Journal d’une initiation
Non classé

Journal d’une initiation

Le 13 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
72
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

LONGTELPS J’AI CRU que la mar­i­on­nette était une sorte de poupée qui bouge, qui chante, qui pleure, qui rit, qui nous fait rire, qui nous fait pleur­er, qui nous enchante, qui fait bat­tre plus fort notre cœur. Une sorte d’accessoire ani­mé qui se détache de la me du comé­di­en pour accéder à une autonomie scénique de plus en plus grande.
Longtemps j’ai cru que la mar­i­on­nette était la par­tie autiste du comé­di­en qui s’envole, qui ose s’exprimer, s’ouvrir, se matéri­alis­er. Devant les couch­es pro­fondes de la can­deur, nous sommes tous des autistes ; on ne sait pas met­tre en page, en parole, en émo­tion la par­tie obscure de la sim­plic­ité. Un comé­di­en qui marche n’est qu’un comé­di­en qui marche, mais une mar­i­on­nette qui marche est un mir­a­cle. La mar­i­on­nette est donc un révéla­teur, elle sait extraire le mir­a­cle de tout ce qui appa­raît comme quo­ti­di­en et ordi­naire. Si le comé­di­en n’arrive plus à for­er dans la sim­plic­ité pour y décan­ter la magie, alors c’est la mar­i­on­nette qui s’en charge.
Longtemps j’ai vu dans toute mar­i­on­nette qui bouge, qui chante, qui pleure, qui rit une équa­tion extrême­ment déli­cate entre la force et la fragilité. Fragilité, parce que la mar­i­on­nette n’est qu’un objet dans les mains du manip­u­la­teur. Force, parce que la ter­ri­ble demoi­selle finit par manip­uler le manip­u­la­teur, par lui dicter les mou­ve­ments, par le forcer dans une voie de recherche artis­tique…
J’ai tou­jours cru que la mar­i­on­nette pui­sait sa force de fas­ci­na­tion dans sa dimen­sion sacrée. A l’origine, elle était peut-être totem, masque mor­tu­aire, objet fétiche, amulette…
C’est depuis peu de temps que la mar­i­on­nette a refait irrup­tion dans ma vie. Ça a été, d’abord, les sor­ties au théâtre avec ma fille. Ce qui me fascine chez les enfants qui sont fascinés par les mar­i­on­nettes c’est qu’ils ignorent ou bien ils ne voient jamais le manip­u­la­teur. Il n’y a que la mar­i­on­nette qui existe, qui leur par­le, qui les fait rêver. Le manip­u­la­teur est la par­tie tolérée de la mar­i­on­nette. D’ailleurs, j’ai com­pris grâce à ma fille qu’un spec­ta­cle de mar­i­on­nettes est mau­vais lorsque le comé­di­en-manip­u­la­teur ne se sat­is­fait pas de ce statut.
C’est pareil, je pense, avec les spec­ta­cles de mar­i­on­nettes pour adultes. Dès que le comé­di­en veut être le per­son­nage prin­ci­pal, dès que le comé­di­en étouffe la mar­i­on­nette, c’est fini, on tombe dans le ridicule de la con­fu­sion.
Si ma fille m’a appris à revis­iter le monde de la mar­i­on­nette, la Char­treuse de Vil­leneuve-lez-Avi­gnon m’a offert l’occasion rare de ren­con­tr­er le monde des mar­i­on­net­tistes et des inven­teurs d’objets théâ­traux asso­ciés d’une façon ou d’une autre à l’idée de manip­u­la­tion. Et l’auteur que je suis a savouré avec gour­man­dise la diver­sité d’approches artis­tiques pro­posées au nom de la mar­i­on­nette (même celles qui fri­saient la naïveté).
C’est comme ça que j’ai pu avoir de nou­velles révéla­tions. Par exem­ple, le fait que la mar­i­on­nette est aus­si l’émanation d’un désir humain de se dédou­bler, de faire dia­loguer l’être avec ses mul­ti­ples miroirs (tout objet mis dans une rela­tion inquié­tante avec l’être humain devient miroir et mise en abîme, donc mar­i­on­nette).
Le nou­veau ter­ri­toire con­quis de la mar­i­on­nette se situe, aujourd’hui, à la fron­tière entre les arts plas­tiques (notam­ment la sculp­ture et les instal­la­tions) et les arts du spec­ta­cle… Et il y aura sûre­ment d’autres fron­tières à franchir demain.
C’est dans ce con­texte où les vieux con­cepts artis­tiques sont mis à rude épreuve que l’univers obses­sion­nel de mon « théâtre décom­posé » est devenu tout de suite sol­u­ble dans l’univers morcelé du « théâtre de papi­er », dans la mise en magie d’Alain Lecucq.
Depuis, je ne cesse d’imaginer mes pièces « mis­es en mar­i­on­nettes » (par exem­ple, je suis fasciné par le côté grotesque des mar­i­on­nettes géantes, un univers cher à François Lazaro). Et je décou­vre de plus en plus que cer­tains de mes textes n’attendent que ça, épouser cette ten­dre et énig­ma­tique mar­i­on­nette, capa­ble de se méta­mor­phoser à l’infini.
Mais en même temps je deviens de plus en plus mal­heureux lorsque je vois des spec­ta­cles de mar­i­on­nettes… dis­ons vides. Je n’ai jamais autant souf­fert devant un spec­ta­cle de théâtre d’acteurs vide. Mais un spec­ta­cle de mar­i­on­nettes vide (dans la plu­part des cas à cause de l’innocence de ceux qui, par pure soif de nou­veauté, réduisent la mar­i­on­nette à un objet déco­ratif) m’attriste ter­ri­ble­ment. Par son car­ac­tère sacré, la mar­i­on­nette est un objet qui brûle. Assumer le courage de la touch­er, rien que ça, demande une com­plexe ini­ti­a­tion.

Non classé
2
Partager
auteur
Écrit par Matéi Visniec
Dra­maturge et poète né en 1956 en Roumanie, Matéi Vis­niec, his­to­rien et philosophe de for­ma­tion, vit actuelle­ment à Paris...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

Voix d’auteurs et marionnettes

Précédent
12 Avr 2002 — La Juge: Qu’en pensez-vous ? Monsieur le Professeur: Tout à l’heure. Je penserai tout à l’heure. Poursuivez, s’il vous plaît,…

La Juge : Qu’en pensez-vous ? Mon­sieur le Pro­fesseur : Tout à l’heure. Je penserai tout à l’heure. Pour­suiv­ez, s’il vous plaît, Madame la Juge. La Juge : Vous êtes accusé de faire des his­toires. L’observateur étranger : Et…

Par Kossi Efoui
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total