plus malheureux lorsque je vois des spectacles de marionnettes… disons vides. Je n’ai jamais autant souffert devant un spectacle de théâtre d’acteurs vide. Mais un spectacle de marionnettes vide (dans la plupart des cas à cause de l’innocence de ceux qui, par pure soif de nouveauté, réduisent la marionnette à un objet décoratif) m’attriste terriblement. Par son caractère sacré, la marionnette est un objet qui brûle. Assumer le courage de la toucher, rien que ça, demande une complexe initiation.
Evelyne Lecucq: En tant que metteur en scène de spectacles de marionnettes, ou de théâtre d’acteurs, tu montes depuis des…

